Enfin. Après plus de six ans d’attente, d’espérances déçues, de running gag à chaque conférence d’un constructeur, Hollow Knight: Silksong est finalement sorti, au moment où nous n’y croyions plus vraiment. Successeur du Metroidvania devenu mètre-étalon du genre, le titre a la lourde tâche d’aussi faire oublier l’agaçant silence de Team Cherry durant toutes ces années tout en justifiant la hype phénoménale autour de lui, ayant conduit de très nombreux autres studios à décaler leurs sorties de peur d’être invisibilisés par l’ogre australien.
Car nous avons affaire là à l’un des (si ce n’est le) jeux indépendants les plus attendus de l’histoire. Imaginez-donc que plus de cinq millions de joueurs l’avaient ajouté à leur liste de souhait Steam, un record, que la semaine avant la sortie d’Hollow Knight: Silksong, le premier opus a atteint son pic historique de joueurs simultanés et qu’à sa sortie, le 4 septembre dernier sur consoles et PC, l’afflux de joueurs à provoqué le crash des différents magasins numériques.
Alors forcément, face à de telles attentes et des résultats remarquables avec, d’après l’analyse d’Alinea Insight, plus de cinq millions de joueurs, tous supports confondus, et trois millions de copies vendues sur Steam sur les trois premiers jours de commercialisation, l’enjeu majeur du titre est de parvenir à y répondre. Alors, Hollow Knight: Silksong est-il capable de remettre tout le monde d’accord en reprenant la couronne gardée au chaud par son ainé ou sombre-t-il sous le poids d’un héritage devenu trop lourd ?
(Test de Hollow Knight: Silksong sur PS5 réalisé à partir d’une version commerciale du jeu)
Sur un fil
Parce qu’un jeu phénomène ne peut plus sortir sans qu’il y ait une ou plusieurs polémiques autour de lui, Hollow Knight: Silksong n’a pas dérogé à la règle. Alors que des centaines de milliers de joueurs découvraient les aventures d’Hornet, la charismatique araignée croisée dans le premier opus, plusieurs voix exprimaient leur frustration devant la difficulté du jeu. Et effectivement, le titre est loin d’être toujours une promenade de santé. Est-ce là une conséquence de son statut initial (rappelons que Silksong devait, à la base, être un contenu additionnel à Hollow Knight, et non un jeu standalone), les développeurs considérant l’aventure comme une continuité du premier opus ?
Toujours est-il que, sur le premier tiers du jeu du moins, il faut prendre le temps de (ré)apprendre le jeu et de se plier à ses règles sous peine de se prendre de sévères déculottées. Pour autant, au fil de notre avancée et de l’acquisition d’améliorations, d’emblèmes (l’équivalent des charmes) et de notre propre apprentissage, la difficulté s’est sensiblement réduite. On a continué de mourir, évidemment, le concept d’essai – erreur étant central à l’expérience et la cruauté de certains passages étant évidente, mais le jeu ne nous laisse jamais complètement démuni face à ces situations.
Alors effectivement, on peut ressentir une certaine frustration, avec ces nombreux ennemis nous infligeant deux dégâts par coup, ou ces pièges difficilement anticipables. Cela étant, n’est-ce pas là aussi, en partie, l’essence d’un Souls-like, genre duquel Hollow Knight: Silksong s’inspire ? Car au final, qu’avons-nous à perdre si ce n’est du temps pour retourner récupérer nos perles perdues (ou les re-récolter) ? Les connaissances gagnées et les surprises découvertes en chemin ou lors de ces épreuves n’ont-elles pas plus de valeur encore ? La frontière peut être mince entre cruauté et difficulté, et il est vrai qu’il arrive au titre de la franchir sans vergogne, pour autant, il nous a été assez difficile de totalement lui en vouloir tant ce qu’il offre à côté nous fait rapidement oublier la frustration passagère.
Alors, il y a bien le fameux « pogo », la technique consistant à attaquer vers le bas pendant un saut pour rebondir sur ses ennemis, qui demandera un certain temps d’adaptation, la trajectoire employée par Hornet pour cette technique étant inhabituelle, mais il s’agit surtout là d’un apprentissage qu’une réelle difficulté du jeu. Les mouvements de notre héroïne répondent même admirablement bien. La palette de mouvement, bien que suffisamment complète et complexe pour être intéressante, n’est pas particulièrement originale. C’est toutefois grâce à l’intelligence du level design qu’elle est mise en valeur et transforme une aventure en apparence classique en une expérience bien plus puissante, mais nous y reviendrons.
Toujours est-il que ces avis négatifs autour du titre ont eu un écho du côté de Team Cherry puisqu’un premier patch d’équilibrage a déjà été déployé offrant notamment une courbe de difficulté moins abrupte sur la première partie de l’aventure. Il aurait été bien que Team Cherry s’intéresse aussi à l’accessibilité en proposant des options supplémentaires pour les personnes en ayant besoin (dans un monde où Céleste existe, d’autres indés « exigeants » devraient bien s’en inspirer). Hélas, huit ans après, Hollow Knight n’a jamais rien vu de tel arriver et il semble que Silksong finisse aussi démuni sur ce point. Dommage.
Au sommet des metroidvania
Le véritable challenge viendrait-il alors des boss ? Étonnamment, même pas. Alors évidemment, on s’est pris quelques roustes (quoi de plus normal ?), mais même les plus forts en apparence s’apprennent curieusement très rapidement. La force de la lisibilité, probablement, et de leur côté mécanique particulièrement bien huilée qui rend leurs musiques aisément audibles à qui veut bien les écouter. Et quelles musiques ! C’est un ballet que nous avons adoré danser, et chaque nouvel adversaire dispose de sa propre mélodie. Huit ans après, certains boss d’Hollow Knight nous reviennent encore à l’esprit (dont Hornet d’ailleurs) et certains de Silksong parviennent à se hisser à leur hauteur (Lace par exemple, quel affrontement !)
En réalité, le cœur de l’expérience d’Hollow Knight: Silksong réside dans son univers, son level design et tout ce qu’il recèle. L’équipe de Team Cherry a mis un soin invraisemblable dans leur bébé. Chaque pixel semble avoir bénéficié d’une attention particulière durant toutes ces années de développement. Ainsi, le rendu de chaque environnement est à tomber par terre. Pharloom, la contrée de cet épisode, est somptueuse et fourmille de mille et un détails. Les décors, les petites animations plus ou moins discrètes en arrière-plan, les particules qui s’envolent après notre passage, l’herbe que l’on déplace dans notre course… cela en devient presque absurde. Et bon sang, quelle direction artistique de dingue !
Et si Hollow Knight: Silksong affiche une telle générosité visuelle, son contenu n’est pas en reste. Tout n’est que surprise à longueur de temps. L’exploration atteint ici un niveau rarement vu auparavant. En ligne droite, l’aventure sera sensiblement plus courte que pour son ainé, mais ce serait passer à côté de plus de la moitié de ce que Silksong a à offrir. Combien de fois n’avons-nous pas été surpris par un chemin dérobé caché derrière un mur friable ou une zone d’ombre suspecte ? Il y a des trucs à trouver partout, tout le temps que c’en est presque parfois trop. Même après avoir écumé chaque région et avoir passé plus d’une quarantaine d’heures sur le jeu, il nous est resté tant de choses à découvrir.
D’une partie à l’autre, chaque joueur pourra vivre sa propre expérience. Il y a bien sûr des régions incontournables afin de débloquer quelques capacités, mais on garde cette impression (avérée) de pouvoir faire un peu tout dans l’ordre de notre choix. D’autant que les histoires, principales comme secondaires, se révèlent bien moins cryptique que dans le premier opus (même si une grande partie de la narration passera par l’interprétation des environnements et la découvertes de messages cachés dans les zones). Ces missions annexes sont d’ailleurs l’un des meilleurs moyens pour nous d’évoluer, en récoltant de nouveaux équipements, qui permettent de personnaliser notre gameplay et ainsi, mécaniquement, diminuer la difficulté globale du titre comme nous l’avons évoqué précédemment.
Une manière classique mais efficace de nous faire appréhender un level design tentaculaire. Chaque zone semble avoir été conçue pour s’adapter aux capacités apprises (ou non) et pour mettre en valeur les compétences de voltigeuse d’Hornet. Alors fatalement, parfois, ça casse et on se prend quelques cruelles gifles. Reste que globalement, tout parait avoir été réfléchi pour que les galipettes soient fluides et naturelles et on a très hâte de voir comment les speedrunners vont réussir à enchaîner tout ça à la vitesse de l’éclair.
In fine, Team Cherry a concocté une aventure qui récompense la curiosité à chaque instant. Il titille constamment notre envie de découvrir les moindres recoins de Pharloom et d’en dénicher ici une amélioration de vie ou de bobine ou là une puce à collecter. Mais ce qui est le plus gratifiant, c’est quand au détour d’une énième cachette découverte, c’est une toute nouvelle zone qui s’ouvre à nous, complètement annexe, avec ses propres secrets, son bestiaire unique et ses boss inédits. Hollow Knight: Silksong nous a fait vivre plusieurs épiphanies et même après l’avoir terminé, on sent qu’il y en a encore d’autres à vivre. Dingue on vous dit.
La même chanson ?
Dans Hollow Knight, on incarnait un chevalier creux, tant dans sa place dans l’univers du jeu que dans ses interactions avec ses habitants. Avec Hornet, c’est l’exact inverse. Elle est vivante, crédible dans ce monde d’insectes et réplique avec le caractère bien trempé déjà observé dans le premier opus. Elle se retrouve dans Pharloom, traquée par une entité dont elle souhaite découvrir l’objectif et trace sa propre voie, croisant d’autres personnages avec leurs propres problématiques et objectifs.
Loin d’être une pièce rapportée, elle trouve sa place de manière cohérente, rendant du même coup chaque dialogue, chaque quête, chaque ville, bien plus crédibles que ce qu’on avait connu jusqu’à présent. Ajoutons à cela le simple fait qu’elle puisse parler, répliquer aux injonctions pas toujours sympas des locaux et échanger avec eux pour rendre tout de suite l’ensemble bien plus vivant qu’auparavant. Des PNJ qui ne sont pas en restent d’ailleurs, avec une qualité d’écriture remarquable et, parfois, une mignonnerie qui les ont déjà propulsés au sommet des memes autour du jeu (coucou Sherma).
Un changement fondamental donc qui s’intègre dans une aventure indéniablement dans la continuité de son prédécesseur. La découverte d’une nouvelle zone, la recherche de la carte de ladite zone, histoire d’arriver à s’y repérer, et le quadrillage minutieux de chaque lieu pour en dénicher ses secrets, voilà peu ou prou la boucle ludique proposée. Une recette toujours aussi efficace qu’il aurait été bête de refondre de A à Z. Les originalités passent ici par les zones en elle-même, son design visuel et sonore, ses habitants et les surprises qu’elles recèlent.
Finalement, Hollow Knight: Silksong, c’est un peu comme le jeu de base, mais dont toutes les caractéristiques auraient été poussées au maximum. Plus de zones, plus de monstres, plus de personnalisation, plus de trucs à découvrir, bref, plus de tout, et cela en gardant un niveau de qualité largement au-dessus de la moyenne. Team Cherry a pris son temps pour nous offrir un niveau de finition inégalé (pour leur statut) et se (re)pose en maître incontesté du metroidvania moderne.
Hollow Knight: Silksong n’est pas si différent de son grand frère au final, et pourtant le premier jeu de Team Cherry fait presque office de brouillon comparé à celui-ci. Quand on voit le nombre de détails, de secrets à découvrir et le contenu gargantuesque proposé, on comprend pourquoi le titre a eu une aussi longue gestation. Alors forcément, avec autant de zones, d’ennemis et de trucs à dénicher, il y a fatalement des passages moins réussis (Bilesac, quel enfer), parfois impitoyables même, mais ils sont finalement loin de peser lourd dans la balance.
Et quel plaisir de contrôler Hornet. Les débuts ne se font pas sans heurts, certes, mais passé le premier acte, nos possibilités grandissent rapidement, permettant d’estomper quelque peu le challenge global. Tout répond parfaitement et, si certaines morts peuvent parfois être frustrantes (les doubles dégâts réguliers y étant pour beaucoup), nos réussites se révèlent aussi particulièrement gratifiantes.
On a tendance à galvauder ce terme de nos jours, mais ce n’est pas le cas cette fois : Hollow Knight: Silksong est un chef d’œuvre comme on en voit pas si souvent dans l’industrie. Il a beau ne pas révolutionner son genre, il en pousse néanmoins tous ses paramètres à leurs paroxysmes. Il est d’une générosité sans borne, beau à voir (et à écouter grâce aux superbes compositions de Christopher Larkin) et jouissif à prendre en main. Et si on peut regretter son manque d’accessibilité, incompréhensible de nos jours, il reste un titre à côté duquel tout amoureux de jeu vidéo, et a fortiori de metroidvania, ne peut passer.