Avec le premier opus sorti en 2017, Hellblade avait bâti sa petite réputation de jeu unique. Même s’il est coincé entre le statut de double A et de triple A, Ninja Theory avait néanmoins réussi à venir à bout de ses ambitions en proposant un titre sortant de l’ordinaire : un sound design qui fait encore parler, une proposition jusqu’au-boutiste, nous y reviendrons, et une mise en scène à tomber par terre. Il serait néanmoins assez inique de ne pas parler des versants négatifs de l’œuvre. Des boucles de gameplay simplistes et répétitives avaient en effet eu raison de plus d’un joueur. Pour notre part, nous avons clairement mis ces passages éprouvants en parallèle avec les ressentis de Senua, notre héroïne picte cherchant à apporter la rédemption à son mari, Dillion, sacrifié au panthéon viking.
Si le premier jeu Hellblade était une descente, littérale, aux enfers de la mythologie scandinave, Hellblade 2 sort de ce schéma et propose un monde vivant qui aura néanmoins son lot de désolations et de fantômes du passé qui n’auront de cesse de persécuter Senua, toujours assaillie par une polyphonie de voix.
Racheté par Xbox, Ninja Theory a vu son jeu être estampillé exclusivité majeure dans le catalogue du consolier américain. Pas sûr que cela soit raccord avec la volonté même de Microsoft tant la communication fut timide. Nul doute que le manque de communication de la part de Xbox (et ses déboires actuels), le départ en catimini de Tameem Antoniades, co-fondateur de Ninja Theory, tout cela avait de quoi inquiéter. Hellblade 2 arrive-t-il donc à redorer l’image ternie de Xbox et parvient-il à convaincre les éternels déçus ?
(Test de Senua’s Saga: Hellblade 2 sur PC réalisé à partir d’une copie du jeu fournie par l’éditeur)
La forme avant le fond
Commençons par évoquer la technique. L’Unreal Engine 5 déploie son potentiel de manière évidente sur Hellblade 2, nous pouvons assez sereinement dire qu’il s’agit du jeu le plus beau de cette génération auquel nous ayons pu jouer. Les expressions des personnages et les effets de textures sont saisissants de réalisme. Même si nous faisons partie de cette école qui choisit le gameplay au graphisme, il est difficile de rester de marbre face à un tel résultat graphique.
Toutefois, une fois les premières minutes passées, on se rend compte que le gameplay n’a pas changé. Pour prendre un exemple très concret, les combats sont bien plus dynamiques, mais c’est avant tout une histoire de mise en scène, et donc d’illusion.
Les mécaniques de gameplay sont même réduites, les ennemis avec un bouclier pouvaient être déstabilisés avec un coup d’épaule dans Hellblade premier du nom, désormais seules l’esquive, l’attaque rapide, l’attaque lourde et la parade sont possibles (sans oublier le miroir qui permet toujours de ralentir le temps).
Pourtant, le feeling des combats est beaucoup plus agréable. Fluides, dantesques (et aussi beaucoup moins lourds), les combats sont habillés comme de véritables petits films. Par exemple, vous pourrez être bousculé par un allié alors qu’un ennemi allait vous frapper, un deuxième ennemi vous attaquera dans le dos et vous devrez changer d’adversaire, etc. L’ivresse du combat et son côté brouillon sont très bien retranscrits.
Toutefois, et il s’agit d’un problème selon nous, il n’est plus possible de se faire attaquer dans le dos comme dans le premier épisode. En effet, tous les ennemis attendront sagement leur tour avant de venir vous frapper, il n’y aura que des un contre un. Là ou le premier jeu utilisait son sound design au sein même de son combat, les voix pouvaient vous avertir quand un ennemi se glissait dans votre dos par exemple, Hellblade 2 fait le choix de la simplicité et met en avant l’accessibilité, ce qui est une rupture avec le premier jeu.
Les fantômes du passé
Bien qu’il soit fortement recommandé de faire le premier Hellblade, le second volet ne vous perdra pas si vous commencez votre voyage avec Senua en 2024. Et c’est plutôt dommage. Seule la figure paternelle est vraiment réutilisée, et si c’est bien le père de Senua qui semble être le nœud du problème (c’est lui qui aura aggravé son état psychique), cette figure paternelle est rattachée à une autre. Ce faisant, Hellblade 2 tourne vers plus d’universalisme, mais n’exploite plus vraiment ce que le premier jeu avait apporté.
Là encore, Dillion, qui était le moteur narratif du précédent volet, est ici presque totalement oublié. Son nom est évoqué seulement deux ou trois fois et il est dans les faits même remplacé par un nouveau venu : Thórgestr.
En effet, nouvelle rupture, Hellblade 2 vous met plus ou moins à la tête d’un petit groupe, là où Senua’s Sacrifice faisait le choix de la solitude, plutôt propice à la manifestation de la folie. Le jeu se retrouve donc à osciller entre phases « réelles », celles où l’on parle à des gens sains d’esprit et phases « hallucinées », où des éléments fantasmagoriques viennent chevaucher la réalité.
Il paraît donc difficile de faire croître un sentiment de folie lorsque d’autres personnages ramènent Senua constamment à la réalité. Le jeu semble en effet oublier qu’il traite de maladie mentale, pourtant toujours vendue comme étant validé par un professeur de l’université de Cambridge, Paul Fletcher, spécialisé dans ce domaine et en accord avec la vision de personnes ayant été victimes de cette maladie.
Pour rappel, Hellblade premier du nom avait un gameplay calqué sur la psychose de son personnage. Trouver des formes qui n’ont de sens que pour la personne malade, le tout pour déverrouiller une porte, était symboliquement fort et en sus une belle trouvaille de game design. Ici, cela semble être une simple réminiscence du jeu de 2017, voire un simple gimmick tant les voix de Senua occupent une place moins prépondérante.
On retrouve toujours les puzzles à base de runes à trouver dans les éléments du décor, mais la fréquence d’apparition de ces énigmes est beaucoup plus légère. D’autres types d’énigmes seront de la partie, mais elles s’avèrent beaucoup plus décevantes qu’autre chose. On préférait encore matérialiser des escaliers et autres ponts en adoptant le bon point de vue comme dans le premier jeu, c’est dire.
Et ces échos au passé sont le propos du jeu. Comme certaines énigmes le soulignent, mais aussi toute l’histoire, la quête de son identité à travers son passé est le thème principal du jeu. Nul doute qu’en filigrane, on peut y voir la quête d’un studio qui cherche à trouver la forme de son jeu, de son identité. Ninja Theory aura fait le choix d’un jeu plus simple d’accès, moins radical. Assez schizophrénique pour un jeu qui reste tout de même très niche.
Hellblade 2 est un jeu qui nous aura fait mentir sur plusieurs points. Premièrement, comme nous l’avons dit plus haut, nous préférons un gameplay fort à une proposition graphique forte, or, le titre nous aura fait oublier pendant quelques heures son gameplay très limité avec ses synchronisations labiales bien exécutées et des expressions de visage hyper réalistes.
Deuxièmement, le jeu nous aura fait mentir sur notre attachement à la durée de vie. « Peu importe que le jeu soit court, tant que le voyage est intense » était notre maxime toute faite. Malheureusement, ici, ca ne fonctionne pas. Il nous aura fallu environ six heures pour terminer le jeu et nous ne gardons pas grand-chose de la saga de Senua malgré un plan-séquence épique et bien rythmé.
Avec une histoire assez classique et un gameplay rudimentaire, Hellblade 2 ne parvient pas selon nous, malgré sa mise en scène extraordinaire et ses graphismes à décrocher la mâchoire, à tenir le rôle de grosse exclusivité qui lui incombe. Le plus grave selon nous, c’est que le jeu semble abandonner ses fondations ainsi que sa réputation de jeu âpre et différent pour verser dans l’accessible et le déjà-vu.
Ensuite, comment parler de la communication ? De notre côté, nous n’essayons plus vraiment de comprendre les agissements de Xbox. Sans aucun doute, si le jeu avait été une réussite, Xbox aurait assuré avoir joué son rôle d’éditeur à 100%, avoir toujours cru au potentiel du jeu, etc. Si notre cynisme s’est renforcé, c’est sûrement en rapport avec la fermeture de Tango et la déclaration d’un dirigeant Xbox le lendemain qui aura indiqué avoir besoin de bons jeux indés rapportant des prix…
On espère tout de même que Ninja Theory ne se verra pas sanctionné trop sévèrement (on croise même les doigts vu l’état de l’industrie), Hellblade 2 reste toujours une maestria technique. Le jeu n’a tout simplement pas la carrure pour assumer son statut de jeu phare pour le catalogue Xbox.