Avec en tête de proue Dead Space Remake et The Callisto Protocol, les aventures horrifiques spatiales étaient particulièrement à la mode l’hiver dernier. Depuis, la fantasy a repris le dessus (de Diablo IV à Baldur’s Gate 3 en passant par The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom), et c’était peut-être le bon moment pour Fort Solis de se faire remarquer, en proposant un jeu qui dénote un peu. Par son contexte, donc, mais aussi par son gameplay. La liberté étant le maître-mot des grands jeux du moment (même Street Fighter 6 s’est mis au monde ouvert), les rails sur lesquels nous met Fort Solis allaient peut-être se distinguer ? Et en bien ou en mal ?
(Critique de Fort Solis sur PC réalisée via une copie commerciale du jeu)
Gabrielle Solis
Balayons tout de suite le sujet qui fâche ceux qui aiment se fâcher (ou faire semblant de) : oui, Fort Solis est bien un jeu vidéo, et prétendre l’inverse, ou faussement s’interroger, c’est lancer un débat stérile et un peu crétin. Le jeu est-il disponible dans les boutiques de VOD, ou sur les plateformes de streaming vidéo ? Non. Est-il alors vendu sur Steam ou dans les magasins de jeux vidéo ? Oui. Fort Solis est donc bien un jeu vidéo. Fin de la discussion.
Car c’est une question qui revient un peu trop facilement quand sort un walking simulator. Les jeux considérés par certains comme « trop narratifs » induisent systématiquement des questions comme « est-ce encore du jeu vidéo ? » ; David Cage, à la tête de Quantic Dreams (Beyond: Two Souls ; Detroit: Become Humans…), qualifié de « cinéaste frustré » plus souvent qu’à son tour, pourrait en témoigner…
À partir de combien de pressage(s) de bouton(s) à la minute un jeu vidéo voit-il son statut de jeu vidéo confirmé ? Question stupide qui montre les limites de ce débat qui n’en est pas un.
Faible Solis
Fort Solis est donc un walking simulator. On va passer les quelques quatre heures que compte l’aventure, divisée en quatre chapitres d’une heure chacun environ, à arpenter une base martienne dans la combinaison d’un technicien sur un chantier de minage. Une alarme ayant été déclenchée dans l’une des zones de l’exploitation, il s’agira d’aller voir ce qu’il s’y passe, et éventuellement de porter secours aux collègues dans le besoin. Une mise en place qui n’est pas sans rappeler les aventures d’Isaac Clarke dans Dead Space, lui aussi débarqué pour une mission d’assistance.
Une proximité dans la mise en place avec les classiques du genre dont s’amuse le jeu lui-même, les personnages faisant des blagues sur la présence de zombies dans la station ! En riront-ils longtemps… ?
Très vite, on s’apercevra que la station en question est totalement désertée. Où sont donc passés les ouvriers ? Et qui a déclenché l’alarme ? C’est le mystère que le jeu nous invite à élucider. Dans une ambiance graphiquement plutôt sombre, incarnant un technicien désarmé, tout est ici propice à l’angoisse. Sauf que le jeu se coupe lui-même l’herbe sous le pied, le gameplay empêchant tout effet de terreur potentiel.
On se rendra vite compte que la menace est bien relative. L’absence de mécaniques de combat fera que l’on n’aura pas peur : pas de combat, donc pas d’échec, pas de mort ou de game over. Et sans risque, pas d’inquiétude. Fort Solis échouera ainsi à être un jeu d’horreur spatial, ou même un thriller martien.
Soli(s)tude
On se bornera à marcher d’un point à l’autre, et il faut prendre ici la phrase au premier degré : les zones d’intérêt qui feront progresser le scénario sont indiquées par des petits points à l’écran, petits points vers lesquels on dirige notre personnage… On passe donc de petit point en petit point, ici pour débloquer une porte qui nous mènera au prochain petit point, là pour découvrir un extrait de vlog (artifice narratif un peu vieillot) qui lèvera peu à peu le mystère qui plane sur cette station désormais fantôme.
On s’y perd parfois, ce qui, dans un jeu faisant la part belle à l’exploration, aurait pu être une composante intéressante. Mais ici, les environnements se ressemblent un peu trop, et surtout, la carte est tout bonnement illisible et ridiculement petite. Le point de repère qui indique notre position n’est même pas affiché en temps réel, mais selon un système de « case par case » où les cases sont invisibles. Une difficulté de lecture qui fait qu’on ne s’en sert pas, ou très peu, et qui provoque des allers-retours dans la station parfois interminable. D’autant qu’on ne peut pas accélérer le pas…
Seules quelques séquences maladroites de QTE viennent nous sortir de notre torpeur. Mais même là, il semble que la réussite ou non de ces séquences n’ait aucune influence sur le déroulement de l’histoire (un point qui réclame tout de même confirmation, mais nous n’avons pas trouvé le temps et le courage de nous lancer dans un seconde partie pour en avoir le cœur net).
Fort So lisse
Le jeu n’est pourtant pas dénué de qualités. Son interprétation est réussie (on note d’ailleurs la présence au générique de la superstar du doublage JV Troy Baker), et graphiquement, c’est plutôt très réussi. Un point à mettre en lumière surtout vis-à-vis de la petite équipe qui signe le jeu (la magie Unreal Engine 5 ?). Le scénario n’est pas follement original, mais évite habilement l’écueil de l’épidémie zombie ou de la créature alien assoiffée de sang. Il est aussi étonnamment peu manichéen, et on n’est plus sûr, à la fin de l’histoire, de jouer le « gentil ».
Hélas, ce même scénario manque de rythme, et faillit à nous garder en haleine. La faute à un gameplay trop monotone, mais aussi à une mise en scène datée et peu imaginative (le coup des extraits de journaux ramassés au fil de l’aventure, un dispositif narratif aussi vieux que le jeu vidéo…).
Dommage ! Malgré des qualités qui lui auraient permis de se faire remarquer, Fort Solis échoue à conserver notre attention. Si la réalisation assez solide surprend par sa qualité en regard de sa condition de jeu indé, Fort Solis nous raconte une histoire un peu trop plate pour nourrir un walking simulator. Et ce n’est pas les quelques séances de QTE sans conséquence qui changeront les choses.
Il aurait fallu impliquer un peu plus le joueur qui se sent ici un peu étranger (martien ?) à ce qu’il se passe devant ses yeux.