Lancé en 2022, Elden Ring a été un véritable séisme, réussissant l’exploit de démocratiser la formule exigeante de FromSoftware bien au-delà de son cercle de fidèles. Après un DLC colossal, la licence continue de faire parler d’elle avec Nightreign. Ce standalone, supervisé par Junya Ishizaki (responsable des combats d’Elden Ring), délaisse l’exploration en monde ouvert pour une expérience frénétique de rogue-like coopératif.
Le principe est simple (ou presque) : en équipe de trois, survivre deux jours et deux nuits avant d’affronter un terrible Seigneur Nocturne. Alors, Nightreign parvient-il à forger sa propre légende, ou n’est-il qu’une tentative opportuniste de capitaliser sur un succès phénoménal ?
(Test d’Elden Ring Nightreign sur PlayStation 5 réalisé à partir d’une version fournie par l’éditeur)
Un héritage assumé, un best-of maîtrisé
Dès les premières secondes, le doute n’est plus permis : nous sommes bien en Entre-Terre. Les notes de piano mélancoliques, la direction artistique somptueuse et ce lore toujours aussi cryptique. Tout est là pour replonger instantanément les vétérans dans une atmosphère familière. Elden Ring Nightreign se présente comme une véritable lettre d’amour à l’ensemble de l’œuvre de FromSoftware.
Si le titre introduit huit nouveaux Seigneurs Nocturnes, qui servent de boss finaux à chaque expédition, le reste du bestiaire pioche allègrement dans le panthéon d’Elden Ring et des Dark Souls. Heureusement, le casting a été choisi avec soin, et les fans seront ravis de croiser à nouveau le fer avec des figures emblématiques, tout en étant épargnés des rencontres plus frustrantes comme le tristement célèbre Démon Capra.
Ce fan-service s’étend jusqu’aux huit personnages jouables, les Nightfarers. Chaque archétype est un clin d’œil appuyé à un style de personnage ou une licence du studio. L’Exécuteur, avec son gameplay basé sur la parade, semble tout droit sorti de Sekiro: Shadows Die Twice, tandis que la Duchesse, agile et véloce, évoque sans conteste la grâce mortelle de Lady Maria de Bloodborne, et ce jusque dans ses esquives. Cette diversité permet à chaque joueur de trouver un style de jeu qui lui correspond, que l’on soit adepte de la magie, de la force brute ou de la dextérité. Cependant, Nightreign prend tout le monde de court sur un point : le rythme des parties.
Une course contre la mort
Oubliez la patience et l’analyse méthodique des précédents Souls. Nightreign prend le contre-pied total de ses aînés en poussant tous les curseurs de la vitesse à l’extrême. Le jeu fusionne l’urgence d’un battle royale, avec sa zone de jeu qui se rétrécit inexorablement, à la structure d’un rogue-lite, soumettant ainsi les joueurs à une pression constante. Chaque expédition devient une course effrénée contre la montre durant laquelle la moindre hésitation peut coûter la victoire.
C’est ici que le précepte fondamental de FromSoftware, l’apprentissage par l’échec, est réinterprété. Chaque défaite est une leçon. Les premières tentatives servent à cartographier les itinéraires les plus optimaux et à optimiser son utilisation de la carte, pour rapidement voir les priorités. Pour survivre, il faut maîtriser un gameplay d’une frénésie nouvelle, où une agilité surhumaine permet de sprinter plus vite que Torrent, d’escalader n’importe quelle surface et de chuter sans jamais subir de dégâts. Si les reliques trouvées en chemin offrent des bonus passifs, leur limitation à trois par personnage rappelle que l’équipement ne fait pas tout : la connaissance des patterns ennemis reste la clé du succès.
Peu à peu, chaque run se mue en un « boss rush » grisant. On enchaîne une zone, on terrasse un boss, on s’empare du butin pour monter en puissance, et l’on fonce déjà vers le point d’intérêt suivant. C’est dans cette boucle que l’aspect rogue-lite brille : chaque échec affine notre stratégie et la rapidité de nos prises de décision. La satisfaction, voire l’exaltation, finit par monter crescendo au fil d’une run réussie. Et lorsque le boss final tombe sous les coups coordonnés de l’escouade, le sentiment d’accomplissement collectif est d’une puissance rare. Une euphorie qui, malheureusement, a un prérequis quasi-obligatoire…
Jamais sans mes amis
Soyons clairs : si Nightreign est jouable en solo, l’expérience est loin d’être optimale. FromSoftware n’a fait aucune concession sur la difficulté, et pour la grande majorité des joueurs, se lancer seul dans une expédition équivaut à un suicide programmé. Là où l’échec en équipe pousse à la communication et à la persévérance, l’échec en solo engendre surtout de la frustration, bien loin de l’apprentissage constructif et de l’amusement. Le jeu est pensé, équilibré et conçu pour être vécu à trois. Sans une équipe soudée, le plaisir s’effrite et la sinécure s’installe.
Et même pour une run en équipe, le vocal n’est pas loin d’être indispensable. Le système de communication en jeu, limité à un simple ping, est largement insuffisant face à l’urgence constante des parties. L’aventure perd beaucoup en richesse, l’éventuel succès procurant moins de plaisir, et l’échec procurant lui beaucoup plus de frustration. Cela soulève une autre question : pourquoi un jeu si dépendant de la coopération est-il lancé avec autant d’oublis fonctionnels ? L’absence d’un mode duo est un impair majeur (que le studio a d’ailleurs reconnu, et a annoncé travailler dessus pour un prochain patch), comme en témoignent les nombreux joueurs sur les forums cherchant désespérément un troisième partenaire.
Il est aussi difficilement pardonnable de ne pas inclure le cross-platform, une fonctionnalité devenue standard qui aurait considérablement élargi le bassin de joueurs potentiels. Enfin, l’impossibilité de relancer rapidement une partie avec des inconnus avec qui le courant est bien passé est dommageable et brise la dynamique de jeu.
Une boucle intense et infernale, mais pour combien de temps ?
Pour tout de même avoir de la rejouabilité malgré sa carte unique, des altérations de zones, se débloquant au fil des victoires, viennent modifier des pans entiers de la carte, augmentant la difficulté mais offrant de meilleures récompenses. On retrouvera par exemple un volcan, la cime des géants, ou même une zone remplie de putréfaction écarlate, pour le plus grand plaisir des joueurs. Des événements aléatoires, comme un boss se mettant à vous traquer ou des embuscades, pimentent également les runs. D’un point de vue narratif, chaque personnage dispose aussi de bribes d’histoire à débloquer via des souvenirs, qui vous donneront des objectifs secondaires à accomplir lors des runs, ajoutant un peu de contexte à cette chasse effrénée.
La difficulté intrinsèque du jeu garantit une durée de vie conséquente, le temps de maîtriser chaque boss et chaque personnage. Cependant, une fois les mécanismes bien assimilés, une certaine routine risque de s’installer. Les runs, malgré les variations, finissent par se ressembler. C’est ici que la qualité de votre équipe fera toute la différence. En solo ou avec des inconnus sans communication, la lassitude pourrait vite prendre le pas sur le plaisir. Mais avec deux amis en vocal, Elden Ring Nightreign révèle son plein potentiel et se transforme en une expérience coopérative exaltante et diablement addictive.
Elden Ring Nightreign est une proposition aussi brillante que frustrante. FromSoftware réussit à transposer son univers et son exigence dans une formule rogue-like ultra-dynamique, créant des moments de coopération d’une intensité jubilatoire. Le fan-service est maîtrisé, le gameplay est jouissif et le sentiment d’accomplissement bien réel. Dommage, donc, que l’expérience soit si lourdement handicapée par des choix de conception difficiles à comprendre.
En rendant le jeu quasi-exclusivement dépendant d’une coopération à trois en vocal, tout en omettant des fonctionnalités aussi cruciales que le mode duo ou le cross-platform, FromSoftware se prive d’une partie des joueurs. Elden Ring Nightreign est un jeu au potentiel immense, une perle brute imparfaite ne demandant qu’à être polie. En l’état, il s’adresse à un public de niche capable de réunir les conditions spécifiques requises pour en profiter pleinement.