Fruit de la collaboration entre George R.R. Martin, auteur des romans dont on a tiré la série Game of Thrones, et Miyazaki Hidetaka, patron de FromSoftware, Elden Ring est, de très loin, le titre le plus attendu depuis, probablement, Red Dead Redemption 2. Rares sont les jeux à susciter autant d’intérêt auprès de profils de joueurs si variés. Ce n’est pas pour rien qu’il a été élu « Jeu le plus attendu » deux années de suite aux Game Awards.
Cette attente résulte évidemment du statut culte des précédentes productions du studio comme Dark Souls, souvent considéré comme l’un des plus grands jeux de l’histoire. Et Elden Ring, grâce à son approche plus ouverte, est présenté comme l’épisode de la maturité. Reste à voir s’il réussit à percer sa chrysalide et à devenir le papillon que chacun dans l’industrie voudra suivre ou s’il aurait mieux valu qu’il reste chenille.
(Test d’Elden Ring sur PS5 réalisée à partir d’une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Breath of The Dark Souls
On y est. Des années qu’on l’attendait comme le messie. On peut poser nos mains moites d’excitation sur notre manette pour, enfin, découvrir la dernière création de Miyazaki Hidetaka. On commence par créer notre avatar, choisir sa classe, son arme de départ et c’est parti. La concrétisation de la promesse d’un monde ouvert incroyable se présente à nous.
Et pourtant, ce n’est pas ainsi que nous débutons notre périple. À l’instar des précédentes productions du studio, nous commençons à nous mouvoir dans une caverne sombre et lugubre. Nous aurait-on menti ? Mais finalement, après quelques dizaines de minutes d’un tutoriel basique, à la structure dans le plus pur esprit des Souls, on ouvre cette porte et c’est déjà la première claque que le jeu nous assène. Le monde ouvert est là, magnifique, gigantesque, intimidant même. Cette simple porte ouverte vers le monde symbolise la fin d’une ère. La fin de ces couloirs crasseux qui mettaient à mal notre claustrophobie. Dark Souls est mort, vive Elden Ring !
Immédiatement, le jeu veut nous en mettre plein la vue. Nous sommes submergés par un univers à la beauté inquiétante qui ne nous veut pas du bien. On le sait, et pourtant, on ne peut s’empêcher d’être attiré par les secrets qu’il renferme. La comparaison avec The Legend of Zelda: Breath of the Wild n’est pas fortuite. On se retrouve dans la même situation que Link qui, après son long sommeil, sort de sa grotte pour arriver sur le plateau du prélude, en étant un peu en hauteur pour surplomber les kilomètres de terrain de jeu.
Toujours dans l’esprit du jeu de Nintendo, à perte de vue, on distingue différents environnements que nous serons amenés à visiter. De l’église délabrée à quelques centaines de mètres en face, en passant par cet immense château, presque au bout du monde, jusqu’à ces forêts et marais que l’on peut à peine distinguer au loin. Mais avant tout ça, Nécrolimbe, cette première région, se présente à nous. Et très vite, elle nous offre la mort. Une première, une seconde, des dizaines même. Oui, Elden Ring est bien un héritier des Dark Souls.
On insiste néanmoins, et on apprend l’art de la fuite. Là où les nombreux décès pouvaient frustrer dès le début de l’aventure dans les différents jeux de FromSoftware, cette fois, rien ne nous empêche d’aller voir ailleurs ce qu’il s’y passe. D’autant que chaque plan du jeu est presque un Wallpaper pour nos écrans. La direction artistique d’Elden Ring est folle. Elle rend l’Entre-Terre, cette immensité sauvage, tellement irrésistible. Rarement nous avons pris une telle claque. Les premières heures de jeu sont un nectar à savourer sans modération.
On avance alors, d’abord prudemment, puis filant comme le vent à dos de notre cheval pour échapper à des hordes d’ennemis monstrueux, ne nous attaquant qu’à quelques éléments isolés par-ci, par-là. On déniche des grottes, catacombes et autres mines que l’on vide de leurs occupants pour y glaner de quoi mieux nous défendre. On prend confiance et on s’attaque à des ennemis de plus en plus coriaces avant de repartir à la chasse avec plus de puissance pour pouvoir affronter des ennemis encore plus redoutables. Chaque pas hors des sentiers battus finira par être récompensé. C’est là une grande force d’Elden Ring.
Tous les chemins mènent à l’E(l)den
Voilà une quinzaine d’heures que l’Entre-Terre nous a accueillis. Les mécaniques de jeu nous sont beaucoup plus familières à présent. La crainte que le challenge soit sacrifié sur l’autel de plus d’accessibilité aux néophytes du genre a volé en éclats depuis bien longtemps déjà. Clairement, Elden Ring n’est pas facile. C’est peut-être même, depuis l’ère des Souls, le titre qui met les plus belles fessées aux joueurs. Les monstres ne sont pas là pour se faire tuer. Ils ne vous feront pas de cadeaux, alors nous ne leur en ferons pas non plus. Chaque option de survie doit être exploitée.
La furtivité est souvent un bon point de départ. On essaie de dégrossir les troupes adverses, jusqu’à ce qu’on soit repéré. On se cache alors derrière un bouclier récupéré sur le cadavre d’un ancien ennemi vaincu, et on utilise cette nouvelle mécanique de contre, redoutablement efficace. On n’hésite pas non plus à utiliser nos cendres, ces espèces d’invocations spectrales, pour nous aider en combat. Si le corps-à-corps n’est pas à notre avantage, on s’éloigne alors pour utiliser l’une des très nombreuses magies que l’on pourra trouver dans le monde.
On fait face. On continue de tenir, tant bien que mal, en affrontant des dizaines et des dizaines de créatures d’un bestiaire que jamais nous n’aurions imaginé aussi varié. Chaque environnement a ses propres habitants. Là où dans d’autres grands mondes ouverts, on connaît l’immense majorité de nos ennemis après quelques heures, dans Elden Ring, les surprises horrifiques ne s’arrêtent jamais vraiment. Il convient à chaque nouveau lieu de rester prudent, et plutôt deux fois qu’une.
Car on a compris depuis bien longtemps maintenant que ce monde veut nous décrocher la mâchoire. Artistiquement, certes, mais aussi par les nombreux boss dont on croisera la route et qui prendront un malin plaisir à réduire en bouillie notre avatar. Et s’ils ne sont pas uniques, nombre d’entre eux étant réutilisés avec plus ou moins de variations (élémentaires notamment), nous prenons chaque fois beaucoup de plaisir masochiste à les découvrir, et même parfois à les vaincre.
Ce monde regorge de surprises. Chaque session de jeu est potentiellement une immense claque que nous assène le jeu. Des idées toutes simples pourtant, mais que personne n’a jamais eues ou appliquées à un titre de cette envergure. On se souvient avec délectation par exemple de ce moment où nous commencions à prendre la mesure de la taille de l’Entre-Terre. Puis, quelques minutes plus tard, suite à un événement dont nous vous laissons la surprise, nous voici téléporté dans une autre région, bien au-delà des frontières que nous nous étions imaginées. Oui, la carte s’agrandit au fur et à mesure de notre exploration, pour ne jamais révéler vraiment où se situent ses limites. Tout bonnement brillant.
Mais tout n’est pas parfait dans l’Entre-Terre, loin de là. Les soucis techniques sont nombreux. On pense bien sûr aux soucis d’optimisation sur PC, mais même sur notre mouture PS5, il n’est pas rare de constater de grandes surfaces apparaître ou disparaître comme par magie. Rien de vraiment rédhibitoire, heureusement. Au-delà de la technique pure, il y a aussi beaucoup de réutilisation d’assets (décors, mouvements des ennemis, équipements…), qu’il viennent d’autres régions d’Elden Ring, ou même des précédentes productions de FromSoftware.
La bague au doigt
Le compteur de jeu affiche déjà près de cent heures. Nous sommes toujours comme dans les premières phases de l’amour avec Elden Ring. En sa compagnie, les heures défilent sans que l’on s’en rende vraiment compte. À peine éloigné de l’Entre-Terre, on pense déjà à y retourner. Il nous hypnotise. On veut retourner à ses côtés et se perdre en lui. Alors, on succombe et on se laisse aller à cette envie.
On se laisse happer par son histoire, toujours aussi cryptique et dont nombre de tenants et aboutissants nous échappent encore. On a pourtant découvert de nombreux PNJ qui nous ont expliqué comment fonctionne leur monde au détour d’une quête annexe plus ou moins directement annoncée, mais on sent qu’il nous faudra des mois voire des années avant de comprendre tous les mystères du jeu.
Notre compteur de morts s’affole lui aussi. Peu de monde arrivera au crédit de fin, c’est certain. On a dû faire preuve de beaucoup de résilience pour surmonter toutes les épreuves qui se sont présentées à nous. Le moindre ennemi épique qui expirait son dernier souffle résonnait comme une douce mélodie à nos oreilles, contrastant avec les, encore une fois, magistrales compositions de notamment Yuka Kitamura et Tsukasa Saitoh à l’œuvre déjà sur Dark Souls, Bloodborne et Sekiro: Shadows Die Twice.
Comme dans chaque relation, tout n’est pas rose. On a pesté, plus d’une fois même, sur cette interface d’une austérité d’un autre temps. On a crié après cette IA d’une débilité parfois affligeante. On a même hurlé contre ces morts injustes face à des boss ou des monstres aux collisions douteuses ou générant des mouvements de caméra pouvant faire vomir les plus rodés à la réalité virtuelle. On aimerait que ces défauts disparaissent, mais ce sont aussi eux qui font le sel de notre relation.
Le courant aurait pu très mal passer, pourtant. L’âme d’Elden Ring ne s’offrant pas gratuitement aux joueurs, beaucoup de prétendants seront laissés sur le carreau. Un gros effort doit être fait dès le départ. L’investissement est lourd, en temps notamment, pour commencer à prendre du plaisir avec lui. Il faut accepter de commencer en n’étant rien dans l’Entre-Terre, là où la quasi intégralité des autres jeux nous permettent d’incarner des sur-êtres élus.
L’histoire l’a souvent montré. Nous, les faibles, devons nous unir contre les forts. C’est pourquoi l’entraide des joueurs est au centre de l’expérience, et si la première barrière est un peu trop haute au début, il ne faut pas hésiter à utiliser tous les moyens à notre disposition. Les moyens internes déjà, avec, comme d’habitude dans les jeux typés Souls, le système de coopération directe (invocation d’alliés) ou indirecte (messages au sol par exemple), mais aussi les moyens externes (Wiki, vidéos YouTube…). Elden Ring garde cet ADN Souls qui consiste à mettre en avant le partage et l’entraide des joueurs pour survivre face au jeu.
Quelle maestria ! Elden Ring est un grand jeu, indéniablement. Par sa taille, évidemment, mais surtout par son approche. Ce n’est pas un simple gimmick pour juste faire du « Dark Souls version open world”. C’est beaucoup plus que ça. Comme Breath of the Wild en 2017, il se réapproprie les codes du genre, les digère et nous offre sa vision de ce que devrait être le jeu vidéo en monde ouvert.
Il ne réussit pas tout, évidemment, et cède même parfois à la facilité en s’appuyant un peu trop sur son héritage. Les soucis techniques aussi sont nombreux et seront, on l’espère, atténués, voire corrigés dans des prochains patchs. Pourtant, on reste fasciné par cet univers d’une cohérence et d’une densité rarement atteintes jusqu’ici. Le jeu est là pour nous en mettre plein la vue, et sur ce point, il va au-delà de toutes nos espérances.
Chaque aspect du jeu a fait l’objet d’une attention particulière. Elden Ring se paie même le luxe de rehausser encore la barre de ses plus grands points forts, comme le level design des donjons dit « Legacy », encore plus tortueux que chez ses aînés, ou en ce qui concerne le sound design, plus immersif que jamais. Finalement, Elden Ring n’est pas seulement l’aboutissement d’une formule décennale. Il devient le nouveau modèle d’open world pour toute l’industrie, et un titre dont on parlera encore dans vingt ans.