Il n’est nullement exagéré de taxer Dragon’s Dogma de licence sous-estimée. Celle-ci, débutée en 2012 et dotée d’une proposition unique (même encore aujourd’hui), n’a pas rencontré le succès mérité, et ce, malgré ses nombreux portages et son édition augmentée intitulée Dark Arisen. L’absence de Dragon’s Dogma Online dans nos contrées incarne parfaitement la preuve d’un manque de popularité (et la mauvaise série Netflix n’a pas aidé). Mais voilà, comme de nombreuses belles histoires dans le jeu vidéo, une solide communauté s’est forgée au fil des années, au point de convaincre les équipes de chez Capcom de remettre le couvert pour un second opus : Dragon’s Dogma 2.
Impossible d’introduire correctement la saga au dragon sans mentionner Hideaki Itsuno. L’homme a porté sans relâche le projet en croyant dur comme fer à sa réussite. Prenant comme inspiration des titres de renom tels que les Elder Scrolls, Monster Hunter, Fable ou encore plus surprenant Grand Theft Auto V, le réalisateur a pu mettre à bien son idée et ainsi prendre sa revanche sur le passé.
Qui aurait pensé que ce Dragon’s Dogma 2 ferait partie des jeux les plus attendus de cette année 2024 ? Il faut dire que la fantasy a définitivement le vent en poupe à la suite du passage du mastodonte nommé Baldur’s Gate 3 : la magie et les épées n’ont jamais autant squatté nos écrans. Bon, il est temps de plier bagage, l’aventure nous appelle.
(Test de Dragon’s Dogma 2 sur PlayStation 5 réalisé à partir d’un code fourni par l’éditeur)
Vertigineuses pérégrinations
Avez-vous déjà ressenti un sentiment de liberté en jeu ? Celui qui pousse les portes d’un monde infini de prime abord, dans lequel tout est possible, et qui ne demande qu’à être exploré ? Dragon’s Dogma 2 insuffle de manière magistrale cette douce sensation en vous propulsant sans crier gare dans son vaste et riche univers.
De la même manière qu’un certain Oblivion ou qu’un Skyrim, notre histoire commence en prison où notre héros est condamné à casser des cailloux. Mais la sale besogne n’est qu’éphémère, puisque le destin a d’autres desseins. L’histoire est en marche (on évite volontairement tout spoil), et vous voilà maintenant en train de survoler le royaume à dos de griffon, échappant à votre supplice et embrassant votre réelle identité : celle de l’insurgé.
Après un atterrissage difficile, votre aventure peut réellement débuter. Mais par où aller ? La gauche ? La droite ? Et le coffre un peu plus au loin, comment l’atteindre ? Un sentiment de vertige se fait alors ressentir. Pas de panique : Dragon’s Dogma 2 et son contenu gargantuesque vous tendent juste les bras, à vous de faire le premier pas.
Bien sûr, cette brève phase d’introduction sert surtout de tutoriel afin d’apprendre les bases du déplacement et du combat. Notez également la possibilité de créer son propre personnage (ou d’en sélectionner un prédéfini) de la tête aux pieds à travers un module des plus élaborés. Trois races régissent les deux continents Vermund et Battahl qui composent le terrain de jeu de Dragon’s Dogma 2, mais seulement deux races sont disponibles à la création de personnage : les humains et les léonins (sorte de lion humanoïde). Les elfes vivent reclus plus au nord.
Les premières heures sont grisantes, il n’y a que découvertes et bonnes surprises. Le côté organique du monde ouvert est incroyable. Il se passe toujours quelque chose. Même dans les chemins les plus reculés, vous trouverez toujours de quoi faire, de quoi attirer votre curiosité. L’exploration a une place de choix et il conviendra de se laisser bercer sans trop réfléchir à travers les différentes pérégrinations : d’une tanière de loups sauvages, on rencontre un marchant ambulant, puis des harpies vous tombent dessus. Après l’assaut, vous apercevez une grotte cachée dans l’ombre avec certainement pas mal d’objets à dénicher…
Si certains considèrent que Breath of the Wild ou Elden Ring ont élevé le monde ouvert dans le jeu vidéo, Dragon’s Dogma 2 parfait la formule, et présente un univers d’une incroyable richesse et au level design exemplaire. Le mot exploration n’a jamais été aussi lourd de sens.
Échec et mat
Le trajet est épuisant, il est grand temps de faire une halte. Bonne nouvelle : la capitale de Vermund n’est qu’à quelques pas. Après la découverte des plaines et autres montagnes, place à la ville et ses nombreuses animations. La vie bat son plein en ces lieux et les habitants s’affairent à leurs occupations. Les cités sont surtout l’occasion d’entretenir son inventaire, d’améliorer son équipement et de faire le plein de quêtes secondaires. Les demandes pleuvent, et il sera nécessaire de s’organiser un minimum afin de ne pas succomber au volume de missions à mener. Encore une fois, Dragon’s Dogma 2 se montre plus que généreux sur les éléments annexes à l’aventure principale qui, elle, peine malheureusement à convaincre.
Vous êtes ce qu’on appelle un insurgé, un élu dont le cœur a été volé par le dragon. Identifiable via une marque laissée sur le torse, l’insurgé dispose d’un pouvoir unique : celui de contrôler les pions. Ces derniers sont des êtres venus d’autres dimensions (voyageant à travers des failles). Sans émotion ni sentiment, ces alliés ne font que suivre les ordres. Vous pourrez invoquer jusqu’à trois pions en même temps, dont un principal qui ne pourra pas être remplacé. Ce système de pion, unique en son genre, est en réalité un intelligent moyen de jouer en ligne sans réellement jouer en ligne.
On s’explique : chaque pion principal des joueurs peut être repris par d’autres via une faille d’invocation qui fait office de place du marché. De la même manière qu’un Dark Souls et ses messages d’outre-monde, Dragon’s Dogma 2 détourne les codes établis pour garder une expérience exclusivement solo teintée de multijoueur. Mieux encore, si certains pions ont déjà visité un lieu précis dans une ancienne vie, ils sauront vous guider et vous indiquer les emplacements de trésors. Avec cette configuration, il est facile de changer de compagnon de route, de renouveler l’expérience, car chaque pion est différent (de par son allure, sa classe de combat et son comportement).
Faites vos classes
Le monde offert par Dragon’s Dogma 2 regorge de mille dangers et les affrontements seront légion. Les combats sont dynamiques et dépendent fortement de votre classe sélectionnée. Chevalier, archer, assassin, à vous de choisir votre style. Sachez néanmoins que plus vous usez d’une classe, plus votre expérience en celle-ci augmente, débloquant de nouvelles capacités. Il est assez rapide de maîtriser à 100 % une classe, vous invitant à changer d’approche le plus souvent possible. Là où certains jeux vous poussent à vous spécialiser dans une unique classe, Dragon’s Dogma 2 fait tout l’inverse et vous incite à tester un maximum de styles de combat, et certains, cachés, sont même à débloquer…
Épiques est certainement le terme le plus approprié pour qualifier les combats. En groupe de quatre (voire plus si des PNG se trouvent dans les parages), les affrontements deviennent de véritables champs de bataille, mais attention à bien doser votre jauge d’endurance. Si celle-ci se vide en fonction de vos actions (courir, sauter, attaquer, compétences offensives, magie…), vous serez alors à la merci de vos assaillants.
Et comment ne pas parler des combats d’ennemis imposants (trolls et autres minotaures) dans lesquels il est possible d’escalader la bête (de la même manière qu’un Shadow of The Colossus) pour lui infliger de lourds dégâts sur la tête. Peut-on faire plus épique ? Il est à souligner tout de même un léger défaut de la caméra lorsque le nombre d’ennemis est important, mais rien de bien contraignant.
Maillons faibles
Avons-nous affaire au jeu ultime ? On cumule les éloges, mais force est de constater que le dragon est loin d’être parfait. On l’avait mentionné plus tôt, mais le scénario est assez creux et n’est clairement pas à la hauteur. Même s’il existe quelques cinématiques bienvenues prenant le temps d’expliquer les péripéties (surtout au début et à la fin), Dragon’s Dogma 2 manque d’une narration claire. Au final, on ne comprendra qu’à moitié les tenants et les aboutissants de l’histoire, surtout si on a passé la majeure partie du jeu à vagabonder joyeusement et à remplir les quêtes optionnelles.
Hideaki Itsuno et ses équipes ont pris le parti de ne pas intégrer systématiquement le voyage rapide et ainsi inciter les joueurs à gambader un maximum. Il existe bien des objets de téléportation (et autres moyens de transport plus ou moins rapides), mais ces derniers sont assez limités en nombre. En toute transparence (et en évitant la vaine polémique des transactions in-game), ça devient très pénible durant le dernier tiers du jeu, quand les allers-retours se cumulent, surtout que les mobs sont bien trop nombreux. On passe notre temps à combattre tant les monstres pullulent sur les chemins, et à la longue, ça devient fatigant. Et à ce propos, le bestiaire se veut assez limité avec à peine une dizaine de types de monstres basiques.
Autre point faible, l’IA peut se montrer capricieuse à certains moments avec des alliés qui se jettent d’une falaise ou arrêtent de vous suivre sans raison. On retrouve d’ailleurs des situations burlesques à la Besthesda, comme par exemple une discussion avec un PNJ lors de laquelle ce dernier se prend d’un coup la torche d’un gobelin apparu quelques mètres plus loin, du beau random comme on aime. Au début, ça fait sourire, à la fin, on souffle.
Mais ce n’est pas tout : on note également d’autres points qui pénalisent l’immersion, et ici, on pense notamment à l’eau. Impossible de nager. Dès lors que vous n’avez plus pied, un kraken rouge sorti de nulle part vous agrippe pour vous faire réapparaître sur la terre ferme. On a vu mieux comme cache-misère, non ? Les musiques sont trop en retrait, l’OST est clairement centrée sur des musiques d’ambiance plus qu’autre chose, ce qui est loin d’être désagréable, bien au contraire, mais un thème fort aurait dynamisé un peu l’ensemble et appuyé l’identité du titre.
Imparfait, Dragon’s Dogma 2 reste malgré tout une expérience enivrante et porte tout un genre au niveau supérieur. Qu’on se le dise, le jeu n’est pas fait pour tout le monde, il faudra aimer prendre le temps, se perdre dans les étendues sauvages, dénicher des trésors cachés au fin fond de donjons peu accueillants, bref, l’aventure avec un grand A. Le point fort du jeu réside dans son monde ouvert organique d’une richesse et d’une générosité inouïes. Jamais on n’aura pris autant de plaisir à vagabonder dans un univers tant il y a des choses à explorer et à découvrir.
Hideaki Itsuno tient bien ici sa revanche. Certes, le jeu n’aura pas l’impact d’un Elden Ring, mais quand bien même, il se hisse parmi les grands noms, de ceux qui immergent le joueur dans un monde fantastique où tout est possible, et c’est précisément pour ça qu’on aime les jeux vidéo, n’est-ce pas ?