Il est toujours difficile de juger de la qualité d’un jeu comme Clid The Snail. Réalisé par le petit studio espagnol Weird Beluga (meilleur nom de studio), issu d’une idée née lors d’une game jam, le titre est bourré de bonnes intentions et de grandes ambitions. À cela s’ajoute un concept assez fou, qui met le joueur dans la peau gluante d’un escargot armé jusqu’aux antennes, et une direction artistique peu commune. Cependant, si Clid The Snail intrigue et est très séduisant sur le papier, il pose une grande question : est-ce que de bonnes intentions suffisent à faire un grand jeu ? La réponse risque d’être bien plus compliquée que prévue.
(Test de Clid The Snail réalisée sur PS4 Pro à partir d’une version fournie par l’éditeur)
Escargot : Limace qui a accédé à la propriété
Cette citation que l’on doit à Laurent Baffie est une bonne base pour poser les enjeux de Clid The Snail. Dans un monde miniature peuplé d’animaux anthropomorphes à géométrie variable (une tortue est aussi grande qu’un rat, et les chauve-souris font la même taille que les hérissons), les terribles et sanguinaires limaces menacent la société bâtie par les escargots. Révolte communiste ou guerre d’intérêt, le scénario vous le révélera.
Clid, lui, n’a vraiment pas de bol : il vient d’être chassé de la citadelle des gastéropodes à coquille, et doit donc trouver un nouvel abri, et au passage exterminer les limaces, rats, et autres menaces qui peuplent ce monde hostile. Heureusement, il n’est pas seul : Belu, une luciole, lui servira de compagnon d’infortune, et il rencontrera rapidement une petite bande de parias avec qui partager le gite et le couvert.
Un scénario qui tient sur une coquille d’escargot, ce que l’on pardonnera assez aisément, puisque le cœur du jeu n’est absolument pas la narration (et c’est bien dommage, mais on y reviendra). Clid The Snail est avant tout un défi. Utilisant les mécaniques de twin-stick shooter comme Enter The Gungeon ou Ruiner, l’escargot propose une aventure très typée arcade, avec un chouïa d’exploration, et du shoot, du shoot et encore du shoot.
Si le feedback des armes est plutôt honnête, avec un panel total de huit armes, toutes plutôt agréables à utiliser et adaptées à certaines situations ou types d’ennemis précis, le jeu souffre d’un gros bémol : la lenteur de déplacement de Clid. Certes, on peut y voir une référence à la nature même de la bestiole. Certes, on pourra se convaincre que le rythme ralenti du héros permet de ne pas tomber dans les écueils des twin shooter trop nerveux, et de garder le contrôle du placement du personnage. Certes, on argumentera en disant qu’on y gagne en lisibilité de l’action…
Mais tout ceci serait se cacher la vérité : dans la conception même du héros, les développeurs ont fait un mauvais choix. Le challenge de base proposé par Weird Beluga est en effet assez relevé, voire très corsé par moment, avec des ennemis qui infligent des dégâts considérables, et qui ne tombent sous vos coups après plusieurs assauts. La lenteur de Clid (déplacements, esquives, etc.) ne fait ainsi qu’accroître drastiquement la difficulté du titre, au point d’en devenir frustrant, même pour les joueurs les plus aguerris.
Malheureusement, là où un jeu difficile peut procurer une grande satisfaction quand on surmonte ses épreuves, ici, même un combat de boss sur lequel on aura passé de très longues minutes ne laissera qu’une impression amère, puisque l’on sait que pire encore nous attend.
Juger un escargot à sa coquille
Et pourtant, malgré cela, Clid The Snail donne bien des raisons d’être découvert et apprécié, à commencer par sa direction artistique d’une grande intelligence. L’escarg-héros évolue dans un monde post-apocalyptique sombre et dangereux, dont l’histoire est plus racontée par les décors que par les dialogues. Restes de corps humains, vestiges de notre civilisation (piles, écrans, CD, etc.) et nouvelles constructions réalisées par les animaux devenus humanoïdes, le tout bénéficie d’une ingéniosité digne des meilleurs studios.
Le level-design est lui aussi assez brillant, et s’appuie sur la direction artistique afin de produire un ensemble d’une cohérence organique rare. Les développeurs sont parvenus à concevoir des niveaux labyrinthiques qui donnent envie d’être explorés de fond en comble, car regorgeant de bonus en tout genre (argent, items collectables). On soulignera une exploitation de la verticalité plutôt maline, bien que pas assez présente.
Entre deux combats farouches, il se dégage déjà un je-ne-sais-quoi de poétique du monde dépourvu d’Hommes de Clid The Snail, où la nature a repris ses droits. Voir ces animaux reproduire les erreurs des humains amène un ton mélancolique à l’ensemble. On se retrouve presque face à des Fables de La Fontaine modernisées, revues et corrigées pour coller aux enjeux de notre époque.
Le titre a l’intelligence de contrebalancer ce côté assez spleen par un humour omniprésent. Clid a un sacré penchant pour la bouteille (de jus de bambou), et n’hésite pas à envoyer punchline sur punchline à tous ceux qu’il croise. Et c’est précisément dans ces moments-là que le titre de Weird Beluga brille vraiment. L’écriture des dialogues a bénéficié d’un soin tout particulier, et on ne peut que saluer le travail des traducteurs, qui ont fourni une version française vraiment excellente.
Quel dommage que cela ne suffise pas à faire oublier le gameplay un peu bancal, et surtout la difficulté très mal dosée du titre. Le titre de Weird Beluga semble souffrir d’un dédoublement de la personnalité, tiraillé entre un jeu aux capacités narratives de haut vol qui motivent le joueur à avancer, et un twin stick shooter bancal, plombé par une difficulté trop mal dosée, frustrante au possible. Pour un coup d’essai, les Espagnols ne s’en tirent pas si mal, mais on a surtout hâte de les voir évoluer sur d’autres terres vidéoludiques, peut-être plus centrées sur la narration.
Twin-stick shooter aux ambitions narratives brimées par une difficulté mal dosée, Clid The Snail est un titre schizophrénique. Son univers est fascinant, et donne envie d’être exploré. Son héros est attachant, l’humour et la poésie du titre contribuent à lui forger une identité propre. Cependant, il est impossible de ne pas se sentir frustré par un mauvais équilibrage en termes de difficulté, et par l’affligeante lenteur du héros.
Ceci dit, on ne peut que saluer le travail de la petite équipe de Weird Beluga, qui a su faire preuve d’une grande ingéniosité dans le level design, et l’élaboration du monde. Si vous parvenez à pardonner à Clid The Snail ses quelques escarres… Go !