Voilà maintenant huit ans que Civilization VI a vu le jour et il était temps pour Firaxis de revenir avec un épisode canonique inédit, afin d’apporter un nouveau souffle à sa licence. Après des extensions plus que réussies, introduisant bon nombre de mécaniques qu’il manquait à la version vanilla, ainsi que quelques DLC mineurs, la franchise devait faire sa mue, et c’est exactement ce qu’entend entreprendre Civilization VII, à savoir être l’épisode du renouveau et de la modernité.
Et on ne peut s’empêcher d’y voir là l’écho du succès d’un autre 4X, un certain Humankind d’Amplitude Studio, qui avait apporté au genre ses propres spécificités qui tranchaient parfois radicalement avec celles de la licence de Firaxis. Alors, le nouveau bébé du studio parvient-il à se montrer à la hauteur des espoirs que l’on a placés en lui ?
(Test de Civilization VII sur PC réalisé à partir d’une version fournie par l’éditeur.)
Révolution. Voilà ce que se veut être Civilization VII pour la licence, puisqu’il tente de moderniser des mécaniques de jeu éculées, en prenant en partie exemple sur Humankind, tout en gardant une identité propre. En d’autres termes, si le titre nous demande toujours de prendre en main une civilisation avec un leader historique, il n’est plus question ici que ce dernier guide une seule et même nation à la victoire finale, mais bien de varier les plaisirs durant les âges en jonglant entre chacune d’elle, à l’instar encore une fois du 4X d’Amplitude.
Si l’on choisit comme de coutume en début de partie une figure qui guidera notre civilisation jusqu’au firmament, chaque âge, ici au nombre de trois (Antiquité, Exploration, Moderne), nous oblige à changer de civilisation. Si l’on perd alors en précision historique, on gagne en contrepartie en liberté de choix quant à l’orientation que l’on veut donner à notre empire.
Forcément, nos leaders, aujourd’hui affublés d’un système d’expérience leur permettant de débloquer quelques attributs bonus pour nos parties futures, sont plus ou moins orientés vers des aspirations précises. Certains seront centrés sur la culture et la science, alors que d’autres privilégieront l’économie et l’expansionnisme, et il en va de même pour les civilisations présentes. Néanmoins, cela n’est en rien un frein à l’expérimentation, bien au contraire, car Civilization VII nous demande tout de même de toucher un minimum à tout pour gérer au mieux notre empire.
Dans les faits, une partie est découpée en trois séquences bien distinctes qui correspondent aux trois âges jouables. Entre chacune d’elles, on choisit une nouvelle civilisation à diriger en prenant en compte celle que l’on a d’office grâce à notre leader, celle que l’on a débloquée en remplissant quelques prérequis durant l’ère précédente, mais aussi et surtout vis-à-vis de l’état de la partie en cours et de l’orientation qui nous semble la plus pertinente pour remporter la victoire finale. Victoire que l’on peut atteindre en dominant économiquement, culturellement, militairement ou encore scientifiquement nos adversaires.
Et si l’on ne retrouve pas la victoire diplomatique, car elle était en l’état trop simple, on est aussi heureux que celle liée à la religion a été abandonnée, parce qu’absolument infâme à jouer. Sur le papier, tout ceci paraît en un mot génial pour qui aime le 4X, mais en réalité, si Civilization VII est un très bon titre, il souffre de gros problèmes qui l’empêchent, en l’état, de se hisser au même niveau que ses illustres ancêtres.
Les moutons ne veulent qu’un leader charismatique
Dans un premier temps, si le système d’expérience implémenté en jeu est une bonne idée, nous encourageant à jouer avec un même leader de nombreuses parties, ce dernier perd néanmoins en importance, puisque ce qui compte ici et avant tout ce sont les civilisations que nous choisissons. Toutes apportent leur lot d’inconvénients, mais surtout d’avantages qui nous permettent de mettre l’accent sur différents facteurs de jeu. On parle de bâtiments, unités et bonus exclusifs liés à chacune. Le choix d’opter pour telle ou telle nation prend en compte bien plus ces critères plutôt que d’autres liés à notre leader.
Et donc, malgré un casting cinq étoiles (Napoléon, Benjamin Franklin, Machiavel) qui fait tout de même assez pâle figure face aux précédents jeux, les personnages historiques sont assez vite relayés au second plan. De même qu’on note un gros déséquilibre entre chacun d’eux, surtout ceux qui se concentrent sur la diplomatie, tant elle n’est pas forcément à la hauteur des espérances, mais nous y reviendrons par la suite.
Néanmoins, tout n’est pas noir, et le principe de devoir changer de civilisation entre chaque âge fonctionne plutôt bien, nous permettant au passage de changer notre politique dogmatique, car rien ne nous empêche d’achever l’Antiquité dans des conquêtes sanglantes et d’aborder l’ère de l’Exploration avec une vision plus économique et diplomatique qu’auparavant. Et c’est là une des promesses de Civilization VII, nous offrir la liberté d’écrire notre histoire comme nous l’entendons.
Un empire fondé sur les armes a besoin de se soutenir par les armes
Et globalement, la promesse est tenue, même s’il y a à redire. Déjà, et c’est l’une de nos principales déceptions, les cartes sont beaucoup trop petites (et similaires) et c’est constamment l’embouteillage pour agrandir son empire. De ce fait, on est fréquemment forcé d’entrer en guerre pour glaner des terres, et le pacifisme devient quasiment une utopie en jeu. Aussi, cela pousse l’IA elle-même à se montrer trop belliciste et surtout à créer des colonies un peu partout en faisant fi de toute cohérence territoriale.
Hormis cela, on est bien en présence du fils spirituel de Civilization VI dans tout ce qui concerne la recherche technologique et culturelle, chaque âge présentant deux arbres de base, ainsi qu’un troisième lié à la civilisation que l’on a choisie, avec en plus des maitrises que nous pouvons étudier et qui renforcent l’apport d’un dogme ou d’une technologie que nous avons appris précédemment. De là, on retrouve aussi les fameuses doctrines orientant notre politique, ainsi que les différents types de gouvernement que l’on choisit au début de chaque âge.
Chacun d’eux apportent toujours des bonus dans des domaines donnés comme la science, l’or ou encore la construction de bâtiments, mais cette fois-ci de manière ponctuelle avec des célébrations, sortes de fêtes nationales. On est là à peu près en terrain conquis, et l’inédit vient surtout des différents arbres de compétences qui nous permettent d’améliorer certains aspects de notre nation, comme augmenter notre rendement en or, ou encore de pouvoir former plus rapidement des unités militaires.
Les crises majeures font aussi leur apparition et frappent à chaque fin d’âge plus on approche de leurs termes. Elles apparaissent sous différentes formes : épidémie de peste qui gèle notre ville, bataille religieuse entre nations… En fonction de leurs natures, elles sont plus ou moins dommageables. On adopte alors des doctrines de crises qui sont certes bénéfiques, mais non sans quelques malus en retour.
Tout ceci se tient bien, mais le bât blesse par contre dans le dirigisme qu’impose la mécanique d’âge. Chaque temporalité dispose d’objectifs spécifiques à remplir liés à l’économie, la science, la culture et le militarisme, afin d’engranger le maximum de points d’héritage et de les utiliser au début de la période suivante pour débloquer des bonus non négligeables.
Et ils sont très importants, car le passage d’un âge à un autre se fait dans la douleur. Nos unités militaires, nos indices de points scientifiques, culturels ou encore notre économie sont réinitialisés, et parfois divisés par deux, et toutes les guerres s’arrêtent, alors que les routes commerciales deviennent caduques. On reprend alors avec un rééquilibrage global entre chaque civilisation, d’où l’importance d’engranger le maximum de points pour pouvoir repartir avec le plus d’avantages possibles sur nos concurents.
Ce n’est pas une mauvaise idée dans l’absolu, mais les objectifs sont toujours les mêmes de parties en parties, et on se met alors à répéter les mêmes actions en boucle pour acquérir le plus de points d’héritage possibles, tout en prenant en compte la part d’aléatoire dans le comportement de l’IA et des joueurs, mais le fait est que, oui, Civilization VII encadre un peu trop le joueur.
On aurait souhaité plus de variété dans l’ensemble, car pour le moment on se sent comme libre dans une prison de mécaniques répétitives. Et il en va de même pour ce qui est des conditions de victoires finales, totalement déséquilibrées, tant deux d’entre elles sont absolument faciles à obtenir.
Pour le moment, Civilization VII paraît plus être une ébauche qu’autre chose et Firaxis a encore du pain sur la planche pour équilibrer et apporter de la variété à l’ensemble. La religion par exemple, qui n’a d’intérêt que durant l’âge d’Exploration est absolument inutile, tant elle est pénible à gérer, alors qu’elle apporte malgré tout quelques petits bonus sympathiques.
La bonne politique est de faire croire au peuple qu’il est libre
Plus concrètement, le reste est assez impressionnant dans les mécaniques présentes. On distingue maintenant deux types de cités différentes, les communes et les villes. Les premières sont un peu nos points d’exploitations des ressources qui abreuvent les secondes principalement en nourriture et en production, et peuvent même être spécialisées pour se concentrer sur un secteur précis en augmentant leur rendement au détriment de leur croissance. Les secondes sont les pôles économiques, scientifiques, culturels et diplomatiques de notre empire, capablent d’accueillir les batiments les plus élaborés, ainsi que les merveilles construites.
Il est alors nécessaire de savoir bien gérer notre balance numéraire entre les communes et les villes, afin de trouver un équilibre moteur à notre évolution en tant qu’empire.
Cette nouveauté apporte une profondeur insoupçonnée au jeu, tant elle est déjà mal expliquée par le très navrant tutoriel, mais aussi parce qu’elle met en lumière un aspect micro gestion jusqu’alors quasiment absent des autres jeux de la licence. Il y a tout un tas de subtilité sous jacente qui demande un certain temps d’apprentissage et de facto, on se trompe souvent au départ, ce qui peut être un vrai frein, car on ne peut spécialiser ses communes qu’une seule fois par âge.
De même que si la diplomatie est bien plus élaborée que dans Civilization VI, pour notre plus grand plaisir, l’IA reste hasardeuse, déclare des guerres pour rien, et nous prend en grippe pour pas grand-chose. Cependant, les possibilités d’alliances diverses, d’échanges, d’espionnages et de sabotages sont bien meilleures que précédemment, même si toujours trop limitées à notre goût.
Nos points diplomatiques nous permettent aussi de prendre le contrôle des peuples indépendants disséminés sur toute la carte et qui remplacent les tribus barbares et cités états. En dépensant ces derniers, on peut se nouer d’amitié avec elles, ou encore les envoyer attaquer des civilisations adverses, voire même les absorber ou nouer des alliances. Ces cités donnent, une fois devenues vassales, des bonus non négligeables et peuvent aussi servir de ligne de défense à nos frontières.
Civilization VII rabat donc les cartes sur pas mal d’aspects et si on regrette la disparition de certaines choses, comme les personnages illustres, il faut reconnaître que l’ensemble est emballant. Notamment au niveau des guerres que l’on mène, durant lesquelles il faut prendre en compte le soutien que l’on reçoit lorsqu’un conflit éclate. D’ailleurs, on note l’arrivée de districts fortifiés, qui rendent la prise d’une colonie bien plus longue, puisqu’il faut tous les capturer pour en prendre possession.
On reconnait pareillement que les affrontements sont plus tactiques, surtout contre une IA haut level (oubliez à bas niveau, elle fait n’importe quoi) ou un joueur humain, puisqu’il faut prendre en compte aujourd’hui l’utilisation des généraux de guerre qui peuvent diriger une armée et possèdent tous un système d’expérience avec différents arbres de compétences. Plus ils mènent nos troupes à la victoire, plus ils évoluent. Disponibles sur terre, en mer et dans les airs, ils sont indispensables et nous invitent à les spécialiser de manière réfléchie.
De même que si la loyauté a été abandonnée, l’indice de bonheur devient une composante bien plus importantes qu’auparavant et peut se montrer difficile à gérer. Tout un tas de choses peuvent nous permettre de l’augmenter, bâtiments et ressources entre autres choses, mais attention aussi à ne pas trop élargir son empire, car cela impact grandement le bonheur des citoyens dès lors que l’on dépasse une certaines limites, elle aussi extensible au fil du temps.
Et c’est finalement là que cet épisode surprend, il nous demande constamment de réfléchir à chaque aspect de notre empire, de le façonner en spécialisant ce qui doit l’être et en prenant des risques. Jamais nous n’avions autant planifié sur le long terme que dans Civilization VII et la marge d’erreur est minime, nous incitant à l’analyse.
Dommage alors que l’austère interface soit si mauvaise, trop avare en informations précises qui nous permettraient d’être encore plus pointilleux, car même l’encyclopédie disponible en jeu est peu ergonomique et pas si utile. Alors que le jeu, lui, est magnifique, affichant un niveau de détails impressionnant pour un 4X, avec une direction artistique légèrement moins cartoon que dans le sixième épisode. En plus de cela, il tourne comme un charme, malgré quelques bugs d’affichage ici et là, et des catastrophes naturelles qui manquent de mordant aussi bien visuellement qu’au niveau de leur ampleur.
Paradoxal, voilà le mot qui qualifie le mieux Civilization VII. Prenant, chronophage, blindé de bonnes idées et révolutionnaire pour la licence, il n’en reste pas moins décevant sur certains points qui auraient mérité un peu plus d’approfondissement de la part de Firaxis. Légèrement trop dirigiste à notre goût dans sa globalité, le titre se montre bien plus prenant en multijoueur que face à l’IA, qui reste encore hasardeuse. Cependant, l’obligation de changer de civilisation entre chaque âge apporte de réelles possibilités diverses et variées quant à l’orientation que l’on veut donner à notre empire, de même que tout l’aspect micro gestion est une très bonne surprise qui amène de la profondeur au jeu.
Le ressenti actuel que l’on a du titre est assez mitigé donc, et même si l’on ne peut nier qu’il est déjà en l’état très bon, il reste beaucoup de travail à Firaxis pour pondérer le tout, patcher ce qui doit l’être et revoir encore quelques mécaniques qui sont actuellement assez redondantes. Il y aura surement des extensions qui marqueront le retour d’options disparues (congrès mondial, victoires et âges supplémentaires, cartes plus grandes, tourisme ?), et surtout une pléthore de correctifs bienvenus, car on aurait préféré un jeu plus abouti de facto, qu’une sorte de système d’expérience et de défis nous permettant de débloquer bannières et autres inutilités du genre.