Développé par Hack The Publisher et édité par Serenity Forge, Centum est une aventure qui flirte avec l’horreur psychologique et l’expérimentation méta. Avec son pixel art somptueux, sa mise en scène stylisée et son récit volontairement obscur, le jeu semble vouloir rejoindre la droite lignée des expériences purement narratives qui veulent transcender le médium, comme Slay the Princess ou Doki Doki Literature Club du même éditeur.
Mais si son esthétique tape dans l’œil et que son atmosphère fonctionne à plein régime, le jeu se perd un peu en route. Trop flou, trop limité, peut-être trop frustrant ? Sommes-nous face à un concept séduisant mais seulement visuel ?
(Test du jeu Centum sur PC réalisé à partir d’une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Un monde en déliquescence
S’il y a un truc qu’on ne peut pas enlever à Centum, c’est qu’il dégage quelque chose. Son pixel art est magnifique, ultra-détaillé, avec des décors délabrés qui transpirent l’étrangeté et la claustrophobie. Les palettes de couleurs, souvent sombres et désaturées, créent une atmosphère pesante, renforcée par des jeux de lumière bien sentis et des animations subtiles. Visuellement, c’est hyper soigné, et l’univers du jeu arrive à nous happer instantanément.
Les personnages, eux, oscillent entre le grotesque et l’énigmatique, avec des visages absents et distordus, renforçant le malaise ambiant. Le jeu pousse à merveille cette esthétique pour donner vie à un monde qui semble tout droit sorti d’un rêve fiévreux, dans lequel la logique vacille, où les décors changent comme dans un délire halluciné, et où chaque détail semble à la fois familier et profondément troublant.
Côté mise en scène, certaines séquences bénéficient d’un trait crayonné dynamique, accentuant le sentiment d’instabilité et de perte de repères. Ces moments donnent au jeu un cachet très atypique, fascinant, et offrent des respirations bienvenue.
L’histoire, elle, est volontairement obscure : après l’exploration d’un PC rempli de fichiers texte mystérieux, chiffrés ou non, le joueur lance un .exe. On se réveille ensuite enfermé dans une cellule, pris au piège d’une simulation étrange contrôlée par une IA nommée BeeMK. Le jeu nous balance dans ce monde entre rêve, cauchemar et prison numérique, où tout semble construit autour d’un cycle dont on essaie tant bien que mal de s’échapper.
Centum ne livre pas ses réponses facilement et mise sur une narration volontairement fragmentée et cryptique pour laisser le joueur assembler lui-même les pièces du puzzle. Ce côté ambigu et mystérieux, on aime ou on déteste, mais il peut surtout laisser le joueur sur le carreau de l’incompréhension.
Prison narrative
Là où Centum essaie de se démarquer, c’est dans son approche narrative méta, où l’IA joue autant avec le joueur qu’avec le personnage. Le jeu aborde, ou tente d’aborder plutôt, des thèmes intéressants : le but de la création artistique, l’IA génératrice comme une prison dont il est impossible de s’échapper, et bien d’autres sujets issus de traumatismes.
Le jeu questionne aussi la nature de la réalité, de l’identité et du libre arbitre dans une ambiance nihiliste, mais il peine à atteindre la maîtrise d’un Slay the Princess ou d’un Doki Doki Literature Club. Là où ces jeux parviennent à axer un game design en parfaite symbiose avec leur propos, Centum se complaît parfois dans une obscurité narrative artificielle, donnant plus l’impression d’un puzzle conceptuel avec un filtre inintelligible entre son propos et le joueur.
Mentionnons aussi que, malgré son apparence de point-and-click avec des objets à ramasser et des énigmes à résoudre, on s’attend à explorer, utiliser des objets et cogiter sur des puzzles bien ficelés. Sauf qu’en réalité, il n’en est rien, même si quelques secrets disséminés à droite et à gauche rappellent les mécaniques d’un ARG.
Le jeu tient bien plus du visual novel, dans lequel on passe l’essentiel de son temps à lire et dialoguer. Le premier chapitre offre de nombreuses possibilités d’expérimentation, mais cela s’amenuise par la suite. Si on adhère à la proposition purement narrative, ça peut passer, mais pour ceux qui espéraient un vrai jeu d’aventure avec des énigmes stimulantes, vous allez être déçus.
Centum est une œuvre singulière, qui séduira avant tout par son esthétique saisissante et son ambiance pesante. Le jeu parvient à créer de véritables moments d’horreur par un surréalisme glauque et véritablement fascinant.
Néanmoins, son récit trop cryptique et son game design bancal seront un frein pour beaucoup. Si vous êtes amateur d’ambiances étranges et oppressantes, et que l’aspect expérimental et cryptique ne vous rebute pas, Centum vous fera sans nul doute voyager pendant quelques petites heures. On se réveille malheureusement trop vite de ce sympathique cauchemar.