Il fut un temps où Bleach trônait aux côtés de Naruto et One Piece, formant le fameux Big Three du shonen. Œuvre singulière de Tite Kubo, le manga se démarquait par son esthétique et surtout son obsession pour la mort, là où ses deux rivaux célébraient la vie et l’aventure. Considéré comme le canard boiteux du trio, la licence a connu une seconde vie en 2022 avec l’adaptation animée, toujours en cours, de son ultime arc : Thousand-Year Blood War. L’occasion semblait donc parfaite pour relancer la machine en jeu vidéo.
Bleach Rebirth of Souls est signé Tamsoft, un studio japonais connu à ses débuts pour la série Battle Arena Toshinden, avant de se spécialiser dans des productions modestes et souvent oubliables comme Onechanbara, Senran Kagura ou plus récemment Captain Tsubasa: Rise of New Champions. Le studio promettait ici une adaptation fidèle de l’univers signé Tite Kubo. En pratique, on se retrouve avec un jeu de combat aussi insipide qu’inabouti, plombé par des choix de game design difficiles à défendre.
(Test du jeu Bleach Rebirth of Souls sur PC réalisé à partir d’une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Memories in the Rain
Bleach Rebirth of Souls tente un hommage à la série en respectant la trame narrative principale, offrant aux fans les grands arcs de l’anime. Des événements du début, jusqu’au dénouement de la bataille de Karakura sont présents, avec les doublages japonais originaux. La mise en scène, bien que parfois inspirée de l’anime, manque de dynamisme — dirons-nous par euphémisme — et l’illusion de fidélité se dissipe aussi rapidement que l’on lance le mode histoire.
Les chapitres sont découpés en courtes séquences de cinq minutes, ponctuées de chargements incessants et de fondus au noir, qui viennent alourdir encore plus une mise en scène déjà exécrable. Ce découpage nuit gravement au rythme, brise l’immersion et rend l’expérience solo particulièrement laborieuse. Même si le contenu proposé est relativement généreux, avec une campagne qui couvre une grande portion de l’œuvre, l’ennui s’installe rapidement, car rien n’est fait pour maintenir l’intérêt du joueur dans la durée.
Les personnages restent figés, sans vie, des fois avec une expression grotesque sur le visage, et les scènes clés, n’ont très souvent aucune portée émotionnelle. La caméra, souvent figée en champ/contrechamp, ne permet pas de respirer, et les personnages parlent sans se mouvoir, ce qui empêche d’établir un minimum d’immersion.
Ce n’est qu’au bout d’un moment, vers la fin de l’arc de la Soul Society, que l’on aperçoit quelques tentatives de dynamiser la mise en scène, avec, ô miracle, la caméra qui découvre qu’elle peut bouger. Quelques très sympathiques cinématiques reprenant l’anime font aussi leur apparition, en général à la fin des arcs, comme la mort d’Ulquiorra ou le baiser volé d’Orihime. Malheureusement, ces rares éclairs de lucidité sont bien trop éparpillés pour rattraper l’ensemble.
Le jeu a l’ambition de couvrir une multitude d’arcs narratifs, mais cette ambition se solde par une condensation à l’extrême, où l’on passe d’un combat à l’autre sans véritablement comprendre les enjeux ou les relations entre les personnages. Les dialogues, trop souvent expédiés, et les relations entre les protagonistes sont au second plan.
Les flashbacks, mal intégrés et souvent placés de manière aléatoire, sont censés combler les trous, mais tombent à plat et cassent un rythme déjà inexistant. L’ensemble est précipité, frustrant, et uniquement accessible pour ceux qui connaissent déjà l’univers de Bleach sur le bout des doigts. Et ce sont eux que l’on plaint le plus.
End of Hypnosis
D’un point de vue technique, Bleach Rebirth of Souls est un échec flagrant. Sur PC, les performances sont catastrophiques, avec un framerate très bas au vu de la pauvreté visuelle des décors, et des crashs récurrents pour beaucoup de joueurs. Les ombres sont elles aussi tout simplement hideuses. Le moteur semble à bout de souffle, et aucune optimisation ne viendra sauver l’expérience.
Côté direction artistique, il y a tout de même quelques rares efforts. Les openings entre les arcs sont soignés, avec de jolis assets 2D qui rappellent l’esthétique du manga. Mais les modèles 3D, eux, sont passables. Un tiers des Vizards, n’ont même pas le droit de présence dans le jeu et sont à peine mentionnés, ce qui casse un peu la cohérence et la continuité de l’univers.
La bande-son, quant à elle, est une autre déception majeure. En l’absence de l’OST iconique de Shiro Sagisu, la musique du jeu fait le taf, rarement mémorable, mis à part quelques sympathiques soubresauts d’eurodance et de morceaux chantés. L’absence de cette identité musicale, si intrinsèque à l’univers de Bleach, enlève beaucoup de la magie de l’œuvre. Mais où est donc mon « Clavar La Espada » ??
Fear for Fight
Le gameplay se résume à un système de combat en arène extrêmement basique. Les affrontements consistent en des enchaînements de combos similaires d’un personnage à l’autre, avec seulement quelques variantes mineures, deux techniques spéciales propres à chacun et les classiques éveils. Chaque combattant possède bien une mécanique unique, mais elle est rarement suffisamment développée pour apporter de la profondeur. Le manque de variété dans les combats et la répétitivité des actions font que l’on se lasse très vite.
L’originalité du jeu vient de son système de « vies ». Chaque personnage a plusieurs jauges de vie, quand celle-ci tombe dans le rouge, il faut forcément effectuer une attaque ultime pour enlever un nombre défini de points de vie à l’ennemi. Ces attaques sont lentes, non-skippables et répétitives, avec des cinématiques qui se déclenchent à chaque fois. Dans le mode histoire, ça passe, on découvre les cutscenes de chaque personnage, c’est un petit plaisir… qui se perd dans les autres modes, tant cela devient répétitif et casse le rythme des combats.
Malgré un casting plutôt généreux, le mode multijoueur est quant à lui famélique. N’espérez pas jouer de manière compétitive à Bleach Rebirth of Souls. Outre l’absence d’équilibrage, presque inévitable dans un arena fighter adapté d’une licence, il n’y a pas de mode classé, les lobbies ne supportent que deux joueurs, et il n’existe pas de mode spectateur. L’absence de crossplay et la fragmentation de la communauté rendent le multijoueur presque inutilisable, avec de très longs temps d’attente entre les matchs et un manque de fonctionnalités de base.
Bleach Rebirth of Souls déçoit sur tous les fronts. Le respect de la trame narrative est bien là, mais traité de manière bâclée, rushé, sans profondeur. Les problèmes techniques, le gameplay répétitif et la musique décevante viennent s’ajouter à une expérience globalement frustrante. Il n’est à conseiller ni aux fans de la licence, ni aux nouveaux venus, qui resteront de marbre face à tant de maladresse.
C’est une adaptation ratée qui sacrifie narration, mise en scène et technique sur l’autel d’une fidélité illusoire. Un jeu creux, daté, et indigne de la licence culte, qui n’arrive même pas à la cheville d’un Naruto Shippuden: Ultimate Ninja Storm 2 qui fête cette année ses quinze ans.