Présenté pour la première fois lors d’un Showcase Xbox en 2020, As Dusk Falls s’était fait remarquer pour sa direction artistique à part, faite d’image fixes semblant peintes à la main.
Le titre est le premier jeu du studio INTERIOR/NIGHT, dont le nom expose clairement le penchant pour le cinéma, et qui a d’ailleurs été fondé par Caroline Marchal, restée dix ans chez Quantic Dream. Alors, une identité visuelle marquante et une équipe expérimentée permettront-ils à As Dusk Falls de sortir du lot ?
(Test de As Dusk Falls sur PC réalisée via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Portrait craché
C’est la direction artistique du jeu qui nous avait rendus impatients d’y jouer, c’est encore elle qui va nous frapper dès le démarrage de la partie. L’histoire du jeu est racontée via une série d’images fixes, dans lesquelles est insufflée un peu de dynamisme grâce aux mouvements de caméra : travelling dans le plan, « tremblements » façon caméra épaule…
Et si on n’était pas particulièrement emballés à l’idée de jouer avec des portraits immobiles, il faut bien reconnaître que le résultat est bluffant : on oublie même très rapidement que les personnages ne bougent pas ! Entre deux parties, notre cerveau réinterprète les séquences, et on s’en souvient comme des séquences animées.
Rien d’étonnant, puisque les nombreuses vignettes sont issues de vidéos tournées en prises de vue réelles, dont sont extraits les photogrammes sélectionnés par l’équipe de développement, sur lesquels on repeint pour leur donner cet effet toile/ illustration qui fait que l’ensemble a cet aspect graphic novel.
E-motion
Outre l’originalité, qui permet au jeu d’avoir une vraie identité graphique et de se faire remarquer (ce qui n’est déjà pas rien quand on pense à l’énorme quantité de jeux qui paraissent chaque année), ce choix esthétique a un autre double bénéfice.
La faisabilité déjà : réaliser une telle aventure entièrement animée, voire entièrement en 3D, aurait nécessité une équipe de développement autrement plus importante, et des temps et budget de production d’une toute autre échelle.
Et puis, en peignant de véritables acteurs, on arrive à exprimer graphiquement un panel d’émotions plus large et surtout plus lisible que chez les modèles 3D aux yeux sans âmes, ou aux expressions surjouées. Ce qui collera particulièrement à l’écriture du jeu, qui repose sur ses personnages, et sur l’idée que chacun peut avoir sa part d’ombre.
Scènes de Q…TE
Le jeu est une expérience narrative interactive, pas très éloignée d’une BD interactive. Les phases de gameplay sont rares, et peu variées. Un grossier jeu de « trouver objets cachés » dans certains tableaux, des QTE (difficilement manquables) pour les phases d’action, et surtout des décisions à prendre tout au long de l’aventure. C’est tout.
Le jeu nous proposera ainsi régulièrement de décider d’une action à réaliser (fuir/ attaquer/ discuter…), ou de la direction à donner aux dialogues. Avec à chaque fois, des conséquences sur l’évolution du scénario.
Malheureusement, on le sait, dans les jeux vidéo, les choix des joueurs donnent le plus souvent des illusions de conséquences que des conséquences directes et vraiment différentes selon les options. Et malgré les promesses du jeu, sur les points les plus importants, le scénario retombera le plus souvent sur ses pattes, ainsi qu’en atteste l’arbre narratif qui nous est présenté à chaque fin de chapitre.
On notera toutefois le nombre important de scènes différentes qui donne quand même une certaine rejouabilité au titre, ainsi que les trois ou quatre fins possibles pour chacun des personnages. Malheureusement, impossible de passer, ou au moins de lire en accéléré, les séquences déjà vues lors d’un second run. Un oubli de gamedesign qui décourage un peu d’aller voir comment auraient tourné les événements avec des choix différents.
Dans les épisodes précédents…
As Dusk Falls étant un jeu narratif, l’écriture reste fondamentale. Et le cahier des charges est, de ce point de vue, quasi-rempli. Les personnages, sans être complètement originaux, possèdent chacun une vraie identité, et la plupart ont une profondeur qu’on ne soupçonne pas quand on les rencontre. Certaines motivations ne sont pas tout à fait crédibles, mais noyées dans un ensemble plus réussi, alors on pardonne facilement (et puis, le pardon est l’un des thèmes du jeu, alors…).
Le scénario ne s’interdit rien en termes de péripéties, et on comprend vite qu’on n’est pas à l’abri de voir même les personnages principaux disparaître, ce qui renforce le suspense et nous laisse croire que tout est possible.
La première partie met en place un dispositif scénaristique très efficace, avec l’action principale se déroulant en huis clos, façon Assaut de John Carpenter, et des flashbacks de différents niveaux, nous ramenant à l’histoire des personnages, et à ce qui les a amenés à la situation dans laquelle ils sont aujourd’hui. Le deuxième chapitre est hélas moins inspiré, et traîne un peu en longueur par moment.
Si on pense bien entendu aux jeux Telltale, le tout a évidemment aussi un goût très prononcé de série télé. La mise en scène fera penser à Lost, par exemple, avec les flashbacks qui viennent nous permettre de comprendre les évènements racontés au présent. Et comme une bonne série télé, le jeu est conçu pour être apprécié à plusieurs, sur le canapé : une application mobile « compagnon » a été développée (iOS et Android) pour que plusieurs joueurs puissent participer, les branches narratives étant alors soumises au vote. Et c’est sûrement le meilleur moyen de jouer à As Dusk Falls !
Nouvelle proposition située quelque part dans le grand flou entre narration (cinéma/ série télé) et jeu vidéo, As Dusk Falls mérite les quelques heures que dure l’aventure (à vue de nez, 6 ou 8). Graphiquement convaincant, surprenant, même, l’écriture est elle aussi à la hauteur malgré une petite baisse de régime dans la seconde partie.
Comme souvent avec ce genre de production, il faut adhérer à l’idée de l’aventure narrative dans laquelle le gameplay est au service minimum, mais sa composante multi canapé ajoute une dose de fun qui pourrait amener à lui les plus réticents. D’autant que si vous êtes abonné au Game Pass, le titre est inclus dans votre bibliothèque.