Dévoilé lors du Summer Game Fest 2022, Anger Foot débarque enfin sur PC en ce bel été 2024. Sortant des fourneaux de chez Free Lives, développeurs derrière le carton nommé Broforce, un run’n’gun glorifiant les stars de blockbuster d’action américain, Genital Jousting, réquisitoire sur le monde du travail où l’on incarne un pénis avec un anus (oui oui, vous lisez bien), ou encore le récent jeu de gestion Terra Nil, une ode au réinvestissement de terres stériles par la nature.
Le studio, basé en Afrique du Sud, est donc capable de faire le grand écart au niveau des thématiques et genres abordés, avec Anger Foot, on retourne du côté de la satire sociale, cette fois sous le carcan du fast-FPS, remis au goût du jour dans les années 2010 par le reboot de Doom, et nombre de « boomer shooter » indé. Mais, qui dit fast-FPS, dit aussi, recette éculée, contraintes à respecter, et dosage minutieux. Le nouveau-né de Free Lives sort-il son épingle du jeu dans un genre aussi codifié ?
(Test de Anger Foot réalisé sur PC via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Et c’est souvent dans la gueule
Pas besoin de passer par quatre chemins, et comme vous pouvez vous en douter, Anger Foot est un die’n’retry, un jeu de réflexes, d’analyse de son environnement et de prise de décision rapide. L’aventure est découpée en une soixantaine de niveaux, pouvant durer de dix secondes à une poignée de minutes selon notre style de jeu, modulable à souhait au fur et à mesure de la progression, mais nous y reviendrons un peu plus tard.
Dans notre arsenal, nous disposons d’un coup de pied, d’armes à feu ramassables à chargeur unique (lançables sur les ennemis pour les étourdir), et d’une capacité spéciale unique à équiper, comme un dash ou encore un coup de pied glissé. Le déroulement d’un niveau est comparable aux mythiques Hotline Miami, en grande majorité, un petit labyrinthe de couloirs interconnectés par des portes, avec une sortie à la clé, et de vils nihilistes à latter au passage, si le cœur vous en dit.
Chaque mission comporte deux défis à réussir pour les plus acharnés : finir le niveau en un certain temps, sans tuer d’ennemis, sans utiliser le saut, etc. Mais cela reste totalement optionnel, la difficulté étant déjà plutôt relevée pour arriver à la sortie en un seul morceau. Ces fameux défis servent aussi à débloquer de nouvelles paires de chaussures pour les magnifiques panards de notre héros, et donnant un passif ou une capacité active, offrant alors une grande variété dans la résolution des niveaux et la façon de les appréhender.
C’est une des belles réussites d’Anger Foot, la multiplicité des approches rend l’expérience stimulante, et donne en plus l’envie de s’essayer à quelques challenges, certaines chaussures les rendant plus faciles. Maintenant, qu’en est-il de l’enrobage esthétique, et du scénario qui nous sert de prétexte à fracasser à grand coup de panards taille 48 tout ce qui bouge ?
No Future
Anger Foot prend place dans la métropole de Merdiqueville (Shit City dans la langue de Chris Foss), un univers dystopique où le crime et le péché sont la normalité, toute la population a prêté allégeance à un gang, au nombre de quatre : les addicts à la violence régie par la police, les pollueurs, les fraudeurs fiscaux et escrocs, et enfin les hédonistes, affiliés à la luxure.
Bien stéréotypé, nous direz-vous, mais ça a au moins le mérite d’avoir du sens, de faire écho à beaucoup d’angoisses actuelles : la corruption et la répression policière, l’urgence climatique, la fracture sociale, etc. Et franchement, c’est déjà beaucoup plus que la plupart des jeux du genre, se contentant bien trop souvent d’être un pastiche de leurs propres inspirations.
Anger Foot brasse donc beaucoup de sujets, et nous fait part comme d’une colère (ramenant au titre du jeu), d’un trop-plein d’angoisses lié à notre société, montré de manière frontale et sans prendre de pincettes. Tout ça dans un écrin de cynisme permanent, mais ne tombant jamais dans la vulgarité gratuite.
L’aventure s’ouvre sur notre héros, ramenant à son appartement la dernière paire de sneakers ultra rare manquant à sa collection, fraîchement dérobée à l’une des mafias de Merdiqueville. Nous faisons par la même occasion la rencontre de sa go, chillant un max sur son canapé. Il ne tarde pas à se les faire voler par les quatre gangs peuplant la ville, et partira en quête de vengeance immédiatement. Un prétexte, certes, mais un prétexte cohérent avec la découverte de nouvelles capacités au fur et à mesure de l’aventure.
La direction artistique, quant à elle, s’inscrit parfaitement dans la ligne éditoriale de Devolver Digital : cartoon, pétillante et très colorée, d’où provient une certaine douceur, se mariant étonnamment bien avec l’esthétique et l’ambiance techno-punk du titre.
Alors, on prend son pied ?
Mais qu’en est-il du rythme, du gamefeel et du level design ? Éléments les plus importants pour ce genre d’expérience. Eh bien, c’est franchement réussi. Les niveaux sont plutôt bien construits, on se perd rarement dans ces dédales plus ou moins grands, c’est agencé de manière cohérente, et on arrive à progresser au gré de notre instinct, sans quasiment jamais se perdre.
On ne s’ennuie jamais en parcourant les différents couloirs remplis d’ennemis qui peuplent le jeu, la découverte de nouvelles capacités, d’armes et d’ennemis, sont savamment bien dosées durant les six heures qu’il vous faudra pour venir à bout du jeu, sans chercher à trop compléter les défis proposés.
Point pas tout à fait convaincant : certaines missions sont entrecoupées par des petits niveaux promenade, où l’on peut parler à des PNJ pour qu’ils nous livrent leurs cyniques répliques. Certains prendront ça comme une respiration, d’autres comme une légère fracture du rythme. Ce dernier étant largement plus fracassé par les combats de boss, heureusement rares, avec des patterns ennuyeux et des animations lentes, faisant fortement souffler du nez.
Tout ça sous fond musical de hardstyle, qui déplaira sûrement à certains par sa lourdeur et son BPM bien élevé, mais faisant totalement corps avec l’expérience, et participant grandement au gamefeel. Celui-ci est grisant au possible, de par tous les points cités au-dessus. Défoncer une porte, analyser la pièce et établir un plan, tuer les ennemis ou non, trouver la prochaine porte, tout ça en une poignée de secondes.
On arrive à quelques moments à faire corps avec la machine et le contrôleur, retrouvant ce feeling de l’arcade, à la manière de l’esquive minutieuse de bullet dans les danmaku, qui cristallise bien cette sensation d’unité et de dilatation du temps.
L’immense tâche noire dans ce beau tableau est la technique (testé avec une RTX 2080, couplée à un Ryzen 3750X). Le framerate se divisant par deux, voire trois dans les très rares niveaux en extérieur, et les quelques grandes pièces remplies d’ennemis jonchant l’aventure. Cela reste assez exceptionnel pour être pardonnable, mais les plus exigeants d’entre nous auront tout de même les yeux qui saignent quand leur framerate chutera de 110 à 30 fps.
Anger Foot, projet né d’une gamejam, est une franche réussite, dans un genre déjà bien poncé depuis de nombreuses années. La recette du fast FPS est ici parfaitement réalisée, et sublimée par la patte de Free Lives, quelques écueils par-ci par-là, mais l’alchimie entre toutes les composantes du jeu marche à merveille.
Un jeu à l’image de Devolver : punk, créatif, fun et enivrant. Anger Foot ne révolutionne rien, mais se démarque par la sincérité de son approche du genre. Si vous cherchez une bonne dose d’adrénaline, avec un poil de difficulté, il se pourrait bien que vous ayez trouvé l’un de vos rafraîchissement de l’été, pouvant vous occuper une longue après-midi ou vous servir de sucrerie à grignoter.