C’est un nom qui avait su séduire les amateurs de jeux poétiques et narratifs. Tequila Works, le studio espagnol à l’origine de titres remarqués comme Rime ou Gylt, est désormais en pleine liquidation judiciaire. Une issue brutale, mais qui semblait inévitable après plusieurs mois de turbulences. Entre décisions stratégiques hasardeuses, désengagement de partenaires clés et contexte économique tendu, retour sur la chute d’un acteur singulier de la scène vidéoludique européenne.
Fondé en 2009 à Madrid par Raúl Rubio Munárriz, Tequila Works s’est rapidement distingué par sa patte artistique et son goût pour les expériences émotionnelles. Dès son premier titre, l’excellent Deadlight (2012), le ton est donné : ambiance sombre, narration soignée, et réalisation ambitieuse. Mais c’est en 2017, avec la sortie de Rime, que le studio atteint son apogée. Ce jeu d’aventure contemplatif, souvent comparé à Journey ou ICO, séduit par son esthétique envoûtante et son récit silencieux, devenant un emblème du jeu vidéo indépendant européen.
Fort de ce succès, Tequila Works multiplie les projets, s’illustre dans des genres variés, du jeu de société revisité avec The Sexy Brutale à la réalité virtuelle avec The Invisible Hours. Le studio s’essaie également à l’adaptation de licences avec Song of Nunu: A League of Legends Story, et tente une incursion dans l’écosystème Stadia avec Gylt, un jeu d’horreur psychologique.
Mais derrière cette diversification se cache une prise de risques de plus en plus périlleuse. Le choix de lancer Gylt en exclusivité sur Stadia, plateforme encore balbutiante à l’époque, s’avère particulièrement mal avisé. Malgré des critiques positives, le jeu passe largement inaperçu. Ce faux départ, couplé à un portage tardif sur d’autres supports, affaiblit considérablement les finances du studio.
Le coup de grâce vient en 2024 avec le retrait progressif de Tencent. Le géant chinois, devenu actionnaire majoritaire en 2022, semblait un temps vouloir faire de Tequila Works une vitrine créative. Mais son désengagement brutal laisse le studio sans ressources pour poursuivre ses projets. En novembre, le dépôt de bilan est acté. Licenciements, annulations de projets, puis liquidation complète… La descente est rapide.
Aujourd’hui, les actifs de Tequila Works sont mis aux enchères, parfois à des prix dérisoires : Rime à 1 550 €, Gylt à 5 100 €, et même un pack de quatre jeux non finalisés pour 270 €. Ces montants symboliques révèlent à la fois la précarité du studio et le désintérêt d’un marché saturé pour des projets orphelins.
Pour autant, ces enchères pourraient représenter une opportunité unique. Des studios indépendants, jusqu’ici tenus à l’écart de telles licences, pourraient redonner vie à ces œuvres, en imaginant des suites, des remasters, ou en finalisant les projets abandonnés. Même le nom « Tequila Works », pourtant affaibli, conserve une valeur de reconnaissance.
Reste à voir si l’héritage de Tequila Works survivra à la disparition de sa structure. Sans son équipe fondatrice, sans sa direction artistique singulière, chaque projet risque de perdre son identité. Le défi pour d’éventuels repreneurs sera de faire vivre ces univers sans les trahir. Et pour les anciens de Tequila Works, l’espoir demeure que certains se regroupent pour fonder de nouveaux projets – porteurs, peut-être, de l’âme d’un studio qui n’a jamais manqué d’idées, mais peut-être, de stabilité.
En Europe, la disparition de Tequila Works illustre froidement la fragilité d’un secteur : même les studios les plus talentueux, ne sont pas à l’abri d’un faux pas stratégique, d’une erreur de parcours ou d’un contexte défavorable. Un rappel que, dans le jeu vidéo comme ailleurs, même adossé un temps à un géant, la créativité seule ne suffit pas toujours pour durer. Triste fin pour commencer une semaine.
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