Il y a quelques semaines, nous vous expliquions comment les Game Key Cards, ce format hybride de jeu inauguré par la Switch 2, soulevaient de nombreuses inquiétudes. Derrière l’apparence rassurante d’une cartouche traditionnelle, il ne s’agit en réalité que d’une clef ouvrant l’accès à un téléchargement, tributaire d’une connexion internet et, surtout, de la bonne volonté de Nintendo de maintenir ses serveurs. Comme nous l’avions souligné, ce système fragilise une fois de plus la propriété vidéoludique et met à mal toute tentative de préservation.
Mais aujourd’hui, le sujet prend une nouvelle dimension. Car ce n’est plus seulement la perception des joueurs, ni les sondages fugaces de Nintendo, qui s’invitent dans le débat. C’est désormais une institution de poids, la Bibliothèque de la Diète Nationale du Japon, qui vient de trancher : les Game Key Cards n’auront pas leur place dans les archives officielles du pays.
Support ou simulacre ?
Depuis 2000, cette bibliothèque recueillait avec minutie les cartouches, disques et CD, donnant au jeu vidéo une légitimité patrimoniale comparable à celle des livres ou des films. Plus de 9 600 titres reposent ainsi dans des conditions archivistiques idéales, témoignant de l’évolution d’un art qui a su se hisser au rang de patrimoine culturel. Mais la logique se brise : la Game Key Card, support pourtant palpable, ne porte pas en elle le jeu qu’elle prétend abriter. Elle n’est qu’une clé vers un téléchargement, un ticket d’accès dépendant de la vie de serveurs privés.
La Bibliothèque l’affirme sans détour : « Seuls les supports physiques contenant le contenu en lui-même peuvent être conservés. » En d’autres termes, une clé vide, fût-elle vendue dans une boîte brillante, n’a aucune valeur patrimoniale. Ce refus vient appuyer, par ricochet, les inquiétudes que nous exprimions déjà : ces cartes ne sont pas des objets de mémoire, mais des passeports temporaires, dont la validité s’éteindra avec l’infrastructure qui les rend utilisables.
L’éphémère comme destin
Rappelons-le, nous évoquions récemment la frilosité de Nintendo, qui avait timidement sondé sa communauté sur le sujet avant de retirer son questionnaire en un temps record. Comme si le simple fait de demander l’avis des joueurs avait déjà ouvert une boîte de Pandore qu’il valait mieux refermer. Les réponses allaient d’ailleurs majoritairement dans le sens d’un attachement à un support tangible, capable de résister au temps.
La décision de la Bibliothèque Nationale japonaise, elle, apporte un autre éclairage : ce n’est pas seulement une question de goût ou d’habitude de consommation, c’est une véritable fracture patrimoniale. Tant que le jeu vidéo sera tributaire de formats aussi instables, il se condamnera lui-même à une mémoire fragmentée, dépendante d’initiatives privées ou militantes pour survivre.
L’histoire récente l’illustre avec cruauté : fermeture de l’eShop de la Wii U et de la 3DS en 2023, extinction du Wii Shop Channel quelques années plus tôt. À chaque fois, des bibliothèques entières de jeux deviennent inaccessibles, sinon par des moyens détournés. Et si, pour l’instant, Nintendo assure la possibilité de retélécharger les titres déjà acquis sur Wii U et 3DS, ce n’est déjà plus possible sur Wii, qui a été complètement déconnectée.
Vers une patrimoine incomplet
Nintendo, dont l’histoire est si intimement liée à celle du jeu vidéo mondial, choisit ici de privilégier des logiques de coût et de contrôle au détriment de son propre héritage. La Switch 2 triomphe commercialement, mais son modèle de distribution grignote un peu plus chaque jour le socle fragile de la conservation vidéoludique.
Le paradoxe est cruel : jamais le jeu vidéo n’a eu autant d’ambition narrative et culturelle, et pourtant jamais il n’a semblé aussi fragile face au temps. Peut-être faudra-t-il qu’un nouvel acteur se dresse pour lui assurer la postérité qu’il mérite. Car sans mémoire, le jeu vidéo risque de n’être qu’une succession d’expériences fugitives, et le refus de la Bibliothèque de la Diète Nationale du Japon d’archiver les Game Key Cards en illustre toute la volatilité.
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Poulet