Si vous êtes amateur d’animation japonaise, il y a fort à parier que vous connaissiez Makoto Shinkai. Souvent considéré comme « le nouveau Miyazaki », bien que lui-même trouve la comparaison trop flatteuse, il est néanmoins l’un des réalisateurs japonais les plus populaires à travers le monde, et notamment depuis le succès (amplement mérité) de Your Name en 2016. Après Les Enfants du Temps qui, bien que très proche de son aîné tant dans sa structure que dans ses personnages, transformait l’essai, le voici de retour dans les salles obscures le 12 avril prochain avec Suzume.
Avec une affiche dans des tons très bleus laissant apparaître un nouveau couple au cœur de l’intrigue, Suzume est-il cette fois encore le grand vecteur d’émotions que nous aimons tant ressentir avec cet auteur ? À moins qu’au contraire, cette ressemblance apparente soit en fait là uniquement pour mieux nous surprendre. Et auquel cas, l’ensemble arrive-t-il à proposer suffisamment de singularité et d’équilibre pour nous faire oublier ce pour quoi nous avons pénétré dans cette salle de cinéma ?
En terrain connu – En terre inconnue
Quand on regarde un film de Makoto Shinkai, on sait à quels personnages on va avoir affaire, et, clairement, c’est aussi le cas pour ce Suzume. Dans chacun des derniers couples mis en scène par le réalisateur, on y retrouve deux adolescents d’univers bien différents (l’opposition entre une personne de la ville et de la province étant souvent mise en avant pour son ressort comique) qui vont lier leurs destins au travers d’une aventure onirique les dépassant complètement. Ici, c’est la jeune Suzume, qui prête donc son nom au film, qui, par un enchaînement d’absurdités scénaristiques, va ouvrir une porte vers un autre monde et en libérer une sorte de ver géant, invisible aux yeux des non-initiés, provoquant des séismes de plus en plus catastrophiques. Nous parlons d’absurdités scénaristiques car l’enchainement des scènes introduisant l’intrigue n’ont vraiment aucun sens logique.
Alors qu’ils ne se sont jamais rencontrés auparavant, la décision de Suzume de sécher ses cours sur un coup de tête pour rechercher Sôta, un inconnu « beau gosse » qu’elle vient à peine de croiser dans la rue, dans des ruines notoirement dangereuses, nous a fait tiquer dès le début. L’humour, globalement très bien senti, a beau tenter de cacher les grossières facilités scénaristiques de Suzume, nous ne sommes pas dupes et avons presque commencé à nous sentir gênés, sentant venir comme une pointe nanardesque que nous ne voulions pas voir.
Heureusement, passé ces premiers moments pas très engageants, le film a commencé à dérouler son histoire et ses thèmes. Comme souvent avec Makoto Shinkai, la recherche de son soi, qui nous sommes, quel est notre but, sont les questions centrales de l’intrigue. Des interrogations que l’on se pose tous à un moment de notre existence et qui sont ici abordées au travers d’une héroïne aussi en quête de son passé, et un Sôta ayant pris à bras le corps une mission dont il a hérité.
Et si ces thèmes sont abordés avec beaucoup de justesse, l’évolution de la relation entre Sôta et Suzume étant assez touchante, tout comme celle de la jeune fille avec son entourage, c’est en revanche la façon d’amener ces évolutions qui nous a déroutés, et, disons-le sans détour, plutôt déçus. Tout au long du film, la même boucle se répète. Notre duo suit le « pôti-chat » à travers le Japon – car celui-ci semble être la clé de leur salut –, rencontre un local sympathique qu’ils finissent par quitter pour sauver le monde, et rebelote jusqu’au générique ou presque.
Niveau créativité, on espérait mieux. Alors oui, l’effet road-movie fonctionne vraiment bien. Chaque personnage croisé est attachant et les situations en elles-mêmes se suivent très agréablement, mais nous regrettons que tout soit un peu trop scolaire, sans folie. Makoto Shinkai nous avait habitués à manier avec un équilibre certain toute sa boucle scénaristique, mais force est de constater que pour Suzume, le contrat ne nous semble pas pleinement rempli.
Une nouvelle palette d’émotions
Si notre plume vous semble amère, nous le concédons, c’est parce qu’elle l’est un peu. Le réalisateur nous avait habitués à de telles pépites de l’animation japonaise – que ce soit Voyage vers Agartha, Your Name ou 5 Centimètres par Secondes – que notre attente était peut-être un peu trop haute. Car à l’échelle de l’industrie, il a de très beaux arguments à présenter. Nous avons déjà évoqué la plastique générale du film, et donc de ses animations, mais il est toujours bon de le rappeler, Suzume est un petit bijou visuel, enchaînant avec goût les représentations de belles régions nippones. N’oublions pas non plus les superbes musiques du groupe Radwimps, déjà auteur des magnifiques bandes-son des deux précédents films du réalisateur. Les amateurs des studios Ghibli et d’autres chefs-d’œuvre de l’animation japonaise seront d’ailleurs ravis, à n’en pas douter, des nombreux clins d’œil musicaux (mais pas que) qui se sont glissés dans le film pour nous tirer de nombreux sourires nostalgiques.
Car finalement, plus qu’un film qui veut nous faire vivre des émotions et nous faire lâcher notre petite larme, Suzume semble plutôt avoir été créé pour nous faire passer un bon moment. L’humour, omniprésent, a pris ici la place des scènes émotionnellement fortes (même si, évidemment, il en reste des bribes). Bien sûr, avec ce réalisateur, nous sommes habitués à vivre, avant que tout ne prenne une dimension plus sérieuse, des événements très drôles, mais ici, la place du comique semble presque disproportionnée.
Par le truchement d’événements que nous vous laisserons découvrir, le jeune homme va se retrouver enfermé dans le corps d’une chaise d’enfant, souvenir d’enfance de la jeune lycéenne, auquel il manque un pied. Une situation cocasse qui va être le catalyseur d’un comique de répétition pendant une très grande partie du film. Un style d’humour qui nous a rappelé un peu l’une des scènes emblématiques de Your Name, lorsque Taki et Mitsuha se gribouillent leurs visages respectifs.
Tout est fait pour donner au spectateur la banane. Les situations, les références, la musique, les personnages, rien ne manque à l’appel. Suzume est une œuvre suffisamment atypique de la part de son auteur pour à la fois nous surprendre, mais aussi nous déstabiliser, et c’est peut-être là qu’il a finalement mal joué ses cartes. À force de nous rappeler que le film est réalisé par l’auteur de Your Name (les deux affiches étant quasiment identiques), on ne s’attendait pas à découvrir une proposition finalement sensiblement différente.
Suzume est un film d’animation « feel-good », blindé d’humour et qui vous fera passer un excellent moment. Il n’est cependant pas le nouveau chef-d’œuvre que nous espérions de la part de Makoto Shinkai. Au-delà de la tromperie sur la marchandise, le film ne vendant clairement pas les émotions qu’il laisse supposer à travers son affiche, c’est sa structure même qui nous a laissés dubitatifs, avec une boucle scénaristique assez peu inspirée et des facilités, notamment au début de l’intrigue, assez grossières.
Pourtant, quand on commence à se désolidariser de nos attentes, on s’aperçoit que le film propose vraiment de très bons moments. C’est un road-movie onirique qui nous fait traverser le Japon dans toute sa diversité. Une belle balade portée, comme d’habitude, par une animation de très haute volée et une bande originale particulièrement réussie. Alors oui, à l’échelle de la filmographie de son réalisateur, Suzume est selon nous une petite déception, mais il reste néanmoins un excellent film d’animation qui saura se frayer un chemin vers le cœur de beaucoup de spectateurs, pour peu que ceux-ci soient prêts à excuser les maladresses d’un réalisateur cherchant à jouer sur d’autres émotions.
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