Alors que nous apprenions il y a quelques jours qu’un jeu open-world Star Wars, signé Ubisoft, allait probablement être dévoilé cette année, il est permis de s’interroger sur l’offre de jeux Star Wars dédiée au multijoueur. Il y a cinq ans, le 17 novembre 2017, Electronic Arts et Dice nous proposaient Star Wars Battlefront II, digne successeur du reboot de la franchise Star Wars Battlefront sorti lui-même le 17 novembre 2015. Malgré la popularité des jeux et la qualité de l’expérience, Star Wars Battlefront II a connu un lancement très laborieux, controversé, et les difficultés évidentes de management de la part du studio, mais aussi son modèle économique ont eu raison du support du jeu qui s’est achevé en 2020. Depuis, silence total sur l’avenir de la franchise et Dice est retourné travailler sur la franchise Battlefield. Et pourtant, est-ce réellement terminé ?
Ce que l’on sait sur l’annulation d’un Battlefront 3 par Electronic Arts
D’après Tom Henderson, leaker réputé et fiable, dans un tweet en 2021, Dice aurait proposé à Electronic Arts un projet pour un Battlefront 3 visant à corriger l’expérience de jeu offerte avec Battlefront II et faire repartir la franchise sur un bon pied, mais la compagnie californienne aurait refusé la proposition du studio suédois pour des raisons de droits d’exploitation. En effet, d’après les confidences d’un développeur, un jeu franchisé Star Wars doit atteindre 20% de ventes supplémentaires par rapport à un jeu d’une autre franchise pour être profitable, et ce à cause du coût important de la licence.
De fait, la franchise Battlefield est devenue la priorité absolue pour Dice et EA, au point que le géant américain ait dû mobiliser l’ensemble des studios sous son contrôle pour travailler sur ce seul projet, dont, par exemple, les équipes travaillant sur le prochain Need for Speed, repoussant la sortie de ce jeu de 2021 à 2022. De plus, comme le relève Tom Henderson, de nombreux développeurs ayant travaillé sur les deux Battlefront produits par Dice ont quitté le studio depuis, dont le directeur créatif, le gameplay designer et le chef de l’équipe de conception des héros.
Ce que l’on sait sur le spin-off Viking annulé en 2019 par Electronic Arts
Viking, rien à voir avec Star Wars. Pourtant, c’était le nom de code d’un projet initié en 2015, et, comme le révèle Kotaku, le troisième d’une série de projets de jeux dont les deux premiers ont été tués dans l’œuf par EA et le travail déjà fait transféré sur le projet Viking. Dans les grandes lignes, on sait qu’il devait s’agir d’un jeu spin-off au sein de la franchise Battlefront, mais en monde ouvert, ce qui est curieux en soi tant Battelfront est un jeu de batailles massives en local ou multijoueur où l’on incarne des soldats de base de factions totalement antagonistes. On voit mal ce qu’un monde ouvert pouvait apporter à la franchise. L’arrivée de Criterion dans le projet de EA Vancouver en tant que lead studio a introduit de nombreux problèmes de management et de direction à donner au jeu (« trop de cuisiniers », d’après une source). Criterion avait, semble-t-il, une vision plus ambitieuse de Viking et voulait apporter plus de profondeur aux personnages et à l’histoire, mais ce faisant, il aurait fallu donner plus de temps de développement, ce qui a déplu à la direction d’EA (la maison-mère, pas le studio, qui mis fin au projet en 2019).
Les problèmes de management sont courants dans l’industrie de l’entertainement en général, et dans celle des jeux vidéo en particulier, mais force est de constater que la direction des projets estampillés Star Wars par Electronic Arts est particulièrement chaotique.
Le duel Call of Duty vs Battelfield : victoire par incompétence de l’adversaire
Battlefield 2042 devait être la poule aux œufs d’or d’Electronic Arts, le retour fracassant de la franchise dans l’époque moderne avec un gameplay plus fluide et rapide que ce l’on a vu dans les deux jeux précédents sur les guerres mondiales. Des batailles plus massives, des drones, des thématiques géopolitiques en toile de fond faisant écho à l’actualité mondiale. Bref, ce devait être une œuvre illustrant tout le savoir-faire de Dice depuis des années. La suite, on la connaît.
Le jeu a été gangréné par qui semble être désormais la marque de fabrique des jeux AAA vendus 70 euros depuis quelques années : optimisation catastrophique, déconnexions incessantes des serveurs, bugs et glitchs à foison et un modèle économique faisant évidemment l’honneur à un Battle Pass et à un store dans lequel acheter des cosmétiques. Pire, le studio avait tenté une honorable prise de risques pour son nouveau Battlefield en changeant le système de sélection de classes prédéfinies avec un équipement similaire pour les deux équipes, en introduisant à la place des opérateurs à personnaliser (notamment par le biais de microtransactions), ce qui a fortement déplu à la communauté tant l’intention mercantile est grossière, mais également parce que ça met fin à la sacrosainte égalité entre tous les joueurs.
De fait Battlefield 2042 a été un désastre commercial, mais aussi critique : il n’y a pas grand-chose à sauver et les nombreuses mises à jour d’urgence reviennent à poser des petits pansements sur un squelette calciné. Les joueurs ont fui le jeu et actuellement, Battlefield 2042 a moins de joueurs que des Battlefields bien plus anciens. Du point de vue de Sony, la messe est dite. En effet, dans un document transmis à l’autorité de la concurrence britannique, dans le cadre du bras de fer entre Sony et Microsoft concernant l’acquisition du studio, les représentants de la firme japonaise font un constat froid :
« En dépit des similitudes entre Call of Duty et Battlefield, et malgré le passé glorieux d’EA en matière de licences à succès, Battlefield ne peut pas rivaliser. En août 2021, plus de 400 millions de jeux Call of Duty ont été vendus, contre 88,7 pour Battlefield. »
Les ambitions de Disney en termes de jeux licenciés Star Wars
Gardez bien en tête le naufrage de Battlefield, car c’est l’une des raisons pour lesquelles un nouveau Battlefront III est plus que crédible. Mais revenons à l’essentiel : pour rappel Disney a racheté la licence Star Wars à Georges Lucas pour la modique somme de quatre milliards de dollars. Naturellement, Star Wars étant l’une des franchises rapportant le plus d’argent, il est attendu que Disney rentre rapidement dans ses frais en lançant de nombreuses productions de films (la postlogie), de séries (Mandalorian, Andor, Obi-Wan) et de jeux vidéo (Fallen Order, les Battlefront de Dice, Star Wars Squadrons, le remake de Kotor etc).
Il semblerait, toujours d’après Tom Henderson, que Disney essaie de coordonner les studios pour qu’il y ait une sortie d’un jeu Star Wars tous les six mois. Or, pour l’instant, on sait que se trouvent en développement quelques jeux : Survivor qui est le sequel de Fallen Order, le remake de Kotor (qui semble prendre du plomb dans l’aile après le licenciement de deux producteurs du projet et son transfert à un autre studio), l’open-world d’Ubisoft et Star Wars Eclipse récemment dévoilé par Quantic Dreams. Survivor est a priori prévu pour 2023, le remake de Kotor est entouré de silence depuis son teaser, peut-être a-t-il été annulé, nul ne le sait ; quant à Eclipse, on sait que le jeu est à peine en préproduction, et sera donc vraisemblablement prévu pour 2024. Le projet piloté par Ubisoft, quant à lui, pourrait être révélé cette année. Sur les deux jeux annuels visés par Disney, on en a un de presque confirmé pour 2023, un probable pour 2024 et l’inconnue Kotor, ce qui laisse de la place pour un autre jeu en 2023 ou 2024. Or, les jeux évoqués ont tous en commun d’être centrés sur des personnages, un scénario fort, une narration importante et un gameplay axé RPG et action-aventure. Guère de jeux purement multijoueurs en vue pour l’instant.
Et quelle autre franchise que Battlefront pour exploiter la licence Star Wars dans un jeu multijoueur ? Quelle autre franchise pour rétablir Star Wars dans le monde des jeux en ligne où les studios pourront faire fructifier le produit à grands coups de Battle Pass et microtransactions ?
Les Battlefront, une histoire de reboots
Bien que Dice soit pour l’instant en difficulté avec Battlefield 2042 et son support, il y a des rumeurs selon lesquelles le studio suédois voit son salut passer par une nouvelle itération de la sous-franchise Bad Company, et notamment le tant attendu Battlefield: Bad Company 3. Lais l’aura est-elle toujours là ? Est-ce que ce projet sera le succès dont le studio suédois a besoin ? L’attente autour d’un prochain Bad Company est-elle plus forte et prometteuse qu’un nouveau Battlefront ? Rien n’est moins sûr.
Il ne faut pas oublier que les premiers jeux Star Wars Battlefront ont été produits par Pandemic Studios dans les années 2000 et que les jeux de Dice n’en sont qu’un reboot. Par ailleurs, un curieux tweet il y a deux ans de la part de Celia Hodent, ancienne directrice UX chez Lucasarts, implique que le studio aurait travaillé sur un autre reboot et que le jeu était presque achevé, mais n’a jamais pu voir le jour. Décidément, le terme « reboot » semble profondément lié aux jeux Battlefront.
Finalement, après les déboires du Star Wars Battlefront II de Dice, il est peut-être préférable d’un point de vue marketing de proposer un nouveau reboot de la franchise plutôt que de sortir une troisième itération qui présenterait moins d’opportunités de communication et de succès qu’un jeu simplement nommé « Star Wars Battlefront ». Il n’est pas même exclu que ce soit Dice qui pourrait être aux commandes de ce reboot tant la franchise Battlefield connaît une période agitée et que le studio a démontré son travail soigné sur les premiers jeux malgré quelques maladresses.
Conclusion : « I’ve got a good feeling about this »
Au moment où ces lignes sont rédigées, il n’y a rien qui laisse penser qu’un quelconque studio travaille sur un Star Wars Battlefront, fût-ce un reboot. Cependant, il est assez clair que la franchise Star Wars est un critère de vente, de profits et de popularité à elle seule, et surtout que les jeux Star Wars Battlefront possèdent toujours une image positive certaine, tant ceux proposés par Pandemic Studios que la réinterprétation de Dice. L’environnement en lui-même avec le désastre de Battlefield 2042 et le nouveau modèle économique des jeux multijoueurs « gratuits mais payant », extrêmement profitable pour les acteurs du secteur, est propice à ce que ce projet gagne en considération par les producteurs. Pas aujourd’hui, pas demain, mais dans les années à venir certainement.