Qu’on les apprécie ou non, il y a des œuvres qui marquent leur époque, et dont le nom est familier même à ceux qui ne les ont jamais approchées. Evangelion est de celles-ci, et devrait le rester sauf cataclysme (auquel cas, elle pourrait même devenir prophétique). Dans La Saga Evangelion – L’œuvre d’une vie, Virginie Nebbia nous fait découvrir les multiples facettes de cette création protéiforme, et ô combien cryptique.
Après avoir écrit différents opus de la médiathèque et la ludothèque de Third Editions (Jet Set Radio, Skies of Arcadia, Rez, et surtout Nadia, le secret de l’eau bleue), l’autrice réitère son exploration du monde d’Hideaki Anno, en s’attelant cette fois à l’œuvre qu’il aura créée et fait évoluer (en même temps que lui) sur plus de trente ans.
Lecteurs badins et néophytes, soyez prévenus : de la même façon que pour Evangelion, il faudra vous armer de patience et de toute votre bonne volonté si vous souhaitez parvenir à l’illumination. Virginie Nebbia nous livre ici une mine d’informations incroyable, mais qui nécessitera une curiosité sans faille tant son livre fourmille de références croisées.
« Il ne sera pas question ici de raconter en détail les scénarios de Neon Genesis Evangelion et de The End of Evangelion. Non seulement cela serait rébarbatif, mais il est inutile d’ignorer les très nombreux résumés déjà disponibles ailleurs. De plus, il est fort probable qu’en ayant décidé de lire cet ouvrage, vous ayez d’ores et déjà vu la série et le film. Si ce n’est pas le cas, soyez prévenus que, dès à présent, les spoilers seront légion et non signalés. Ce chapitre repose davantage sur l’exposition, avec explications si nécessaire, de points clefs qui permettent d’infiniment mieux comprendre par soi-même de quoi il retourne lors d’un (prochain) visionnage. » – Introduction du Chapitre 2 de la Saga Evangelion, de Virginie Nebbia.
Quant aux fans, l’énorme travail de l’autrice vous donnera une raison de plus de vous replonger dans cet univers incroyable.
Le contexte du Troisième Impact
Ce que Virginie Nebbia réussit avec brio dans la première moitié de La Saga Evangelion, c’est à synthétiser les grandes étapes de la vie d’Hideaki Anno pour mieux cerner non seulement l’humain derrière l’œuvre, mais surtout mieux comprendre l’importance qu’Evangelion revêt dans l’histoire de l’animation, et du Japon de façon plus générale.
Mettant en parallèle sa vie familiale, ses études, ses passions, ses rencontres et les différents drames nationaux (des cicatrices de la Seconde Guerre mondiale à la catastrophe de Fukushima), elle dessine un portrait détaillé de cet enfant de la TV, né en 1960. Anno baigne et grandit avec des œuvres de science-fiction et des monstres du 7e art (Godzilla, Ultraman, Star Wars…), et vit des révolutions technologiques qui l’influenceront grandement (dont l’alunissage de 1969). Malgré le clivage qu’il peut ressentir vis-à-vis de la société, entre le handicap de son père et sa difficulté à communiquer, il aura su se construire une personnalité et se constituer un groupe d’amis autour de ses passions d’otaku : les mangas, l’animation et le tokusatsu.
Marqué par les deux premiers impacts de l’animation japonaise, Yamato (1974) et Gundam (1979), le jeune Hideaki Anno décide de sauver l’animation japonaise périclitante des années 90 avec son groupe de passionnés. De la création de l’opening de la Daicon III à la création du studio Gainax, en passant par sa participation à des chefs-d’œuvre comme Nausicaä de la Vallée du Vent et Le Tombeau des Lucioles, la Saga Evangelion permet de mieux réaliser la place que revêt Evangelion dans la vie (longtemps précaire et socialement difficile) d’Anno.
On ne peut qu’être admiratif de sa détermination à produire des œuvres spectaculaires et intelligentes, révolutionnaires même, « par des fans, pour les fans ». Un credo qui lui tiendra à cœur sur l’ensemble de ses créations et qui explique pourquoi celles-ci sont toujours aussi marquantes auprès du public.
À l’image des épreuves de sa vie, comme celles du studio Gainax, ses différentes œuvres se veulent les témoins des difficultés et de la complexité de la vie, notamment dans ses composantes sociales et psychologiques. C’est ainsi que ses œuvres marquent : parce qu’elles ne sont pas là pour nous faire plaisir, mais au contraire dévoiler un ratio malheur-bonheur réel et nous amener à réagir.
« Le concerné confirme : selon ses dires, Neon Genesis Evangelion est avant tout un cri. Le cri d’un homme essayant, de la manière la plus absolue, de faire de son mieux […], pas certain que le monde survivra au prochain millénaire. » – Extrait du Chapitre 1 de La Saga Evangelion.
Evangelion, dans sa globalité, c’est l’aboutissement d’une dream team japonaise intemporelle de l’animation et du design (dont les différents membres sont présentés équitablement dans le livre de Virginie Nebbia), qui parvient à se renouveler et à faire vibrer même trente ans après. Et La Saga Evangelion nous ouvre les yeux sur tout ce que cette création, éprouvante pour tous, aura nécessité.
« Anno a toujours répété qu’il ne savait pas vivre et que seul son travail lui permettait de se connecter à la société. Il le reconfirme en expliquant qu’il est prêt à tous les sacrifices, du moment que cela sert l’œuvre en construction. Celle-ci est au centre de tout et il n’a de cesse de s’effacer derrière elle. C’est peut-être là tout son drame, car à l’arrivée, au travers des images qu’il sélectionne parmi les milliers à disposition, nous ne voyons pourtant que lui. » – Extrait du Chapitre 1 de La Saga Evangelion.
Inspirations et interprétations
Evangelion fut, et reste encore, une œuvre en perpétuelle mutation : que ce soit dans sa création, durant laquelle l’ensemble de l’équipe pouvait faire des propositions (même si Anno pouvait changer d’avis du jour au lendemain), ou dans son interprétation, elle n’aura cessé de changer. En dehors de son côté méta parfaitement assumé, Hideaki Anno souhaitant entre autres interpeller la société sur sa pluralité et redéfinir le statut des otakus, Virginie Nebbia reprend de façon très méthodique les inspirations derrière la série.
Avec ses références religieuses multiples, du nom des anges aux explosions en croix devenus un des symboles de la série, Evangelion est une vision apocalyptique de notre monde, qui critique à plus d’un titre les institutions et souligne les conséquences de leur opacité. Mais c’est aussi un objet artistique dans la parfaite continuité de thèmes abordés dans l’animation des décennies précédentes.
« L’usage de mythes anciens ou de thématiques lexicales n’a rien de surprenant dans le monde des mangas ou des anime. Le public francophone est d’ailleurs familier avec cette méthode, comme le démontrent par exemple Les Chevaliers du Zodiaque (la Grèce antique et les constellations), Sailor Moon (les pierres précieuses et les planètes), Yu-Gi-Oh! (l’Égypte ancienne) ou encore… Nadia, le secret de l’eau bleue et sa revisite des Atlantes ! À vrai dire, les références religieuses sont déjà extrêmement nombreuses dans Nadia. […] Néanmoins, les renvois à l’Ancien Testament les dépassent tous : tour de Babel, Adam, satellites au nom d’anges (Michael et Lucifer), jugement dernier, arche de Noé, etc. […] En outre, à plusieurs reprises, des protagonistes sont retenus prisonniers en position de crucifixion. Cette image, plus que parlante, révèle toutefois plus qu’une passion christique : elle provient d’Ultraman. De base, rien ne laissait entrevoir une quelconque filiation entre Ultraman et Nadia, et celles et ceux qui ne connaissent pas le héros de tokusatsu pourront rester interdits face à cette déclaration. Mais elle est pourtant bien présente. » – Extrait du Chapitre 2 de La Saga Evangelion.
Virginie Nebbia ne se limite pas aux références, mais continue en nous proposant une analyse minutieuse des différents thèmes d’Evangelion, du rapport parental et de la confrontation à la réalité. La Saga Evangelion – L’œuvre d’une vie est indéniablement un travail d’une qualité irréprochable, qui ouvrira des perspectives nouvelles à tous les fans curieux d’élucider les certains mystères d’une de leurs œuvres de cœur.
Les paroles de la chanson Beautiful World d’Utada Hikaru résument probablement le mieux le chef-d’œuvre qu’est Evangelion :
« No matter what the cost, when you try,
You will find yourself grow up little by little. »
Ceci étant, vous trouverez des explications bien plus fournies dans La Saga Evangelion – L’œuvre d’une vie, eu égard au travail dantesque produit par son autrice, Virginie Nebbia. Sans s’attarder à raconter la série ou les films, elle nous fait découvrir dans son livre tout à la fois le contexte de conception des animés, la vie tumultueuse d’Hideaki Anno, et les détails de sa création, avant de nous présenter les références multiples et son interprétation de cette œuvre. Des explications qui raviront indéniablement les fans, et inciteront les néophytes à aller plonger leur regard dans cette spirale créative infernale qu’est Evangelion.