Le 24 juin, la Cour Suprême des États-Unis a annulé l’arrêt Roe vs Wade, qui accordait le droit à l’avortement aux femmes à l’échelle nationale. Il revient désormais à chaque État des USA de légiférer à ce sujet, et treize d’entre eux ont déjà entériné des lois interdisant l’IVG.
Dans la foulée de cette décision politique et sociale, les États-Unis d’Amérique étant une terre de jeux vidéo, de nombreux studios se sont exprimés pour critiquer cette décision, tandis que d’autres se seront tus.
Bungie, dont le siège est basé dans l’État de Washington qui autorisera toujours le droit à l’avortement, fut l’un des premiers à s’opposer à cette « attaque directe aux droits humains », et à annoncer début mai soutenir ses employé·e·s. Puis à l’assumer pleinement sur les réseaux sociaux.
A very good morning to whoever at @Bungie is running the social account and is absolutely taking no shit. pic.twitter.com/O9v7NauWAO
— Matt (@munkimatt) May 4, 2022
Il est ironique de constater que les réactions des studios indépendants comme Team Meat (le studio derrière Super Meat Boy) auront été bien plus directes sur les réseaux sociaux que celles de grands éditeurs. L’attitude de PlayStation par exemple, qui se sera montrée beaucoup plus contrastée dans ses prises de parole, aura été très changeante.
The Supreme Court can go fuck itself
— Team Meat (@SuperMeatBoy) June 24, 2022
Courant mai, Jim Ryan, le président de PlayStation, s’exprimait à ses employés dans un email leur demandant de « respecter les différences d’opinion » au sujet du droit à l’avortement. Nous vous laissons apprécier par vous-même la qualité de la dialectique dans ce détournement du problème de fond, alors qu’il avait été interdit par la direction aux différents studios de PlayStation de s’exprimer publiquement sur le sujet.
« Nous nous devons, les uns envers les autres et envers les millions d’utilisateurs de PlayStation, de respecter les différences d’opinion entre tous les membres de nos communautés internes et externes. Le respect n’est pas synonyme d’accord. Mais il est fondamental pour ce que nous sommes en tant qu’entreprise et en tant que marque mondiale appréciée. » – Jim Ryan, Président de PlayStation
Les studios de la marque auront toutefois réagi à l’opposé, le PDG d’Insomniac Games ayant répondu à cet e-mail par une lettre de près de 60 pages de recueils de déclarations appelant les dirigeants de l’entreprise à soutenir les employé·e·s qui seraient affectés par l’annulation de l’arrêt, et par la limitation des soins reproductifs qui en résulterait.
Dans la foulée de cette lettre, Insomniac Games puis Sony ont chacun fait don de 50.000 $ à WRRAP, une ONG dédiée à assurer des soins aux femmes ayant besoin de services d’avortement ou de contraceptifs d’urgence.
Depuis lors, la demande initiale de Jim Ryan a été revue et corrigée, et plusieurs entreprises au sein de PlayStation Studios ont partagé des sentiments pro-choix suite à l’annulation de Roe vs Wade. Vous pourrez donc retrouver des déclarations, reprenant des termes relativement similaires comme « liberté de procréation » ou « autonomie corporelle », sur les fils d’Insomniac, Bend Studio, Media Molecule, Sucker Punch, Guerrilla et Naughty Dog. PlayStation Londres a aussi partagé un tweet similaire, mais rien du côté du compte officiel de PlayStation US.
— PlayStation London Studio is Hiring! (@LondonStudioHQ) June 24, 2022
Le soutien financier des différents studios pro-avortement a depuis été précisé : prise en charge des frais des trajets nécessaires dans le cas d’un traitement médical, assistance maternelle à domicile, voire même une aide pour déménager dans un autre état.
Certaines prises de paroles auront toutefois été moins appréciée que d’autres, comme c’est le cas au sein de Bethesda Game Studios, sorti de son silence presque deux mois après Bungie dans une formulation qui aura déplu à beaucoup (la sexualité et le genre n’étant pas considéré par tous comme un « style de vie »).
— Bethesda (@bethesda) June 24, 2022
Ayant des bureaux dans plusieurs États concernés par l’annulation de l’arrêt Roe vs Wade, notamment au Texas, la filiale de ZeniMax Media a vu grandir le nombre d’employé·e·s mécontent·e·s du manque de soutien officiel de l’entreprise vis-à-vis de l’accès à l’avortement. Et le rachat par Microsoft ne semble pas pouvoir améliorer cette situation, les bénéfices et les politiques internes restant dissociés pour le moment.
Un groupe interne du studio, dédié à la protection des droits des femmes, avait déjà demandé à ZeniMax de codifier l’accès à la contraception par le biais des plans de santé de l’entreprise, de garantir la non-discrimination à l’égard des employées enceintes, de négocier le relogement des employés dans les États touchés, comme le Texas, et d’accommoder le personnel conformément aux lois locales. Trois de ces quatre demandes n’auront finalement pas été prises en compte.
Il est effrayant de constater la facilité avec laquelle certains droits humains essentiels peuvent être balayés rapidement, qui plus est dans la plus grande puissance mondiale, sans possibilité de retour en arrière à moyen terme. Tout cela dans le silence de grandes instances, celles-là même dont le poids serait probablement le plus à même de changer la donne.
Difficile, donc, de rester optimiste après cette annulation de l’arrêt, et encore plus quand la cour suprême des États-Unis annonce dès la semaine suivante la limitation des pouvoirs de l’Agence pour la protection de l’environnement (EPA) au niveau fédéral et non plus national, comme c’était le cas jusqu’ici.
Parmi les grandes entreprises à s’être gardées de prendre position concernant l’annulation de l’arrêt Roe vs Wade, on retrouve quelques habitués de la langue de bois : Nintendo et Sega (serait-ce un trait japonais que d’éviter la critique frontale ?), Gearbox, et enfin Activision Blizzard.
Ce qui n’est pas sans nous rappeler que le PDG de ce dernier studio, l’exécrable Bobby Kotick, a récemment fait don de milliers de dollars à un républicain anti-avortement. Et qu’il a été réélu pour un an à la tête de l’entreprise par son conseil d’administration. De quoi égayer nos journées en pensant à la transformation du rêve américain…