« Le succès avait pourtant été immédiat, considérable et durable. Sur le marché de l’occasion qui est bien le critique le plus sévère qu’un écrivain ait à affronter, les prix des romans de Stefan Wul, pourtant de plus en plus dépenaillés avec le temps, se sont multipliés par huit ou dix par rapport à leur valeur originale. Ils sont devenus introuvables dans les bibliothèques scolaires ou municipales parce qu’ils ont été volés et l’on dit que certains collectionneurs enferment leurs exemplaires dans des coffres.
Malheureusement pour Wul et pour ses lecteurs potentiels, en effet, il avait été publié dans une collection qui, pour des raisons de gestion sans doute solides, mais bien regrettables ignore la réimpression. Un livre doit chasser l’autre. »
Ce texte est un extrait de la préface signée de l’éditeur Gérard Klein pour le recueil des œuvres de Stefan Wul paru dans la célèbre collection de science-fiction « ailleurs et demain » en… 1970 ! Pourtant, remplaçons « les romans de Stefan Wul » par « Baten Kaitos Origins» sur GameCube (par exemple, mais cela fonctionne aussi avec Skies of Arcadia Legends, sur GameCube encore, ou Valkirie Profile dans sa version traduite en anglais sur PlayStation…), et l’on s’apercevra à quel point le propos est plus que jamais d’actualité !
Ces derniers jours, on a appris la suppression des stores d’un jeu pourtant éminemment important, Spec Ops: The Line. Adaptation du roman de Joseph Conrad « Au Cœur des Ténèbres » (qui a notamment inspiré le film Apocalypse Now), c’est surtout l’un des rares jeux de guerre antimilitaristes, et un TPS qui interroge le joueur et la violence de ses actions, un thème trop peu abordé par le média pourtant souvent accusé d’être un peu trop porté sur, justement, la violence.
Parce que le jeu ne fut pas, malgré un accueil critique plus que favorable, un immense succès commercial, il n’y a que peu de chances qu’un éditeur s’en saisisse et propose un remaster… La seule manière de jouer au jeu est donc désormais, pour qui ne l’a pas encore dans sa bibliothèque numérique, de trouver un exemplaire physique d’occasion. Occasion qui ne manquera pas de rapidement prendre de la valeur, jusqu’à peut-être atteindre des montants indécents. Et même en mettant le prix pour une copie PS3, encore faudra-t-il disposer d’une console capable de faire tourner le jeu (il reste rétro-compatible sur Xbox).
Et pourtant, nous avons tendance à râler sur les portages, remasters et autres remakes qui ont envahi les boutiques depuis quelques années. Combien d’articles (ou de vidéos YouTube) s’interrogent (faussement, ils posent la question pour donner la réponse) sur la légitimité de remasters comme celui de The Last of Us Part II seulement trois ans et demi après sa sortie originelle ? Certes, la version PS4 tourne naturellement sur les consoles de dernière génération, ce qui fait du remaster en question une cible facile. Mais ne devrait-on pas plutôt se réjouir que le jeu reste accessible le plus facilement du monde, et ainsi, d’une certaine manière, vivant ?
En fait, plutôt que de trop nombreux remasters ou autres portages, n’en aurait-on pas trop peu ? On entend les joueurs réclamer à Naughty Dog de se concentrer sur un nouveau titre plutôt que sur des remakes et portages en série (Nous les premiers, parfois ! Reconnaissons-le…) ; mais il est sorti plus de 14 500 jeux sur Steam en 2023 ! Alors, manque-t-on vraiment de nouveaux jeux ? Dans le même temps, la fermeture des stores numériques Wii U et 3DS a fait disparaître des dizaines (centaines ?) de jeux, désormais introuvables.
Plutôt que de sortir un remake de Silent Hill 2 qui est bien parti pour décevoir tout le monde, ne devrait-on pas porter sur les consoles de dernière génération un remaster éditorialisé, remis en contexte, commenté, du titre original, explicitant pourquoi le jeu fut si important, un peu à la manière de ce que fait Digital Eclipse (Atari 50, The Making of Karateka) ? Cela dit, la sortie de l’un n’empêche pas la publication de l’autre…
N’oublions pas qu’au-delà de la valeur complètement usurpée des jeux « sous cello » en salle des ventes, le plus important quand on parle de conservation du patrimoine vidéoludique, c’est que les jeux restent accessibles. Et jouables.
Rétro – Jeux vidéo, cotes et collectionneurs : avec la raison, les prix s’envolent !
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Chrono Cross The Radical Dreamers – De la nécessité des remasters
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Remake, remaster, reboot, portage – Pour y voir plus clair
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