On a appris hier via Libération que l’équipe de Gamekult fera son préavis de départ à la maison, et s’est donc vue refuser le droit de terminer l’année et de publier les derniers articles, tests, et émissions qui étaient prévus avant que les journalistes ne quittent la rédaction. Une situation qui touche les abonnés au journal, les habitués du site, et les amateurs de jeux vidéo dans leur ensemble, mais qui n’est hélas pas un cas particulier, et qu’on retrouve de façon générale dans l’ensemble de la presse web, et même au-delà.
Gamekult n’est ainsi, finalement, qu’un dommage collatéral, puisqu’il faut se rappeler que Reworld, le nouveau propriétaire, n’a pas précisément racheté le site, mais un package contenant aussi des marques fortes comme Marmiton, Doctissimo, Au Féminin ou Les Numériques. On imagine ainsi aisément que du point de vue business, Gamekult n’était pas le produit d’appel du lot, avec sa situation financière depuis longtemps sur le fil, malgré un modèle économique d’avant-garde.
Car avec un site à la fois gratuit et payant lancé dès 2015, Gamekult avait tenté de résister à la crise qui touchait déjà la presse en ligne à l’époque. Et avait en partie réussi. Le modèle du « tout gratuit » né avec la démocratisation d’internet au milieu des années 90 a en effet déjà plus ou moins disparu, en tout cas dans la forme qu’on lui connaissait il y a encore quelques mois. Il n’y a qu’à voir la home page du plus gros site d’actu JV francophone pour s’en convaincre…
Les premiers sites web se finançaient ainsi entièrement par la publicité, grâce aux bannières et autres « cases » insérées au cœur des pages. C’est comme ça que Google a fait fortune. Comme la télévision, finalement. Mais justement, la multiplication des acteurs a éclaté le marché de la publicité : dans les années 90, un publicitaire faisait un gros chèque pour voir son film diffusé pendant une grosse émission de variété sur TF1, et il était certain de toucher un maximum de public. Puis les chaînes du câble et du satellite sont arrivées (bientôt remplacées par la TNT), suivies du web et de la révolution qu’on a connue il y a quelques années : aujourd’hui, un publicitaire pourra toujours s’afficher à la télé, où il devra choisir entre des dizaines de chaînes, mais aussi sur les sites de presse en ligne, sur YouTube, sur Twitch, dans les podcasts, sur les réseaux sociaux… Sans compter les investissements dans les nouveaux modes de publicité que représentent ceux qu’on appelle « influenceurs ».
Avec autant d’acteurs qui se partagent le gâteau pub, les parts sont devenues plus petites. Les médias traditionnels en ont fait les frais : on pense ainsi à la fermeture de la chaîne télé NoLife, devenue incapable de se financer, ou à la disparition des quotidiens et hebdos gratuits distribués devant les bouches de métro, comme Metro, Direct Matin, Stylist… Et les bannières, qui rapportent aujourd’hui bien moins qu’il y a quinze ans, ne suffisent plus à soutenir financièrement un site web.
Trois solutions principales sont donc apparues. D’abord, multiplier les bannières et encarts publicitaires pour garder un certain niveau de rémunération – une stratégie qui entraîna l’overdose de pubs, et la généralisation des usages de bloqueurs de publicités. Retour à la case départ. Une autre solution était radicalement inverse : abandonner la publicité et le « tout gratuit » pour devenir prémium et fonctionner grâce aux abonnements payés par ses lecteurs. Un système finalement hérité de la presse « à l’ancienne », adopté avec succès par des sites comme Arrêt sur Image ou Mediapart, mais un pari risqué sur le web, où, historiquement, le public s’attend à avoir accès à tout gratuitement.
Gamekult n’avait pas choisi entre les deux et avait adopté de façon un peu inédite une recette à mi-chemin, avec du contenu gratuit soutenu par la publicité, et un contenu exclusif aux abonnés payants, qui bénéficiaient aussi d’un site sans aucune publicité. Sans être devenu la formule magique qui sortirait la presse de son marasme, l’idée a permis de garder le site debout jusqu’à aujourd’hui.
Une autre solution, celle qui a le vent en poupe, c’est l’affiliation. L’affiliation, ce sont des liens vers des sites marchands, qui rapportent au site qui les affiche une petite rémunération en cas de clic, et une commission si le clic entraîne un achat. Les Numériques, par exemple, a réussi avec brio à utiliser ce système, d’autant plus raccord avec sa ligne édito : le site propose des comparatifs de produits high-tech, et des liens marchands sont proposés dans les descriptions des objets en question.
Revers de la médaille, l’affiliation étant devenue pour les sites gratuits le moyen le plus solide de se rémunérer, elle a envahi une bonne partie de la presse en ligne, et sur de nombreux sites web qui furent un temps « de référence », les pseudo-bons plans aux titres clicbait renvoyant vers des boutiques en ligne ont pris le pas sur les véritables infos, et des sites orientés « culture geek » ou jeux vidéo rédigent des articles sur des aspirateurs…
C’est d’ailleurs probablement l’avenir de Gamekult sauce Reworld. Nous en avions parlé dans un précédent article, Reworld ne fait pas de journalisme, mais du « contenu ». Il faut donc s’attendre à un mix de liens affiliés et d’articles sponsorisés, parsemés de quelques news reçues des services de presse des éditeurs pour se donner de la contenance. La méthode Reworld, qui consiste à acheter une marque installée pour profiter de sa renommée arrive peut-être au bout de ce qu’elle pouvait faire : nul n’ignore aujourd’hui que le Gamekult nouveau ne partagera rien, si ce n’est son nom, avec le Gamekult historique. L’ogre a donc réussi tout seul à ruiner par avance la réputation du nouveau site, réputation qui justifiait justement le rachat… Cheh !
Après l’industrie musicale, TikTok s’attaquerait au jeu vidéo
Loriynn
Acquisitions à la chaîne – Que reste-t-il de l’indépendance des studios ?
M⅃K
Adieu les notes archaïques dans nos tests de jeux vidéo
Drakyng