Le phénomène des loot box inquiète en dehors des sphères du jeu vidéo. Voilà plusieurs mois que ce “modèle économique” fait parler de lui jusque dans les médias généralistes. À tel point que même les politiques – pas les plus pointus question jeux vidéo – commencent à y mettre le nez…
“100% des gagnants ont tenté leur chance…”
Les loot box, ce sont, littéralement, des coffres à butin. Et puisque l’on est dans le vocabulaire des jeux vidéo, le butin en question consiste en contenu in game : des objets plus ou moins utiles pour progresser dans la partie. Le “plus ou moins” est ici essentiel, c’est le concept même de loot box. Parce qu’à cette pochette surprise sont attachées des probabilités : les objets apparaissant seront alors plus ou moins rares, leur utilité étant inversement proportionnel à leurs chances d’apparition. Et bien entendu, les joueurs seront tentés de continuer à vouloir ouvrir ces coffres aux trésors jusqu’à obtenir l’objet convoité. Jusqu’ici pas de problème, le hasard fait partie de l’idée même du jeu depuis l’origine des temps (les dés…).
Le problème apparaît avec le modèle économique dit des micro-transactions, souvent attaché aux jeux appelés free-to-play. Les deux fonctionnant de paire dans un modèle marketing qui a largement fait ses preuves. Ainsi, le free-to-play est, comme son nom l’indique, un jeu auquel on peut s’adonner gratuitement. Et très souvent, à côté de ce gratuitement, il est possible de payer quelques dizaines de centimes pour du contenu supplémentaire optionnel, purement cosmétique ou pouvant accélérer ou faciliter la progression dans le jeu (les sucettes-marteaux dans Candy Crush, pour prendre un exemple populaire). Cependant, c’est quand ce contenu supplémentaire est vendu “à l’aveugle” que cela pose problème : on ne sait plus pourquoi l’on paie. D’autant que le faible coût ponctuel de l’achat (la micro-transaction, souvent moins d’un euro) peut inciter à la répéter de façon à obtenir l’objet convoité… C’est là que le piège se referme.
Le côté obscur
Ce système d’achat aléatoire, les fameuses loot box, avait été implémenté par Electronic Arts dans Star Wars Battlefront II, provoquant un important mécontentement chez les joueurs. Le jeu étant multi, en plus d’une galette payée plein pot, il fallait forcément passer à la caisse pour rester au niveau des autres joueurs. Certains analystes parlaient en effet de 4500 heures de jeu nécessaires pour débloquer tout le contenu sans payer ! C’est ce qu’on appelle le “pay to win”, un genre de modèle économique où c’est l’argent investi dans le jeu qui fera la différence, plus que les compétences du joueur.
La grogne avait été particulièrement puissante autour de Battlefront II pour que cela arrive aux oreilles des autorités, et des autorités belges notamment. Ces dernières avaient regardé de plus près le système de loot box de Battlefont II, mais aussi d’Overwatch, de Counter Strike ou encore de FIFA 18, et en avaient conclu qu’il s’agissait bien de jeux de hasard, tels que “les tickets à gratter” ou les jeux de casino, et qu’ils devaient par conséquent répondre d’une législation très stricte, notamment en termes d’accès aux mineurs.
Les loot box ont depuis été interdites sur le sol belge. Les Pays-Bas ont également imité leur voisin. Certains éditeurs ont alors modifié les systèmes d’attribution de récompenses, quand Electronic Arts s’était à l’époque entêté et avait fait l’objet d’une enquête criminelle initiée par la justice belge, tandis que Nintendo a purement et simplement retiré ses titres qui fonctionnaient sur le principe des loot box (Animal Crossing: Pocket Camp et Fire Emblem Heroes) des stores d’applications des pays concernés, ne laissant à ceux qui avaient parfois investi des dizaines ou même des centaines d’euros en contenu que leurs yeux pour pleurer, et Dr Mario World.
Le fragile équilibre entre image de marque et avidité
Taxée de criminelle dans certains titres de journaux, la réputation de l’entreprise en prend un coup ! À la fois conscient de l’importance de leur image de marque, mais ayant aussi observé le succès de Fortnite, qui a retiré depuis un moment déjà les loot box de son système de jeu, le secteur a beaucoup bougé dernièrement.
C’est d’abord Rocket League, l’un des fleurons de l’eSport, qui a décidé le 6 août dernier d’abandonner les loot box. Si les micro-transactions et les systèmes d’achats supplémentaires ne vont pas disparaître, les joueurs sauront désormais ce qu’ils achètent à l’avance. Un premier pas vers plus de transparence avait été fait par le titre à l’époque du scandale de Battlefront II, et les probabilités d’obtenir tel ou tel objet étaient depuis affichées. L’accélération vers l’abandon pur et simple des éléments aléatoires n’est pas étrangère au rachat de Psyonix, maison mère de Rocket League, par Epic Games (Fortnite).
Mais les géants s’y mettent aussi. Sony, Nintendo et Microsoft se sont ainsi tous trois assis autour d’une table de négociation pour réfléchir au problème et aux réponses à lui donner à grande échelle. Un communiqué dans ce sens a été publié sur le site de l’Entertainment Software Association (qu’on connait surtout pour être à l’organisation de l’E3), qui promet des nouvelles règles et plus de transparence pour fin 2020. Si les actions qui seront menées sont toujours en train d’être discutées, la première décision sera de faire apparaître les probabilités d’obtention attachées à chaque contenu lors de l’achat, ainsi que le faisait déjà Rocket League. De nombreux éditeurs importants se sont joints à l’initiative, parmi lesquels Activision Blizzard, Bandai Namco, Bethesda, Bungie, Electronic Arts, Take-Two Interactive, Ubisoft, Warner Bros. Interactive Entertainment, et Wizards of the Coast…
Pas si simple ?
Première fêlure (déjà), Electronic Arts (encore lui), pas à un sarcasme près, a déjà annoncé remplacer ses loot box par un système de “mécaniques surprises”, où l’aléatoire aura toute sa place. Des loot box donc. Toujours en désaccord avec l’analyse du gouvernement belge sur ce genre de fonctionnement, EA rapproche son système de pochettes surprises du principe des œufs Kinder, et promet que ces “nouvelles” mécaniques seront éthiques et fun.
”Les packs, la surprise – les gens trouvent ça amusant ! Ils aiment les remporter, les ouvrir, construire leurs équipes avec, les échanger… “ – Kerry Hopkins, Vice Présidente d’EA, à propos des loot box dans FIFA.
Et c’est vrai que le principe de la récompense aléatoire fait partie du plaisir du jeu, et parfois de la motivation à continuer, à revisiter une énième fois un niveau en quête d’un matériau ou d’une arme tant convoitée. C’est une partie de l’histoire même du jeu. Ne serait-ce qu’aux cartes (les vraies, traditionnelles, en papiers !), combien de mains “foireuses” pour une vraie main gagnante ? Le problème, évidemment c’est quand le loot devient payant. Cependant, transformer une récompense aléatoire en récompense garantie assortie d’un prix en monnaie sonnante et trébuchante ne rendra pas ce loot moins payant, et risque de transformer de nombreux jeux en “pay to win”. Et puis, avec la multiplication des formules de jeu en illimité (abonnements…), le secteur va devoir chercher de nouvelles sources de revenus. Le chantier s’annonce complexe…