Nous l’évoquions dans nos colonnes, même si la première moitié de l’année n’est pas encore écoulée, 2024 a déjà vu plus de personnes issues de l’industrie du jeu vidéo licenciées que 2023 dans sa totalité, alors que cette dernière est pourtant considérée comme une année noire. La cause serait structurelle, avec un niveau d’affaire qui a baissé après la bulle COVID, mais aussi des coûts de production qui explosent pour une croissance qui a tendance à s’aplatir. C’est le genre d’arguments que nous sert Phil Spencer à chaque « décision difficile » qu’il doit justifier (les décisions difficiles étant bien évidemment des fermetures de studios avec licenciements).
Une explication qui ne convainc pas Shawn Layden, aujourd’hui conseiller pour Tencent, mais surtout ex-numéro 1 de SIE (Sony Interactive Entertainment). Selon lui, c’est l’attitude même des studios qui mène à cette situation. Une attitude qu’on pourrait résumer ainsi : la cupidité et le manque de patience. Il prend ainsi l’exemple de l’empressement durant, justement, la bulle COVID.
Le confinement a poussé à une surconsommation de loisirs numériques, et a généré un chiffre d’affaires exceptionnel notamment dans le secteur du jeu vidéo. Nombreux sont alors les acteurs qui ont voulu leur part de ce gâteau inattendu, investissant à tout-va, parfois (souvent ?) sans trop réfléchir, avec les conséquences et surtout les licenciements massifs que l’on connaît quelques mois plus tard.
« Nous avons connu cette période de croissance artificielle pendant la pandémie, et je m’attendais à ce qu’un plus grand nombre de sociétés comprennent qu’il ne s’agissait que d’un événement à très courte échéance. […] Personne ne savait combien de temps la pandémie ou le confinement allait durer, alors j’imagine qu’il y a eu des investissements immédiats pour profiter de ce potentiel, qu’on pensait peut-être durer plus qu’il ne le fit réellement. Mais c’est un énorme pari. […] Et c’est pourquoi la patience est importante. L’industrie perd patience, et veut trouver le moyen de régler des choses en six mois, alors que dans cette industrie, rien ne se fait en six mois. » – Shawn Layden, à GamesIndustry.biz (traduit par la rédaction).
Et en effet, quand un jeu AAA met cinq, six ou sept ans à voir le jour, se lancer sans recul dans un projet au nom du confinement semble complètement aberrant. À moins d’imaginer que ce même confinement allait durer cinq, six ou sept ans ? Ce qui n’est pas moins aberrant. Le principe même des bilans annuels, et des décisions que ces derniers « imposent » pour satisfaire les actionnaires (régulièrement des vagues de licenciements, donc), ne semble pas raccord avec le rythme de l’industrie.
Prenons l’exemple de Rockstar, qui casse tous les records à chaque sortie, mais évidemment pas chaque année. Le dernier grand titre des studios, Red Dead Redemption II, est sorti en 2018, et avant lui, GTA V était sorti en 2013. Soit deux titres en plus de dix ans. Bien sûr, entre GTA V et RDRII, on a connu le lancement de GTA Online, et après RDRII, des compilations et ressorties ont amené un peu d’activité. Mais sans comparaison avec les résultats d’une année de sortie de gros jeux comme les GTA. Le principe traditionnel des bilans financiers annuels et de la croissance, qui veut que l’année N présente des résultats supérieurs à ceux de N-1 n’est pas applicable à une industrie qui met des années pour sortir un nouveau produit.
Un autre point où, toujours selon Shawn Layden, l’industrie manque de patience, c’est celui de l’installation de nouveautés.
« C’est la chose la plus frustrante, quand vous voyez des gens dire « regardez ce petit studio qui a fait un super jeu, il a un vrai potentiel, il propose une toute nouvelle expérience de jeu, mais nous n’avons pas le temps de développer ce truc avec un numéro 2 ou un numéro 3. » Même quand le jeu n’a pas été une catastrophe commerciale, s’ils n’ont pas fait les bénéfices exceptionnels qu’ils attendaient, ils annulent tout pour aller refaire des licences AAA bien établies, des suites ou des copies de jeux existants… »
À l’époque où les jeux n’étaient distribués qu’en boîte, la durée de vie commerciale d’un titre était de trois semaines, après quoi, ils étaient remplacés en rayon par d’autres nouveautés et leur destin était scellé. Mais à l’heure de la distribution numérique, de l’« early access » généralisé, on devrait pouvoir laisser du temps aux jeux. Les exemples d’Among Us et, dans un autre genre, de Cyberpunk 2077, le montrent : si les éditeurs avaient abandonné les projets quelques semaines après leur sortie, jamais ces deux jeux n’auraient pu devenir les hits que nous connaissons. De même pour NieR. L’échec commercial du premier jeu aurait pu empêcher la sortie du pourtant ô combien important NieR: Automata.
L’on vient d’apprendre que Paradox avait décidé de mettre fin au projet Life by You, et de fermer du même coup le studio en charge de son développement, Tectonic (oui, bon, ok, le nom n’augurait rien de bon… mais cela ne justifie tout de même pas les licenciements…). Le problème ? L’impossibilité de rendre un jeu dans des délais jugés « raisonnables » :
« Bien que retarder la sortie était une option envisageable, après avoir pris un peu de recul sur le jeu, il s’est révélé clairement que le chemin qui nous conduirait à une sortie en laquelle nous pouvions croire serait trop long et incertain. » – Mattias Lilja, PDG adjoint de Paradox, à propos de l’annulation de Life By You (traduit par la rédaction).
C’est donc bien, comme l’analyse Shawn Layden, le manque de patience qui aura tué le seul concurrent potentiel des Sims, qui avait réussi durant son développement à éveiller une curiosité certaine. Les Sims garderont leur monopole (il y a pourtant très probablement des places à prendre…), et Paradox pourra se recentrer sur un énième shooter multi. (Une remarque assez injuste, puisque Paradox ne donne justement pas dans le shooter, mais vous aurez compris l’esprit !)
Life by You brutalement annulé
Lila
Licenciements – Behaviour Interactive (Dead by Daylight) tranche dans le vif
Team NG+
Xbox Game Studios – Des fermetures qui ne passent pas
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