C’est un exercice quasi-obligé de toutes rédactions jeux vidéo : les notes qui tombent en fin de test. Que la rédaction en question soit très grand public ou plus spé, que la note soit sur 5, 20 ou 100, tous s’y conforment.
Il faut dire que la chose est pratique : elle permet au lecteur d’avoir en un clin d’œil un avis sur le jeu ainsi jugé. Une conclusion du test qui tient en un seul caractère (deux si on note sur 20 ou sur 100…). Et cela n’existe pas que pour les jeux vidéo, mais pour toute l’industrie culturelle : on pensera au petit personnage de Télérama, qui, du sourire à la moue boudeuse, vaut une note sur 5. Et même à toute l’industrie tout court : des sites web orientés techs notent ainsi les produits qu’ils passent au banc d’essai, quand les consommateurs, eux, attribuent des notes aux hôtels ou restaurants qu’ils fréquentent sur des applications mobiles dédiées…
La pratique est donc largement répandue, à tous les niveaux de notre quotidien. Mais se justifie-t-elle pour autant ? On peut se poser la question quand on prend un peu de recul sur un panel de notes prises toutes ensemble. Ainsi, sur le plus gros site d’actualité de jeux vidéo français, un jeu comme le très moyen Stela (Apple Arcade) serait meilleur que le phénomène Among Us ou l’aventure de Call of the Sea. À en croire leurs notes respectives, en tout cas. Et même chez nous, le jeu de course automobile orienté arcade Inertial Drift fut sanctionné d’un joli 8, le sacrant meilleur que, par exemple, Marvel’s Spider-Man: Miles Morales, qui n’a récolté « que » la note de 7…
En vérité, tous ces titres ne sont pas comparables, et sont aussi notés en ayant en tête leurs moyens et ambitions. Mais la note a cet effet d’échelle qui met tous les titres au même niveau et pousse ainsi à cette comparaison qui n’a pas lieu d’être.
L’autre effet pervers de la note est peut-être plus grave. Noter les jeux pourrait ainsi handicaper la critique jeu vidéo et la transformer en vulgaire guide d’achat. C’est un peu ce que nous a montré l’expérience Cyberpunk 2077 (oui, encore lui !). Si l’industrie du jeu vidéo est bel et bien une industrie – et les chiffres affolant de l’année écoulée nous ont encore montré l’importance des enjeux qu’elle représente désormais –, ce n’est pas une industrie comme les autres. Et un jeu vidéo n’est pas un robot pâtissier.
Quand on critique un jeu vidéo, on ne s’intéresse pas exactement à son bon fonctionnement. Bien sûr, les bugs et autres défauts techniques sont à noter, car ils peuvent nuire à l’immersion, à l’expérience de jeu, à sa réception par le joueur. Mais on l’a vu avec un jeu aussi cassé que Deadly Premonition : une technique, aussi calamiteuse soit-elle, n’empêche pas un jeu de trouver son public, voire de devenir culte. Il faut « juste » qu’il ait quelque chose à proposer.
Critiquer un jeu vidéo, c’est surtout s’intéresser à ce qu’il raconte, à ce qu’il propose. The Last of Us Part II était particulièrement abouti graphiquement et techniquement, mais on relèvera que c’est loin d’être la caractéristique principale sur laquelle la presse jeux vidéo internationale s’est arrêtée.
Pour en revenir à Cyberpunk 2077, le jeu dispose de trois notes sur ce plus gros site d’actu jeux vidéo français. Trois tests et trois notes allant de 07/20 à 17/20. Le même jeu, avec le même scénario, le même gameplay, les mêmes personnages peut donc passer de médiocre à génial. On constate que Metacritic a également fait ce choix de proposer une note selon le support. Fenêtre sur Cour, d’Alfred Hitchcock, ou Lost Highway, de David Lynch, deviennent-ils des nanars quand ils sont joués sur une vieille télé cathodique ? Un texte de Jorge Luis Borges devient-il un roman de gare si on le lit dans une édition de poche cornée dont les pages sont un peu jaunies ?
Alors pourquoi des notes si différentes ? Peut-être parce qu’il faut « prévenir » le joueur. Ou en tout cas, le consommateur. Ce que disent ces trois notes, rien que par le fait d’être trois, c’est : achetez le jeu si vous jouez sur PC, abstenez-vous si vous avez une PlayStation 4. La critique disparaît pour se faire guide d’achat, et le jeu n’est plus qu’un lave-linge dont on compare les performances à l’essorage. Les performances à l’essorage étaient (sont) d’ailleurs le principal argument de ventes des nouvelles consoles, conduisant à un débat absurde sur l’impossibilité pour la PlayStation 5 d’afficher des jeux à 1440p…
Alors on n’arrêtera pas dès demain de noter les jeux dans nos colonnes, il faut reconnaître que pour nous aussi, cela représente un certain confort, cela nous permet de nous positionner et de prendre un peu de recul sur le jeu en se posant la question de pourquoi on lui attribue telle ou telle note (sans mentionner les avantages liés au référencement Google). Mais puisque c’est la saison des bonnes résolutions : et si, pour 2021, on se prenait moins pour des vendeurs d’électroménager, et on parlait un peu plus jeu vidéo ?