Une semaine après qu’It Takes Two a remporté la plus haute distinction aux Game Awards, celle de Jeu de l’Année (ou GOTY – Game Of The Year – pour les intimes), le fondateur et producteur de la cérémonie, Geoff Keighley, pose la question suivante : qu’est-ce que vous pensez de ce prix ?
Et il est vrai que malgré ses qualités indéniables, le dernier jeu de Josef Fares n’est pas un GOTY évident. En tout cas pas aussi clair que l’ont été d’autres tenants du trophée. The Witcher III: Wild Hunt (GOTY 2015) ou The Legend of Zelda: Breath of the Wild (GOTY 2017) étaient en effet des choix plus « faciles », moins sujets à la discussion tant ces jeux ont mis tout le monde d’accord.
Cette année, la cérémonie aurait pu couronner Resident Evil Village, graphiquement bien plus impressionnant, dont l’un des personnages, Lady Dimitriescu, a immédiatement marqué la pop culture, et qui venait confirmer la bonne tenue de la « nouvelle formule » Resident Evil, une série qui existe depuis maintenant vingt-cinq ans. D’ailleurs, presque rien que pour la longévité de la saga, il aurait mérité un Award ! Si Village avait été GOTY cette année, nous aurions pu facilement l’accepter.
De même pour Ratchet & Clank. Triple A familial, (trop) classique, mais efficace, le jeu est venu marquer la véritable entrée dans la nouvelle génération de machines. En donnant la récompense à l’exclu Sony, les Game Awards auraient pu eux aussi entrer symboliquement dans la neuvième génération. On aurait probablement un peu pesté contre le manque de proposition du jeu, mais le prix aurait pu s’expliquer.
C’est pourtant It Takes Two qui a remporté la médaille. Un choix audacieux, tant le titre était un peu l’outsider de la compétition. Avec un budget plus serré que les titres ci-dessus, It Takes Two est avant tout un jeu indépendant. Certes, soutenu par EA dans le cadre de son programme Originals, mais un indé quand même (signé Hazelight, on le rappelle). C’est aussi un jeu qui se joue uniquement en coopération. Une condition qui le rend plus compliqué à pratiquer, et qui fait que – probablement – moins de joueurs ont pu s’y essayer que d’autres jeux en lice.
C’est aussi, et surtout, une certaine vision du jeu vidéo, où le gaming, le fait de jouer, prend complètement part à l’écriture, dans une fusion assez rare du fond et de la forme. À l’écran, on joue un couple au bord de la rupture qui va devoir réapprendre à s’entendre pour venir à bout des épreuves auxquelles il est confronté. Devant l’écran, un couple de joueurs qui va devoir s’entendre pour progresser dans l’aventure. Simple, mais génial.
Mais avant tout, c’est un auteur, et sa vision, qui ont été récompensés. Et s’ils ont beaucoup de défauts (trop de pubs, un drôle de sens du timing…), c’est quelque chose qu’il faut reconnaître aux Game Awards. Après quelques années peut-être un peu consensuelles, voilà trois ans que la cérémonie n’hésite pas à mettre en valeur des jeux qui peuvent être clivants. Sekiro, en 2019, qui devient GOTY malgré les éternels débats autour de la difficulté qui accompagnent chaque sortie FromSoftware ; The Last of Us Part II en 2020, jeu de l’année au milieu de la tempête réac qui a suivi la publication du jeu ; et It Takes Two cette année, donc.
On le voit, derrière ces titres, ce sont aussi Hidetaka Miyazaki, Neil Druckmann et Josef Fares qui ont été récompensés. Qui pourrait – malgré leurs qualités rappelées ci-dessus – nommer les auteurs derrière Village (non, Shinji Mikami n’en est pas !) ou Ratchet & Clank ? Ce faisant, les Game Awards poussent l’industrie du côté noble de l’art, récompensant des jeux d’auteurs comme il y a des films d’auteurs, plutôt que du côté du pur divertissement. C’est, selon nous, un excellent signal à envoyer.