C’est un réel tremblement de terre pour les fans d’esport League of Legends : Lee « Gumayusi » Min-Hyeong, l’AD Carry triple champion du monde de T1, quitte son équipe. Après une année difficile, néanmoins couronnée de succès, le joueur a choisi de se séparer de sa structure de coeur.
Ce choix, présenté comme une envie pour le joueur d’atteindre un nouveau niveau de compétition, n’est pas anodin. Il fait suite à un harcèlement violent dont le joueur a été victime sur plusieurs années sans qu’il n’ait reçu aucune protection.
Si la situation n’aura pas atteint une dimension dramatique, elle reste suffisamment inquiétante pour qu’un législateur du parti démocratique de Corée du Sud ne s’empare de l’affaire et exige de la part de tous les acteurs liés à la situation des mesures pour qu’un tel cas ne se reproduise pas.
Qui est Gumayusi, le dernier ADC de SKT T1 ?
Si la situation fait autant de bruit, c’est que Gumayusi n’était pas n’importe quel joueur chez T1. Dans l’équipe League of Legends, même parmi la génération miraculeuse, excluant Lee « Faker » Sang-Hyeok, il était le dernier joueur à avoir joué pour la structure avant qu’elle ne change de nom et devienne T1 en 2020.
Il était alors un jeune joueur de l’équipe académique et refusait toute offre d’autres équipes lui promettant de rejoindre leur équipe principale. Gumayusi avait commencé sa carrière chez SKT T1, et il souhaitait la terminer dans cette même structure.
Après s’être battu pour une place de titulaire au sein de l’équipe principale, il lui fait honneur : il participe à l’obtention de trois coupes de champion du monde, dont une, celle de 2025, où il récupère le titre de MVP de la finale. C’est à dire qu’il a été le joueur le plus important de son équipe dans cette victoire.
« Guma est l’incarnation de T1, son sang est rouge et noir. » – Joe Marsh, président de T1, en 2024
Après cette fin du championnat du monde en apothéose, tout le monde s’attendait à une nouvelle année avec cette fondation d’équipe inchangée. Pourtant, lundi, une bombe tombe : Gumayusi se sépare de T1, de son choix, laissant le poste d’ADC vacant dans l’équipe championne du monde.
T1 crée des légendes mais ne les protège pas
Pourquoi est-ce qu’un joueur autant lié à sa structure, ayant été aussi clair sur ses ambitions et ses intentions, ferait un tel 180 degré ? La réponse se trouve, probablement, entre ce qui a été exposé dans sa vidéo d’adieux et l’extra-sportif. Si l’esport est capable du mieux, en poussant des compétiteurs au plus loin de leurs capacités, c’est aussi un environnement extrêmement toxique, où le harcèlement est monnaie courante. Critiques virulentes, messages haineux, menaces… autant d’attitudes inacceptables qui sont pourtant si communes au sein des communautés esport.
Or, être chez T1, c’est également être confronté à la plus grande fanbase du secteur. Les phénomènes, qu’ils soient positifs ou négatifs, y sont décuplés. T1 a parmi les fans les plus passionnés, la structure rassemble aussi les plus violents des harceleurs.
Ils se rassemblent sous une bannière là-bas, la T1 Support Gallery (aussi connue sous le nom de T1Gall). Le forum est hébergé sur le site DC Gallery, un site similaire à Reddit en Corée du Sud, et ses utilisateurs sont réputés pour leur harcèlement couvert par un pseudo supporterisme de Faker, la figure de proue de la structure.
Cas de « truckings », stalking, voire agressions, de fans du joueur, doxxing de sa famille… rien n’aura été épargné à Gumayusi. Son erreur ? Être trop populaire, trop charismatique. Il avait été identifié, de par son attachement pour la structure, comme un potentiel successeur à Faker en tant que joueur franchise.
Et le pire dans tout cela, c’est que T1 n’a rien fait pour protéger son joueur. Là où d’autres organisations mettent très rapidement des limites, T1 n’a pas seulement toléré la situation, les responsables de la structure ont considéré les critiques ainsi exprimées.
Alors que Gumayusi est mis sur le banc dès le début de l’année au profit du joueur académique, la structure reste complètement silencieuse lorsque T1Gall célèbre. Malgré lui, le joueur académique qui récupère la place laissée vacante dès le début d’année 2025 subit lui aussi la situation par ricochet.
Plus encore, les gestionnaires de T1 donne aux « critiques » un espace dédié sur l’application de l’organisation, où les joueurs doivent régulièrement se connecter et interagir avec le public. Lorsque Gumayusi reprend le rôle de titulaire dans l’équipe, c’est un réel festival : camions et couronnes funéraires au pied de la tour T1, où s’entrainent les joueurs… T1Gall ira jusqu’à doxxer le lieu de culte de sa famille en mars, puis les menacer. Les fans du joueur sont eux aussi inquiétés par des menaces.
T1 reste de marbre. On pourrait penser que la structure agit dans l’ombre. Cependant, ce qu’il en ressort, c’est que Gumayusi est largement mis en retrait par rapport à ses équipiers sur le contenu publié par la structure. T1Gall, quant à elle, continue ses actions jusqu’au départ pour le Championnat du Monde, sans n’avoir jamais été inquiété.
Gumayusi, une mise en garde pour T1 envers les dangers à venir
C’est ainsi que T1 perd un second joueur du cinq de légende aligné entre 2022 et 2024. Cette fois-ci, difficile de ne pas voir cette perte comme une blessure volontaire. Gumayusi avoue, à demi-mot, les conséquences de cette année en stream avant d’annoncer son départ.
« J’ai dû avoir le plus de rendez-vous pour recevoir de l’aide psychiatrique cette année, c’est la première fois que j’ai douté de mes capacités. » Gumayusi, en stream
Au milieu de tout cela, T1 aura eu une chance absolue : l’élégance de Gumayusi, qui choisit de partir comme il aura toujours vécu dans la structure, de la manière qui aidera le mieux l’organisation à garder la face.
Cependant, c’est peut-être le succès qu’il a rencontré au championnat du monde, ou l’effet d’annonce de son départ, mais un public plus large semble avoir pris la mesure de la situation. C’est le cas, notamment, de Jeon Yong-gi, un législateur du parti démocratique coréen.
Il caractérise, au sein d’un message sur ses réseaux sociaux, la situation vécue par Gumayusi de « harcèlement organisé », avec des « attaques qui sont allées bien au-delà de la limite ». Plus encore, il mentionne la responsabilité conjointe de la KeSPA (l’entité gouvernementale gérant l’esport en Corée), Riot Games Korea, DC Gallery et T1 dans la situation, affirmant qu’ils ne pouvaient plus se contenter d’être de « simples spectateurs ».
De plus, il affirme aussi la nécessité d’une législation plus stricte. Il évoque un potentiel plan en trois étapes, qui demanderait l’action conjointe des responsables esport du gouvernement, des opérateurs de plateformes comme DC Gallery et, enfin, de la mise en place de lois par le gouvernement. Jeon Yong-gi parle en connaissance de cause, puisqu’il est déjà derrière la mise en place de différentes mesures contre le harcèlement des sportifs de haut-niveau, notamment en supprimant les zones de commentaires sur les sites dédié au sport.
Enfin, il souligne bien que le cas de Gumayusi n’est exceptionnel uniquement car il s’agit d’un cas particulièrement médiatisé. L’harcèlement caractérisé, violent, est monnaie courante, d’autant plus dans une société comme la société coréenne, dans un milieu compétitif comme celui de l’esport.
Et de fait, en tant qu’observateurs, nous ne pouvons que nous désoler. Cette histoire, finalement, n’est qu’un exemple de plus que le harcèlement paie. En fin de compte, la T1 Support Gallery aura eu ce qu’elle voulait : le départ du joueur qui aurait pu devenir le nouveau visage de T1.
Sur le plan humain, c’est une issue difficilement acceptable, elle est encore plus violente lorsque nous prenons du recul : ce n’est pas n’importe quelle organisation qui a laissé faire, c’est T1. L’organisation la plus titrée, la plus prestigieuse. Celle qui est observée de tous. Il est évident que cela place un précédent dangereux pour n’importe quel lunatique qui n’aimerait pas un joueur pour une raison quelconque.
D’ailleurs T1 devrait faire attention : si Gumayusi a toujours été la cible favorite de T1Gall, le groupuscule n’aura aucun mal à diriger son attention sur le prochain joueur qui ne sera pas jugé suffisamment méritant. Si 2025 a été l’année de Gumayusi, difficile d’oublier qu’en 2023, d’autres joueurs de l’équipe, encore présents aujourd’hui, avaient été des cibles de choix.
Peut-être, finalement, qu’il est là, en réalité, l’héritage de T1. Plus que les six étoiles qui brillent sur le maillot. Plus que le chiffre d’affaire ou le nombre de spectateurs croissant à chaque match. L’incapacité chronique de cette structure à protéger ses joueurs, laissant les rênes à qui criera le plus fort, pouvant affecter même le plus résiliant des joueurs.
Quel intérêt peuvent avoir les accolades sportives lorsque les responsables de ces succès peuvent à tout moment être livrés en pâture ? Il est grand temps que les choses bougent et si cette année noire dans la carrière de l’un des joueurs ayant le plus rencontré le succès dans l’histoire du jeu permet au moins de voir ce changement, alors peut-être que cela n’aura pas été vain.

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