Lecteurs entre autres de New Game Plus, vous n’êtes probablement pas passés à côté de cette nouvelle qui a ému la presse jeux vidéo et les amateurs du média en général : Gamekult, jusqu’ici propriété du groupe TF1, passe sous pavillon Reworld.
Le groupe rachète en effet à TF1 UNIFY, un package de sites contenant, outre Gamekult, Marmiton, AuFeminin, Les Numériques, Doctissimo… Le problème étant que ce n’est pas juste le rachat d’un grand groupe par un autre : Reworld a en effet un lourd passif et une stratégie bien connue quant aux marques qu’il rachète. Chez Reworld, pas de journalistes, mais des « content managers », soit des responsable de contenus. Et donc pas de journalisme, mais du marketing…
« Pionnières du digital [sic] en France, les activités opérées par les Publishers de UNIFY sont reconnues pour leurs expertises, que ce soit dans la production de contenus ou la monétisation d’audience. Reworld Media entend s’appuyer sur les compétences reconnues d’une équipe de plus de 300 collaborateurs et plus spécifiquement sur leurs savoir-faire en production de contenus, monétisation, « content to commerce » ainsi que dans la maîtrise des réseaux sociaux et de l’influence. » – Extrait du communiqué de presse de Reworld. On note qu’en effet, l’idée de journalisme semble absente du projet.
Les journalistes de Sciences et Vie avaient d’ailleurs démissionné en masse lors du rachat de leur titre par Reworld pour créer le magazine Epsilon, et sauvegarder les possibilités de continuer à faire un travail de qualité. Même si rien n’a été évoqué, on imagine mal Gamekult pouvoir poursuivre ses enquêtes de fond comme celles sur la toxicité au sein des grandes écoles de jeux vidéo, sur le procès Quantic Dream, ou sur les manœuvres derrière la restructuration de la chaîne de magasins Micromania.
Aucun de ces sujets ne sera source de potentiels revenus publicitaires pour Reworld. Au contraire même, ils seraient plutôt du genre à faire perdre des annonceurs…
Gamekult était (oui, on l’écrit déjà au passé) une rédaction libre. On se souvient de la brouille avec Sony, qui avait du mal à accepter les critiques un peu sèches du site et avait refusé, pendant un temps, de leur envoyer leurs jeux… La majorité de l’équipe risque d’avoir des difficultés à se fondre dans la ligne éditoriale Reworld. Alors, est-on à l’aube de la naissance d’un nouveau média jeu vidéo indépendant monté par les anciens de GK, comme les journalistes de Sciences & Vie ont fondé Epsilon ? Rien n’est moins sûr. Car au-delà de cette affaire Gamekult-Reworld, c’est tout le secteur qui connaît une période troublée.
Gamekult lui-même, bien qu’étant probablement le titre le plus respecté de la presse JV francophone, et qui avait réussi à installer son modèle payant là où la norme est au tout gratuit, connaissait déjà des difficultés depuis quelques mois. C’est dans cette configuration qu’il s’était laissé « avaler » par le site d’actu tech Les Numériques (lui aussi désormais sous pavillon Reworld), sans que cela ne remette alors en cause sa ligne éditoriale ou son indépendance.
Canard PC fait face lui aussi à de gros problèmes de trésorerie, et est aujourd’hui en train de se réorganiser pour sa survie. Le magazine, distribué « à l’ancienne » en kiosque, a en effet subi la pandémie, le confinement ayant éloigné les lecteurs des points de vente, et est aujourd’hui touché par les augmentations astronomiques du coût du papier. Gameblog est lui en liquidation judiciaire, et jeuxvideo.fr, déjà abandonné une première fois en 2015, avait tenté de se relancer avant de refermer, en juin dernier, après seulement un an d’activité sous sa nouvelle forme.
Le secteur, qu’il soit traditionnel et imprimé sur papier, ou sur le web, est donc en crise. Ceux qui survivent adoptent une ligne éditoriale un peu contestable, faite de partenariats pas toujours transparents ou de contenus clickbait. Paradoxalement, le jeu vidéo ne s’est, lui, jamais aussi bien porté. Pourtant, et alors que l’on fête cette année les cinquante ans d’existence du média, le gaming n’a toujours pas de vraie critique installée. Des tests, des guides d’achats, en revanche, oui. Le besoin d’une véritable presse jeu vidéo est donc réel.
S’il faudra nécessairement se réinventer, la solution la plus proche de nous se trouve peut-être du côté des médias généralistes, qui commencent doucement à prendre en compte le jeu vidéo comme fait culturel. Outre les révélations des scandales chez Ubisoft, Libération a déjà fait sa Une sur Red Dead Redemption 2, par exemple, et France Inter avait invité, il y a quelques semaines, Zerator dans sa matinale – même si on est encore loin d’un « Le Masque et la Plume » du gaming. En se développant de cette manière, le journalisme JV, « le vrai », pourrait continuer à exister.
En attendant, il semble qu’on laisse la main aux YouTubeurs ou autres Instagrammeuses, ce qui, même si certains sont très talentueux, doit bien arranger les bidons de l’industrie…
On signale l’enquête d’Arrêt Sur Image sur la méthode Reworld qui se trouve ici en accès libre. L’image à la Une est issue de l’ouvrage « Presse Start », édité chez Omake.
Adieu les notes archaïques dans nos tests de jeux vidéo
Drakyng
Bonnes résolutions – Et si en 2021 on arrêtait de donner des notes aux jeux vidéo ?
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