C’est devenu un triste rituel. Chaque sortie de jeu d’ampleur est systématiquement accompagnée de sa polémique, une polémique dans laquelle un tas de joueurs fustigent à chaud sur la misérable scène des réseaux sociaux. Comme ce test arrive tardivement (nous avons préféré prendre notre temps), vous avez forcément été témoins de ces discussions stériles autour de ce Final Fantasy XVI, épisode ô combien attendu par les fans de la saga signée Square Enix. Dans ce flot infini de véhémence, certains clament haut et fort qu’il n’est pas vraiment un épisode issu de la franchise tant il a déçu. C’est un fait : le jeu a clairement divisé avec des avis disparates (même au sein de la presse spécialisée) et il est grand temps pour nous de statuer sur son compte. A-t-on vraiment affaire à un opus à part ?
Nous avons parcouru Valisthéa en long, en large et en travers pour vous forger un avis le plus éclairé (et sincère) possible. Comme un cristal pur, il faut prendre son temps avec un Final Fantasy, il faut l’approcher sans précipitation et savourer tout ce qu’il a à offrir, un véritable travail d’orfèvre.
Mais avant de commencer, une pointe d’honnêteté : nos attentes étaient assez élevées. Difficile de ne pas avoir les yeux brillants à son annonce. Il faut dire que le casting derrière le projet a de quoi envoyer du rêve : Naoki Yoshida à la production, Hiroshi Takai à la réalisation, Kazutoyo Maehiro en tant que directeur créatif (le saint trio de la rédemption FF14), Ryota Suzuki (Devil May Cry V) en charge des combats, bref, une équipe en or qui n’annonçait que du bon. Chargez votre chocobo, nous partons pour une épopée unique en son genre.
(Test de Final Fantasy XVI sur PlayStation 5 à partir d’un code fourni par l’éditeur)
Esclave des Cristaux-mères
Chaque Final Fantasy nous peint un monde régi par ses propres règles et coutumes, un décor plus ou moins convaincant (en fonction des épisodes), servant de toile de fond à une aventure d’exception. Final Fantasy XVI n’échappe pas à la règle et nous ouvre les portes de Valisthéa, terre divisée par de nombreuses guerres au fil des âges. Au-delà d’une situation géopolitique tendue, les habitants sont tous dépendants de l’éther, matière intangible avec laquelle certains élus nommés les Pourvoyeurs peuvent interagir afin de générer divers sortilèges. Ces derniers sont en réalité de simples domestiques, réduits à des tâches ingrates par toute une strate de seigneurs. Pire encore, l’utilisation de l’éther fait souffrir les Pourvoyeurs (les esclaves donc), les amenant petit à petit à une mort par pétrification. L’inégalité règne sur Valisthéa, et celle-ci sera l’un des sujets majeurs de ce Final Fantasy.
L’éther, ce flux magique responsable des maux mentionnés, provient d’une poignée de Cristaux-mères autour desquels chaque nation s’est bâtie. Chaque royaume possède son propre cristal et prolifère grâce à son pouvoir aux origines inconnues. Pour compliquer les choses, une étrange malédiction attaque le continent. Nommée le Fléau noir, celle-ci rend les terres arides, et toute vie y devient impossible. Elle gagne du terrain et pousse les nations à se guerroyer au sujet des ressources restantes. L’éther et ce cataclysme semblent étrangement liés. La dépendance aux Cristaux-mères est donc remise en cause. La liberté est l’autre sujet majeur de cet opus, deux thèmes dont les échos rappellent notre propre réalité.
Il nous paraissait incontournable de peindre brièvement les bases. L’histoire a une place centrale et fait indéniablement partie des points forts du titre. La géographie de Valisthéa, ses territoires, son peuple et ses lois lui permettent de s’ancrer dans une cohérence exemplaire, un univers passionnant que l’on prendra plaisir à parcourir.
Le paradoxe Final Fantasy XVI
Inutile de révéler davantage d’éléments scénaristiques au risque de vous gâcher le voyage. Néanmoins, l’histoire principale peine à convaincre sur la durée. Le dernier quart se montre bien trop laborieux et lasse malgré son enjeu crucial. Les scènes de dialogue sont (trop) nombreuses et peuvent, de surcroît, se montrer soporifiques. Une certaine lenteur s’en dégage, sans parler du manque d’explications justifiant l’ensemble des événements. On parlait de cohérence exemplaire plus tôt, force est de constater que celle-ci prend un sacré coup à la fin du voyage, nous laissant avec une multitude de questions sans réponses. C’est ce qu’on appelle le paradoxe Final Fantasy XVI. Mais pour pleinement le comprendre, il nous faut détailler sa réalisation.
Les équipes ont mis les bouchées doubles pour proposer une aventure ô combien épique. Certaines scènes sont tout bonnement spectaculaires et forcent le respect, du jamais-vu dans la saga. Final Fantasy prend ainsi un tournant majeur dans la manière de conter son histoire en favorisant l’action et le grand spectacle. Un virage qui pourra en désarçonner plus d’un, mais bien solide. On ressent une réelle intensité dans les affrontements et les combats prennent une tout autre dimension. C’est pleinement assumé et très jouissif.
Le problème, c’est le rythme. Ce dernier fonctionne en dents de scie avec une forte intensité dans les passages importants et une lenteur éhontée en dehors. On a une satanée impression d’être coincé dans un épisode filler, loin de la trame principale enivrante. On vient de vivre un moment incroyable en battant une imposante créature et cinq minutes plus tard, il faudra partir cueillir des herbes médicinales pour le médecin du coin. Le rythme est clairement mal géré et dessert une narration à laquelle il est déjà difficile à adhérer sur la durée. On passe sans cesse de l’exultation aux déboires.
Ce constat est d’autant plus vrai si l’on s’arrête sur les quêtes annexes. Stupéfaction : comment est-il possible de concevoir autant de quêtes annexes avec si peu d’intérêt en 2023 ? Va parler au marchand lambda, va battre la meute de loups, va récolter la fleur blanche au fin fond de la forêt, ces dernières manquent cruellement d’épaisseur, surtout que les récompenses obtenues sont inutiles. On entame maintenant l’autre versant de ce Final Fantasy, la prise de recul sur les mécaniques RPG.
L’action au détriment du RPG
Final Fantasy XVI délaisse une bonne partie des mécaniques RPG issus de la saga pour favoriser une action frénétique et une meilleure accessibilité. Les puristes du genre crient au scandale. De notre côté, nous ne sommes pas aussi catégoriques et adhérons en partie à ce pari risqué. Avant de détailler son gameplay (l’essence de cet opus), il nous faut aborder les abandons issus du jeu de rôle traditionnel.
On le mentionnait précédemment : les quêtes annexes sont tout bonnement inutiles, ces dernières n’apportent aucun équipement ou ressources précieux, elles servent uniquement à paver (artificiellement) le jeu. Ce manque d’intérêt souligné concerne également l’exploration des zones, les plus complétistes trouveront simplement des coffres contenant divers objets sans valeur qui se perdront dans l’inventaire. La gestion de l’équipement/craft est également simplifiée avec un emplacement d’arme et trois reliques (améliorant les attaques et autres capacités). Le système de récompense est abandonné, le sentiment d’accomplissement est inexistant, ce sont là les premières fissures du mur RPG.
Autre point : la difficulté a été pensée pour une plus grande accessibilité. Entendons-nous bien, c’est loin d’être un mal, mais cette décision appauvrit directement tout le système d’expérience, la base même du jeu de rôle. Par exemple, il est devenu caduc de s’entraîner avant un boss afin d’engranger un maximum d’XP. Il y a bien des niveaux affichés, mais ils servent uniquement de point de repère à l’aventure. D’ailleurs, chaque montée de niveau augmente les caractéristiques du personnage, mais jamais on nous explique à quoi ces dernières servent réellement.
En parallèle de l’expérience, on cumule également des points de compétence au fil des combats. Ces derniers servent à débloquer/améliorer des techniques par Primodial (les invocations) pour des attaques de plus en plus dévastatrices. Cette configuration n’est pas sans rappeler les arbres à compétences à la God of War ou Horizon, un autre pas en faveur de l’action.
À l’instar des épisodes précédents, il ne sera possible de jouer qu’avec un seul personnage (le héros Clive Rosfield) tout au long de l’aventure. Les personnages secondaires seront réduits au rôle de soutien sans aucune possibilité de les améliorer au combat, car ils agissent de manière automatique. Le mur RPG est bien fissuré.
Le premier intérêt du titre est ailleurs, il est dans son gameplay de combats. De par cette approche, le genre RPG se dissout, il peine à survivre. Final Fantasy XVI est avant tout un jeu d’action avec de maigres composantes RPG. Il n’est pas un RPG avec des composantes d’action comme on a pu le voir dans les épisodes passés.
Smokin’ Sexy Style!!
Oui, encore une allusion à Devil May Cry, mais Ryota Suzuki a grandement influencé cet opus. Les combats au tour par tour (dans lesquels la réflexion était de mise) sont devenus un lointain souvenir. Ici, c’est en temps réel. Pas de le temps de niaiser : attaque au corps à corps, à distance et spéciale selon le Primordial sélectionné. Chaque Primordial est en réalité un style de combat différent. Il sera ainsi possible d’en sélectionner trois à la fois et de switcher comme bon nous semble pour accomplir le meilleur enchaînement possible. Dante (dernière comparaison, promis) n’a qu’à bien se tenir !
Malgré une redondance prononcée, Final Fantasy XVI réussit son pari au sujet des combats, ces derniers sont extrêmement fluides et jouissifs. Le système laisse assez de marge pour personnaliser un minimum son style en fonction de ses préférences tout en gardant sa volonté d’accessibilité au plus grand nombre. Le jeu est très facile à prendre en main. Il ne faut plus avoir tout un tas de données en tête avant d’affronter un ennemi. Par exemple : les dégâts élémentaires n’existent plus. Attaquer un bombo de feu avec le pouvoir du feu aura le même impact qu’avec de la glace, autre sacrifice sur l’autel de l’accessibilité qui s’apparente davantage à de l’appauvrissement qu’autre chose ici.
Fleuron des affrontements : les combats de boss sont incroyables. D’une intensité rare à l’écran, ces derniers sont brillamment réalisés pour des scènes marquantes. C’est sûr, il y aura un avant et un après FF16 pour la saga. Cette escalade du spectaculaire termine en apothéose avec un final des plus explosifs. Jamais un Final Fantasy n’a été aussi épique. Ce que Final Fantasy XVI a perdu de par ses choix, il le récupère haut la main ici, dans sa grandiose réalisation incluant ses impeccables chorégraphies de combat.
Comment terminer une critique d’un Final Fantasy sans parler de ses musiques ? Avec Masayoshi Soken à la composition et parsemée de morceaux mémorables (à commencer par To Sail Forbidden Seas), la bande-son de Final Fantasy XVI se montre assez pauvre dans le jeu. En dehors des scènes de combat de boss avec des chœurs pour un effet épique immédiat, les musiques ne sont pas assez mises en avant et servent simplement d’accompagnement sans réelle valeur ajoutée. Oui, certains morceaux méritent le coup d’oreille, mais impossible de se souvenir de la musique rattachée à tel ou tel lieu ou moment du jeu, le vrai signe d’une bande-son d’exception. Encore une fois, tout est misé sur les combats.
C’est la fin de notre voyage. C’est également la fin d’une ère. Après un épisode XV qui avait tenté d’ouvrir la voie, Final Fantasy XVI enfonce le clou et termine le virage entrepris par la saga. S’éloignant du modèle RPG classique pour se rapprocher de celui de l’action moderne, répondant davantage aux normes actuelles, FFXVI surprend, détonne, déçoit même, mais il émerveille surtout. N’est-ce pas l’essence même de la saga ?
C’est un fait, la recette est modifiée. Oui, il manque un bon nombre de mécaniques RPG si chères à nos cœurs de joueurs d’antan, mais est-ce là le plus important ? Le curseur a clairement été déplacé en faveur de l’action, de la prise en main rapide et facile. On persiste : le plus important reste le chemin parcouru, les émotions ressenties, l’expérience vécue et sur ce plan, Final Fantasy XVI réussit son pari, non sans effort. Le titre brille de par ses combats titanesques et ses scènes à la réalisation grandiose. Maintenant, on ne peut s’empêcher de penser au prochain épisode, à un mariage parfait entre RPG et action.
Une chose est sûre, la saga Final Fantasy telle qu’on la connaît est loin d’être morte. N’en déplaise à ses détracteurs, rangez donc vos plumes de phénix, elle n’a nullement besoin de résurrection, Elle a juste évolué. Elle tente, trébuche parfois, mue, mais toujours avec sa noble intention de nous proposer une expérience riche et inoubliable. Une fantaisie finale, en d’autres termes.