Fiche de perso est une rubrique dans laquelle nous tirons le portrait d’acteurs du jeu vidéo, réels ou fictifs, qui pèsent ou ont pesé sur l’industrie. Aujourd’hui, à quelques semaines de la sortie de Deathloop, qui vient d’être retardé pour être peaufiné, on s’intéresse à l’un des studios les plus créatifs du paysage, Arkane Studios.
Deux choses nous viennent immédiatement à l’esprit quand on évoque Arkane Studios : d’abord, la saga Dishonored et son parcours quasiment sans faute, et la fierté nationale, puisque les studios sont français et d’abord basés à Lyon. Mais parce que jamais deux sans trois, un troisième pilier vient s’accoler depuis quelques mois au nom des studios : le très attendu Deathloop, qui promet de renouveler l’image qu’on a d’Arkane.
Et cette image alors, quelle est-elle vraiment ? Arkane Studios ce sont « plus ou moins des spécialistes de l’immersive-sim », d’après Dinga Bakaba lui-même, réalisateur sur Deathloop. Un concept un peu cryptique, pas tant un genre qu’une philosophie, une proposition de gameplay pouvant s’accorder à différents genres.
Le concept d’immersive sim serait né avec Ultima Underworld, en 1992, mais on cite aussi volontiers System Shock (1994) comme pionnier de la chose. L’immersive sim, c’est cette idée d’un gameplay non-linéaire, ou le joueur choisirait son chemin et sa méthode pour effectuer la mission qui est la sienne. Une idée qui encourage l’exploration, la découverte, mais surtout la créativité du joueur, et le pousse à s’impliquer dans le jeu bien plus profondément que si on le mettait sur un rail.Une philosophie dont Arkane serait l’un des plus éminents représentants actuels.
Mais avant d’acquérir ce statut d’école, presque, Arkane a bien dû commencer quelque part. Son premier jeu fut en 2002 Arx Fatalis, un dungeon crawler qui, déjà, proposait un gameplay varié, avec une vraie liberté quant aux chemins à prendre, et des joueurs poussés à explorer et à essayer, par exemple avec un système de craft où les objets se combinaient d’une façon réaliste. Petite performance aussi, on lançait des sorts dans le jeu en dessinant les runes à la souris ! Du motion gaming, en somme, deux ans avant la sortie de la Wii.
Arx Fatalis n’était pas un jeu AAA, mais a su se faire remarquer et a même obtenu la note de 9/10 chez nos confrères de Gamekult, pourtant réputés clients difficiles.
La suite naturelle de cette réussite sera une grosse licence, et le deuxième jeu d’Arkane Studios se passera dans l’univers de Might & Magic, une licence qui avait déjà alors 20 ans, en 2006. Le jeu s’intitule Dark Messiah of Might & Magic et est encore à la croisée des chemins du gameplay. Situé dans un univers classique parmi les classiques du jeu de rôle, Dark Messiah tourne pourtant sur un moteur conçu pour le shooter, le Source Engine d’Half Life 2. Arkane aura veillé à proposer de vrais éléments de jeu de rôle, au sens où le développement de la fiche de personnage représente réellement le gameplay et aura une influence sur la façon d’évoluer dans l’aventure. Ainsi, qu’on décide de construire une brute épaisse versée dans l’art du corps-à-corps, ou un voleur rusé qui n’hésite pas à frapper dans le dos, ces différentes approches, et d’autres, seront permises par le level design.
On sent déjà les prémices d’un Dishonored. Autre élément un peu annonciateur, ces deux premiers jeux sortiront uniquement sur PC et Xbox, comme préfigurant le fait que les studios finiront par rejoindre le pool Xbox Games Studios, suite au rachat de Zenimax (qui possède Arkane depuis 2010) par Microsoft…
Après cette arrivée en feu d’artifice dans l’industrie, il fallait bien que le destin se rappelle à Arkane. Ce sera au travers de The Crossing, un jeu multi asymétrique, trop en avance sur son temps, trop ambitieux, pour un studio malgré tout très jeune. L’idée, baptisée par les studios « crossplayer », était que des joueurs remplacent les habituels PNJ d’un FPS. Ce faisant, on rend les actions des ennemis imprévisibles, et on pousse le joueur à se montrer spontané et créatif. Et du côté des « méchants » :
« Mon expérience en multi, c’est que souvent, j’apparais, je cherche où se passe l’action, et après une minute ou deux, je la trouve, et je suis mort ! Alors j’attends encore trente secondes ou une minute pour réapparaître, et recommencer. Pour moi, ce n’est pas super fun. Ce qu’on a voulu faire, plutôt, c’est que, l’action étant toujours en mouvement, on ferait apparaître le joueur ennemi au cœur de l’action. » – Raphael Colantonio, fondateur d’Arkane, à Polygon à propos de The Crossing.
Malheureusement, Arkane ne trouvera pas les fonds suffisants pour aller au bout du projet, et The Crossing sera annulé. La malédiction, après le relatif échec de Remember Me des voisins de Dontnod, des jeux se déroulant dans un Paris dystopique…
Cependant, Arkane ne restera pas à pleurer sur son sort très longtemps, puisque derrière le projet The Crossing sortiront les classiques des studios qui leur permettront de s’asseoir avec les plus grands. La série Dishonored, d’abord, en 2012 puis 2016, célébrée par la critique et le public pour sa réalisation, sa direction artistique et la grande liberté laissée au joueur, ce fameux ingrédient de l’immersive sim devenu depuis la marque de fabrique d’Arkane. Ce sera ensuite Prey, succès critique unanime, malheureusement peu suivi commercialement.
Pour en revenir à Deathloop, les premiers trailers laissent à penser qu’Arkane Studios auraient définitivement viré du côté de l’action. Les séquences de gameplay sont frénétiques, rappelant plus le fast-FPS que le gameplay de Dishonored.
Mais n’oublions pas qu’à côté des ses propres jeux, Arkane a aussi prêté son savoir-faire à des jeux comme Bioshock 2, ou Wolfenstein. En ce sens, Deathloop serait un condensé de toute la carrière d’Arkane. Un jeu de tir à la première personne, avec une composante multi (optionnelle) originale (le deuxième joueur n’aura pas le même rôle que le premier), et surtout un volet exploration et immersive sim très important.
Le héros, coincé dans une boucle temporelle d’une journée, devra se débarrasser des Visionnaires, les huit personnages à l’origine de l’expérience scientifique qui a créé la boucle, afin d’en sortir. Pour ce faire, on progressera pas à pas, jour après jour, pour trouve le moyen de tous les éliminer dans une unique boucle, puisque chaque jour, tout reset, et les morts reviennent.
Il faudra, pour venir à bout de la boucle, être capable d’éliminer les ennemis qui se dressent sur notre route, incluant possiblement un « vrai » joueur parmi eux – c’est le côté FPS, voire fast-FPS ; mais il faudra aussi gérer l’espace et le temps, comprendre comment fonctionnent les quatre zones du jeu, trouver les moyens d’accéder aux huit Visionnaires le plus efficacement possible. Et pour cela, chacun ira de la manière qui lui convient le mieux.
Deathloop est probablement déjà un succès. Avec une D.A. à tomber et toute l’essence et le savoir-faire d’Arkane Studios dans le gameplay, il n’y a que peu de raisons de douter du jeu. On se demande cependant, maintenant que les studios semblent avoir mis tout ce qu’ils ont dans le titre, vers quoi ils vont se diriger par la suite ? Parfaire leur art, au risque de la répétition, ou prendre le risque de sortir de ce qui est leur zone de confort, leur Deathloop à eux ?