C’est une situation paradoxale que nous vivons en cette rentrée 2023. L’année a en effet été (et est encore) spectaculaire en termes de sorties, à la fois en nombre, en qualité, mais aussi dans ses ambitions. Les projets majeurs se bousculent et se permettent en plus d’être souvent réussis, faisant de 2023 une sérieuse candidate au titre de « Meilleure année du jeu vidéo ».
C’est simple, depuis Hi-Fi Rush et Dead Space Remake en janvier, c’est un festival ininterrompu : Hogwarts Legacy, Resident Evil 4 Remake, Dead Island 2, Star Wars Jedi: Survivor, The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom, Street Fighter 6, Diablo IV, Final Fantasy XVI, Pikmin 4, Baldur’s Gate III, Armored Core VI, Starfield, Mortal Kombat 1… D’autant plus qu’on attend pour dans quelques jours un nouveau Mario, un nouveau Sonic, un nouvel Assassin’s Creed, Spider-Man 2… Et on ne parle ici que des jeux à gros budget, mais cette liste pourrait facilement tripler en y ajoutant des jeux de moindre envergure qui ont aussi su nous marquer cette année.
Ce qui rend 2023 particulière, c’est que la quantité n’a pas nui à la qualité, ni même au succès commercial des jeux : si des points de déception ont pu être relevés çà et là, on ne constate aucun véritable accident industriel. Certes, FFXVI a divisé, mais il a su trouver son public. Quant à Starfield, il n’est peut-être pas le plus grand jeu du monde promis par Microsoft, mais c’est un très beau RPG, qui a lui aussi été un indubitable succès. Et que dire de Baldur’s Gate III, dont les ventes et les retentissements ont dû étonner nombre de personnes, jusqu’aux développeurs eux-mêmes ?
Pourtant, et c’est là qu’est le paradoxe, l’industrie n’est pas à la fête. Au contraire, même. Depuis plusieurs semaines, les annonces de restructurations pleuvent. Et derrière ce terme policé, il faut comprendre plus prosaïquement des fermetures de studios et des licenciements. Comme un miroir déformant de la litanie des sorties ci-dessus, c’est une liste interminable (en tout cas probablement pas terminée) de plans sociaux et autres réorganisations internes que nous sert l’actualité.
Si le ratage du reboot de Saints Row peut en partie expliquer la fermeture du studio Volition, son propriétaire, le tentaculaire Embracer, ne s’arrête pas là : de sérieuses rumeurs évoquent la mise en vente de Gearbox (Borderlands). Le même Embracer a licencié aussi chez Crystal Dynamics (actuellement occupé par le développement d’un nouveau Tomb Raider) et Beamdog (le récent MythForce), qui a perdu pas moins de 26 salariés.
Team17, éditeur entre autres de Worms, mais aussi de la bonne surprise Dredge ou du futur Headbangers Rhythm Royale, serait lui sur le point de se séparer d’une cinquantaine d’employés après le départ de son PDG d’un accord commun, selon la société.
Epic Games, qui, il y a quelques mois encore, ne savait plus trop quoi faire de son argent, se sépare lui de plus de 800 personnes, en plus de revendre Bandcamp (250 salariés) et de faire de l’outil Super Awesome une société indépendante, réduisant encore sa masse salariale.
On a encore récemment appris que Naughty Dog allait aussi faire des coupes dans ses équipes (on parle d’au moins 25 personnes), probablement empêtré dans des difficultés de développement de son standalone multijoueur The Last of Us. SEGA, lui, annule tout bonnement une série de projets à venir, dont le shooter Hyenas pourtant déjà officialisé. Une décision qui devrait conduire à une série de licenciements chez Creative Assembly, en charge du jeu.
Twitch, dont les activités sont étroitement liées au jeu vidéo, procèderait aussi à de nouveaux licenciements, après les 400 licenciements déjà décidés au printemps dans le cadre d’une restructuration plus large chez Amazon, qui avait coûté leur emploi à 9 000 personnes. Et on pourrait encore évoquer Blizzard, Niantic…
Mais que se passe-t-il, alors même que, on l’a vu en introduction, le jeu vidéo connaît une dynamique rare ? Le modèle du AAA, qu’on imaginait même glisser vers le AAAA, aurait-il trouvé ses limites ? Il est vrai que les coûts de développement des jeux ont explosé ces dernières années, sans que le prix suive, malgré le bon de 10€ opéré entre les 8e et 9e générations de consoles. Un jeu triple A mobilise désormais des centaines de personnes pour son développement. On parle ainsi de 500 personnes à l’œuvre sur Starfield, et 1 148 noms figurent au générique de The Legend of Zelda: Tears of the Kingdom (@maxnicols a compté !).
Une escalade qui rend chaque sortie un peu plus risquée que la précédente, et qui recule à chaque fois le seuil de rentabilité d’un jeu. C’est exactement cette équation, ce pari plus risqué à chaque projet, qui avait poussé le studio Mimimi Games (Shadow Tactics) à annoncer sa fermeture, les équipes ne sachant pas comment sortir de ce cercle infernal qui les garde constamment sous pression.
Alors, pour que la production de jeux vidéo reste viable, il faudra peut-être freiner un peu la course aux dépassements techniques, aux cartes toujours plus grandes, aux pixels et FPS toujours plus nombreux…
Mais ce souci technologique n’est pas la seule explication. Ainsi, chez Epic Games, la locomotive Fortnite est essentiellement alimentée aujourd’hui par le programme Fortnite Creator, qui permet aux joueurs/créateurs de vendre le contenu produit dans le Mode Créatif. Un programme avec lequel Epic Games s’est engagé à reverser 40% des bénéfices aux créateurs, ce qui, d’après le PDG Tim Sweeney, entraîne une marge plus faible que lors des années précédentes.
On parle bien d’une marge moins importante, pas d’une absence de marge… Et c’est là tout le nœud du problème. Les studios, et surtout les investisseurs finançant ces derniers, n’ont que le mot « croissance » en tête. Ils en viennent à confondre une année de « pertes » avec une année où les bénéfices n’auraient pas été en hausse, voire pas assez en hausse… On rappelle que Fortnite, malgré une érosion logique au fil des années, c’est plusieurs milliards de dollars de chiffre d’affaires. Quant à Embracer, gros acteur de la vague actuelle de licenciements, c’est +80% de chiffre d’affaires en 2023 par rapport à 2022.
Au-delà de toutes considérations morales (qui seraient pourtant tout à leur place), ces décisions semblent quand même insensées : l’essentiel des licenciements, tous studios confondus, concerne les départements QA (pour « quality assurance »), soit les équipes qui s’assurent que les jeux atteignent, lors de leur parution, les standards attendus. Ce sont ceux qui veillent, pour peu qu’on les écoute, à ce qu’une sortie comme celle de Cyberpunk 2077 ne soit pas possible.
Devra-t-on souhaiter à ces mêmes investisseurs de connaître deux ou trois sorties comme celle de Babylon’s Fall pour revenir à la raison ? En tant que joueur, difficile d’être enthousiaste à cette idée.
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