Malgré l’idée dominante selon laquelle la plupart des personnes jouant aux jeux vidéo sont des hommes, le ratio femmes-hommes est finalement plutôt équilibré. Pratiquement du fifty-fifty même. Pourtant, on constate sans contestation possible que les femmes sont bien moins présentes que les hommes dans l’industrie du jeu vidéo, comme dans beaucoup d’autres secteurs, d’ailleurs.
En France par exemple, elles ne représentent qu’environ 14% des effectifs globaux dans les différentes entreprises du secteur. Aux États-Unis, il semblerait qu’elles en représentent 22%, et en Angleterre, elles atteignent le record de 30%. Si ces statistiques sont basses, elles n’ont pourtant jamais été aussi hautes ! Rappelons qu’en 1989, il n’y avait que 3% de femmes présentes dans la toute jeune industrie du jeu vidéo français.
Il convient alors de se demander quelle est la place accordée aux femmes dans ce microcosme ? Pourquoi un tel manque de parité ? Quels sont les enjeux et les opportunités pour l’industrie ? Quels sont les axes d’amélioration à suivre pour intégrer plus de femmes dans les métiers liés au jeu vidéo ?
Ce sont quelques questions qui ont été abordées lors d’une table ronde datant du 23 mars dernier, animée par Nadine Gelly, directrice générale chez La Guilde du jeu vidéo du Québec. Autour de cette table se trouvaient :
- Betty Rodrigues : directrice des ressources humaines chez Gameloft.
- Ambre Lizurey : directrice des opérations au studio Motive chez EA – elle était d’ailleurs modératrice du chat pendant ce webinaire.
- Anne Devouassoux : vice-présidente chargée des affaires sociales au Syndicat National du Jeu Vidéo en France et productrice exécutive du studio Kylotonn.
- Brigitte Monneau : directrice de SYNTHESE – pôle image Québec.
Qui de mieux placé que des femmes ayant fait leur carrière dans le monde du jeu vidéo pour parler de la place de ces dernières au sein de l’industrie ? Elles nous ont permis d’avoir une vision plus précise de la parité dans les entreprises, ainsi que des opportunités qu’elles offrent ou devraient offrir aux femmes. Elles ont été force de proposition quant à des axes d’amélioration pour plus d’inclusivité et d’égalité entre les deux sexes.
Nos intervenantes s’accordent à dire qu’il y a eu une réelle évolution dans l’industrie du jeu vidéo. Certes, la gent féminine est encore bien trop minoritaire, mais nous ne pouvons que constater une représentation croissante de son implication et de sa présence dans le secteur. Cet accroissement s’est opéré de manière bien lente, mais est réel.
Alors que la reconnaissance de la femme et de son travail dans l’industrie n’a connue une plus grande exposition qu’à partir du mouvement #MeToo, comme le rappelle Brigitte Monneau, l’éveil des consciences fut tardif et il aura fallu un scandale et une polémique à résonance internationale pour cela ; mais ne crions pas trop vite victoire, car des phénomènes comme le Gamergate ou la Ligue du LOL peuvent encore se répéter.
La volonté d’une pluralité des genres s’affirme, et des actions concrètes sont mises en place. De concert, associations, écoles et entreprises donnent de la visibilité aux métiers du jeu vidéo, ainsi qu’aux femmes déjà intégrées dans l’industrie. Women in Games, par exemple, œuvre en France depuis 2017 (seulement) pour la mixité dans l’industrie du jeu vidéo. Les écoles, quant à elles, ont réussi à augmenter leurs effectifs féminins : Isart Digital comptait 35% de filles en 2017 contre 23% en 2012.
N’oublions pas néanmoins que cela va aussi de pair avec le développement des métiers du numérique. Mais alors, pourquoi, malgré toutes ces actions, la proportion de femmes dans les métiers du jeu vidéo reste encore trop faible ? Nous observons un écart significatif entre le nombre de femmes dans les écoles et les entreprises : en France, c’est environ 26% d’effectifs féminins dans les écoles contre 14% dans l’industrie. Comment expliquer cette « perte » ?
Le problème est surtout sociétal, comme l’a souligné assez rapidement Anne Devouassoux. Les stéréotypes ont la peau dure et l’idée reçue selon laquelle « les jeux vidéo, c’est pour les garçons » est encore bien ancrée dans l’imaginaire collectif. Même si les mentalités ont changé et continuent d’évoluer, les clichés de genres sont encore trop présents dans l’éducation, et une jeune fille qui grandit avec l’idée que les jeux vidéo ne sont pas faits pour elle aura peu de chance de se diriger vers les métiers qui lui sont liés.
Ambre Lizurey, qui porte fièrement ses convictions avec son pull où il est écrit en anglais « la place des femmes est partout où elles veulent être », propose comme solution des visites dans les écoles le plus tôt possible, dès la primaire pourquoi pas, afin de dire aux filles qu’elles peuvent faire ce qu’elles souhaitent sans avoir à se soucier si telle ou telle perspective de carrière ne s’applique qu’à un seul genre. Il faut travailler avec les jeunes et leur montrer la diversité des métiers liés au monde du jeu vidéo et compter sur un effet Pygmalion !
Là où l’on peut agir également selon nos intervenantes, c’est sur la manière dont les entreprises s’adressent aux femmes. Que ce soit lors d’entretiens ou de campagnes de recrutement, l’important est de leur faire savoir qu’elles ont leur place et que leur genre ne les rendra pas moins légitimes à un poste à responsabilités. Brigitte Monneau propose même de ne pas genrer les annonces. Il faut miser sur un marketing efficace pour les attirer, mettre en avant celles qui ont déjà un pied dans les entreprises de JV et ce quel que soit le métier qu’elles y exercent.
Mais la première étape sur laquelle il faudrait s’investir est la suivante : déconstruire ce qu’on nous inculque depuis l’enfance. Avec un regard rétrospectif, on observe que s’il y a peu de femmes dans l’industrie du jeu vidéo, c’est parce qu’il y a peu de candidatures ; et que s’il y a peu de candidatures, c’est parce qu’il y a peu de femmes dans les écoles ; et s’il y a peu d’étudiantes, c’est parce que l’éducation (école ou sphère privée) n’oriente pas les filles et les garçons de la même manière.
Le jeu vidéo prend de plus en plus de place et n’est plus considéré comme un simple passe-temps, mais s’élève au rang des Arts ou au moins comme un bien culturel. Et comme le dit si bien Betty Rodrigues, depuis 2010 environ, on observe un véritable essor du média. Cette évolution s’accompagne également d’une augmentation des effectifs féminins au sein de cette industrie.
S’il est important de retenir qu’il y a eu du changement positif concernant la condition des femmes dans l’industrie du gaming, il est primordial de continuer sur cette voie et de prendre conscience que la parité est loin d’être acquise (trop de disparité dans les effectifs, postes à responsabilités principalement occupés par des hommes, salaires plus bas pour les femmes à compétences égales, etc.).
Grâce à des personnalités fortes et actives, comme les intervenantes de cette table ronde, mais aussi grâce à des associations et aux entreprises elles-mêmes, nous pouvons continuer à progresser pour plus d’inclusivité. Tant qu’une réelle parité ne sera pas atteinte, il conviendra de mettre en place des mesures incitatives fortes. Assurément, il ne s’agit pas là de faire dans la discrimination positive, mais bel et bien d’offrir les mêmes chances à toutes et tous à compétences égales.
Là où il faudra taper plus fort, c’est bel et bien du côté sociétal qui lui est un frein réel à la parité. Il faut briser la barrière du genre. Notre genre ne définit pas nos intérêts ou nos compétences. Soyons qui nous avons envie d’être, indépendamment du fait que nous soyons femmes, hommes, non binaires, LGBTQ+, indépendamment de notre nationalité, de notre religion ou encore de nos handicaps.
Il est temps que le monde du jeu vidéo devienne une belle industrie inclusive, se positionnant contre les oppressions systémiques et les discriminations. Mais il y a encore du boulot !