Le jeu vidéo est mort, vive le jeu vidéo ! 2020 avait marqué le point de bascule, 2021 a confirmé la tendance, et 2022 a encore creusé l’écart. Il y a quelques mois, Sony a annoncé que les ventes numériques de jeux vidéo représentaient maintenant 80% des ventes de la firme, contre seulement 20% pour les ventes physiques. Un an auparavant, à la même époque, le ratio numérique/physique s’élevait encore à 71% contre 29%. Les différents confinements dans le monde ces dernières années et l’avénement du télétravail ont sans aucun doute été un catalyseur du phénomène, mais il n’empêche que la courbe ne semble pas près de s’inverser de nouveau.
La boîte de jeu deviendrait-elle une espèce en voie de disparition ? Il semblerait bien. Preuve en est, la nouvelle génération PS5/Xbox Series est la première à autant mettre en avant ses formats de consoles entièrement dématérialisés, même si d’autres essais numériques avaient été tentés par le passé (Xbox One All Digital ou PSP Go notamment). Qu’en sera-t-il de la génération suivante ? La disparition des supports physiques est-elle réellement envisageable ?
Même si le nombre d’abonnés au Xbox GamePass, PS Plus et autres a stagné sur l’année 2022 , l’évolution des offres, de la publicité pour ces services et des contenus proposés ne laisse pas beaucoup de place au doute : le dématérialisé est le futur du jeu vidéo, au moins pour ceux qui tiennent les cordons de la bourse.
Les avantages sont nombreux, et indéniables: immédiateté de l’achat (attention toutefois à la trop grande facilité d’accès donnée aux plus jeunes), coûts de production moindres, pas de problèmes de stock, promotions fréquentes. Les inconvénients existent aussi, mais se situent plus du côté des joueurs que des décideurs : marché de l’occasion en baisse, prêts de jeux à ses amis impossibles, et enseignes de vente de jeux en difficultés.
Aujourd’hui, c’est à un objet important de l’histoire du jeu vidéo que nous allons nous intéresser : la boîte de jeu. L’hommage n’est pas encore posthume, car nous sommes encore loin de la disparition totale du jeu physique, mais il paraissait important de discuter de cet objet qui semble plus proche du crépuscule que de l’aube de son existence. Combien de fois dans votre vie de gamer vous est-il arrivé de sortir d’un magasin de jeu vidéo avec un jeu que vous n’aviez pas prévu d’acheter au départ, délesté d’une plus ou moins grande somme d’argent ?
La beauté de la jaquette, premier argument de vente
Dans le monde du jeu vidéo, le plaisir des yeux commence bien avant d’insérer la galette ou la cartouche dans sa console. Depuis les balbutiements du genre, les éditeurs l’ont bien compris. Un coup de cœur pour une illustration, et c’est une probabilité de vente bien supérieure en approche. Une image qui ne parle pas au joueur, et c’est une jaquette qui n’atteindra sans doute même pas les doigts de l’acheteur potentiel. Le choix est souvent bien rapide lorsque nous passons en revue tous les jeux présents dans un rayon ou en tête de gondole. En une demi-seconde, voire moins, la conclusion est tirée, attirance ou indifférence.
Une jaquette, ce sont d’abord un titre et une image qui doivent sauter aux yeux de l’acheteur. Sans ces éléments mis en évidence, le souvenir s’estompera rapidement de la mémoire du joueur. Au contraire, une police de caractère percutante, une illustration mémorable, et la première étape vers la vente ou vers le souvenir sera réussie. La police d’écriture Pokémon, le personnage de Mario en mouvement, ou les célèbres briques de Tetris sont encore aujourd’hui des coups de génies marketing entrés dans l’imaginaire collectif, permettant de reconnaître ces jeux entre mille, même pour les non-initiés.
En 2023, dans une époque marquée par les réseaux sociaux, la publicité ou les influenceurs, d’autres moyens de mettre en avant un jeu ont pris le dessus. Mais imaginez-vous (ou rappelez-vous) entrer dans une boutique de jeux il y a une vingtaine d’années. Un de vos seuls moyens de choisir un jeu plutôt qu’un autre était de vous fier à votre feeling, à votre attirance visuelle pour la boîte de ce jeu. On fonctionnait au coup de cœur, au bouche-à-oreille, et on ne subissait pas encore le matraquage marketing. Les éditeurs l’ont bien compris, quitte à tricher un peu en mettant en avant des images non tirées du jeu, et créées par des artistes originaux, plutôt que de montrer une image in-game qui pourrait rebuter l’acheteur.
De la sensibilité du joueur
Chaque joueur est une personne différente, avec son propre vécu, ses passions, et une sensibilité artistique façonnée par ses nombreuses expériences de vie. Ainsi, là où certains joueurs seront tout de suite attirés par la patte graphique et l’univers présentés sur la jaquette d’un Okami, d’autres y seront complètement insensibles et se dirigeront plus facilement vers l’illustration d’un Hadès ou d’un Child of Light. Ainsi, aucun éditeur ne peut se targuer de pouvoir faire l’unanimité avec sa jaquette, mais, à l’opposé, il est aujourd’hui impossible de trouver une image pouvant rebuter 100% des joueurs (si quelqu’un a flashé sur l’illustration du jeu Fort Boyard, faites-nous signe quand même).
Une œuvre d’art peut en cacher une autre, ou pas…
Ne nous y trompons pas, lorsque nous sommes devant une boîte de jeu, c’est bien d’art dont il est question, et derrière chaque jeu, il y a un ou plusieurs artistes dont la mission est de mettre en valeur le produit. Que la mission soit accomplie ou non, quel plaisir de passer en revue des dizaines d’illustrations en quelques minutes lors de nos séances d’achats. Chaque entrée dans une boutique est un peu comme une entrée dans un musée. Le passionné d’art passe plus ou moins de temps devant chaque œuvre proposée en fonction de ses goûts. Et si le coup de cœur intervient, alors il prendra le temps d’en savoir plus, en lisant la description de l’œuvre, ou en cherchant à savoir ce qui se cache à l’intérieur…
Attention tout de même, cher lecteur. Une boîte de jeu, aussi belle soit-elle, n’est qu’une infime partie de l’ensemble fini, et ne permet en rien de présager du produit qui sera à l’intérieur. Une magnifique jaquette peut cacher un jeu très moyen, et une jaquette ratée peut en fait renfermer un chef-d’œuvre. Retournez jeter un coup d’œil à l’illustration du premier Resident Evil ou du premier Metroid pour vous en convaincre. Pas besoin d’avoir fait une école d’art ou de publicité pour se rendre compte de la médiocre qualité de l’image choisie pour mettre en avant ces jeux, qui se sont finalement avérés devenir des opus cultes.
Les versions collectors, futurs derniers vestiges ?
Le marché du jeu physique est en crise. De nombreux magasins spécialisés ont malheureusement dû fermer leurs portes ces dernières années. La grande majorité des achats de jeux vidéo se fait maintenant sur des stores online sans âme, sans charme, où le prix du jeu prend autant de place que l’image de présentation. Alors oui, la modernité des stores permet d’accéder à une bande-annonce, à du gameplay et à des informations sur le jeu. Mais à quel prix ? Celui de la fin de la recherche, du coup de cœur, et du dialogue avec ses amis ou avec des professionnels (plus ou moins) passionnés.
Si vous avez encore besoin d’une preuve de la place unique qu’occupe la jaquette de jeu vidéo dans l’histoire du média, baladez-vous sur internet, et voyez le prix de certaines versions de jeu encore sous blister. Le jeu à l’intérieur est strictement le même, mais c’est le coup de cœur, le mythe créé à partir d’une image qui donne quelquefois une valeur inestimable à certains boîtes. Non, ce n’est pas le jeu qui a pris de la valeur, il existe souvent en plusieurs milliers d’exemplaires, mais bien l’objet qui l’entoure, la magnifique boîte, qui pour un petit défaut d’impression peut quant à elle devenir unique.
Loin d’être déconnectés de la réalité, et jamais avares d’efforts lorsqu’il s’agit de déplumer quelques fans, les éditeurs ont bien compris que les joueurs étaient toujours en grande attente d’éditions physiques. Mais pourquoi demander cinquante euros à un fan quand on peut lui en demander cent-cinquante en proposant une version collector ? À terme, il paraît légitime de se demander s’il n’existera plus que deux types de produits : la version dématérialisée et la version collector. Si vous êtes un fan, à vous l’œuvre d’art et les goodies qui vont avec, et il n’est même pas certain que le jeu soit compris dedans, même à prix fort. Si vous êtes un joueur lambda, alors une version numérique sera amplement suffisante, et coûtera largement moins cher à produire au studio.
Même si la situation paraît critique à moyen terme pour le jeu vidéo dans sa version physique, et pour nos boîtes de jeu adorées, nous ne pouvons que leur souhaiter un destin similaire à celui du vinyle dans le domaine de la musique. Quasiment disparu des radars il y a une vingtaine d’années, et devenu pour beaucoup simple objet de collection, il a su renaître de ses cendres pour trouver une nouvelle place sur le marché, aux côtés des sites de streaming. En attendant de voir si le jeu vidéo physique pourra suivre la même trajectoire, gardez bien vos boîtes de jeu à la maison, et rangez-les bien, car il n’est pas certain qu’on puisse en rajouter beaucoup à nos collections dans le futur. Et une armoire ou un meuble rempli de jeux, c’est tellement beau. Comme un petit musée à la maison.
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