Ce n’est pas nouveau, on vous en parle souvent : la préservation à travers le temps des jeux vidéo n’est pas tâche aisée. Des difficultés matérielles, des enjeux techniques, dans la pratique, il est impossible de garder des copies viables d’absolument tous les jeux. Cette semaine, le droit américain vient de donner raison à un obstacle supplémentaire : le droit d’auteur des éditeurs.
Deux associations, La Video Game History Foundation (VGHF) et le Software Preservation Network (SPN) se battent depuis trois ans contre les éditeurs pour que les bibliothèques et archives soient autorisées à distribuer des copies numériques de jeux inaccessibles autrement aux chercheurs spécialisés dans le jeu vidéo.
Le bureau du Copyright américain a donné raison aux éditeurs il y a quelques jours. Ce jugement se fait sur la fondation d’une crainte : les chercheurs pourraient se trouver l’envie de jouer aux jeux auxquels ils ont accès, sans qu’il n’y ait un réel rapport avec leurs travaux.
Pour comprendre l’enjeu de ce combat, il faut se demander d’abord, pourquoi ? Quel est l’intérêt de vouloir conserver des vieux jeux vidéo ? Non, ce n’est pas pour s’amuser à se battre contre les éditeurs tels de fiers Robin des Bois du temps moderne. Ce n’est pas non plus pour que Timéo puisse jouer aux vieux jeux que son papa ou sa maman a revendu.
Encore plus dans ce cas précis, l’enjeu derrière ces questions de préservation, c’est bien la recherche : l’étude de l’histoire, des phénomènes qui ont fait du jeu vidéo ce qu’il est aujourd’hui. C’est à travers ce genre d’étude tierces qu’un sujet s’extirpe de sa simple visée commerciale pour être reconnu et nourri en tant qu’art.
Cependant, pour qu’un travail sérieux puisse être produit de la part de ces chercheurs, encore faut-il qu’ils puissent se frotter aux titres dont ils parlent. Pour ce qui est du cinéma ou de la littérature, les bibliothèques et archives peuvent déjà faire ce travail, et le font bien dans des conditions qui dépassent le cadre strict de la recherche.
Face à cet enjeu, les éditeurs répondent que cette mise à disposition créera à terme un manque à gagner. Le bureau du Copyright américain affirme notamment :
« [Il y a] un plus grand risque de nuire au marché en retirant la limitation du jeu vidéo, au vu du marché dédié aux jeux ayant marqué l’histoire des différents studios. »
L’Entertainment Software Association, qui a défendu les droits des distributeurs dans cette affaire, fonde sa défense sur le marché des remakes et remasters, qui tend à prendre de plus en plus de place sur les différentes sorties des éditeurs.
C’est une défaite pour la VGHF et le SPN. L’inquiétude supposée des éditeurs, au sujet d’une utilisation récréative des jeux mis à disposition aux chercheurs semble bien dérisoire aux yeux de Franck Cifaldi, fondateur et président de la VGHF.
Les deux associations, en commençant ce combat légal s’engageaient dans une entreprise difficile : celle de faire changer le droit d’auteur américain, le fameux copyright. Une attitude nécessaire face à l’Entertainment Software Association, qui s’est engagée à s’opposer à tout type de réforme du droit d’auteur américain.
Les ayants-droits américains et les chercheurs ont deux buts distincts, qui ne peuvent pas s’aligner. Au-delà de l’ironie dans les propos des éditeurs (à quoi bon faire des jeux, si ce n’est pas pour y jouer ?), peut-être est-il aussi possible de se poser des questions quant à la perception qu’ils ont de leurs propres sorties.
Alors que Nintendo ouvrait son musée au début du mois, une célébration du divertissement, les éditeurs américains s’inquiètent que quelques chercheurs puissent s’amuser en travaillant sur leurs plus vieilles sorties. Plus que la simple question de la préservation, c’est bien la manière dont les éditeurs et studios donnent aux créations au coeur de l’industrie qui est au centre de ce débat.
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