Face à nos écrans ou entre les membranes de nos écouteurs, on aime se raconter des histoires. Se mentir même un peu parfois. En s’appropriant des mondes, des sons ou des mots que l’on considère écrits pour nous seuls. C’est comme ça que certaines œuvres nous frappent au cœur, de la même manière qu’elles ont pu dévorer celui de leur créateur. Contrairement aux voix du ciel, celles du cœur sont pénétrables.
Les créateurs de jeux vidéo, la plupart du temps dans l’ombre de leurs œuvres, y laissent pourtant des fragments d’eux-mêmes, des échos de leurs doutes et de leurs obsessions. Quand ils brisent l’illusion, ce n’est pas seulement pour surprendre ou jouer avec les codes narratifs, mais parfois pour chuchoter quelque chose de plus intime. Une confession cachée derrière un écran de pixels, un dernier mot glissé avant de disparaître sous les lignes de code. Aveux déguisés, appels à peine voilés à ceux qui, manette en main, acceptent de tendre l’oreille.
Derrière chaque jeu, derrière chaque mécanique bien huilée, il y a une main qui tremble. Un auteur qui craint d’être incompris, hanté par l’idée que leur monde virtuel sera un jour oublié. Alors, il s’adresse à nous, brisant l’illusion, non pas pour nous en exclure, mais pour nous y inviter plus profondément encore. Comme un regard furtif dans l’objectif d’une caméra, une note griffonnée en bas de page, un secret glissé entre les lignes froides du code. Un moyen, peut-être, de ne jamais vraiment disparaître.
Et nous, joueurs, spectateurs, témoins de ces confidences numériques, nous accueillons ces murmures comme des trésors cachés. Parce qu’au-delà du divertissement, un jeu peut être un cri étouffé, une main tendue dans le vide, une empreinte laissée sur un monde éphémère. Nous avançons, conscients ou non, que derrière chaque pixel, chaque ligne de dialogue qui s’adresse à nous, il y a quelqu’un, quelque part, qui a voulu dire quelque chose. Et peut-être que dans cet échange silencieux, entre créateur et joueur, entre fiction et réalité, nous trouvons une vérité qui n’appartient qu’à nous.
Et c’est certainement ça, la magie de ces œuvres qui osent s’adresser à nous sans filtre : elles nous rappellent que derrière l’écran, il y a une humanité vibrante, maladroite, sincère. Une humanité qui doute, qui espère, qui cherche un écho. Dans ces instants où le jeu nous regarde en retour, où les barrières s’effacent, il ne s’agit plus seulement de pixels, de codes ou de gameplay. Il s’agit d’un dialogue, d’une confidence partagée dans le secret d’une partie, d’un lien fragile mais réel entre celui qui crée et celui qui reçoit.
Et dans ce fragile équilibre, nous devenons un peu plus que de simples joueurs : nous devenons les gardiens de ces mots, de ces émotions, de ces fragments d’âme déposés là pour nous. Il fallait être attentif pour déceler celui-ci :
« Quelle joie immense je ressens. Vous m’avez fait un don sans mesure: une volonté naissante qui brûle à présent en mon sein. Néamoins, pour votre bien, je renoncerai à tout ce que je possède, tout ce que je suis. Les souvenirs reviendront à la surface. La fin de ce récit reste inachevée. Mon cœur… me fait mal. Un nouveau monde renaîtra. Une nouvelle histoire est sur le point de se dérouler. Cependant, il semble que je ne serai pas là pour la voir… »
C’est sur ces mots qu’Hideaki Itsuno nous a laissé à la fin de son Dragon’s Dogma 2. À moins d’un mois de son premier anniversaire, nous sommes sans nouvelles d’un DLC de la part de Capcom, sans nouvelles d’Hideaki Itsuno, parti depuis (pour rejoindre en novembre dernier une nouvelle filiale de Tencent qui a ouvert ses portes pour l’occasion à Tokyo et Osaka). Même pas une carte postale ou un coup de fil, même pas un sms ou un tweet. Intervention à cœur ouvert ou simple blues du dimanche soir ? Si cela vous arrive à vous aussi, prenez garde à l’hémorragie. Demain, ça ira mieux. La plaie se sera refermée… Mais jusqu’à quand ?
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