C’est une triste nouvelle pour les personnes qui attendent la suite de Disco Elysium : Martin Luiga a annoncé le « départ involontaire » d’une bonne partie de l’équipe de développement du premier jeu. C’est à travers l’annonce de la dissolution de l’association culturelle ZA/UM (à ne pas confondre avec l’entreprise ZA/UM) que la décision de remercier Robert Kurvitz (fondateur du studio, lead game designer), Aleksander Rostov (directeur artistique), et Helen Hindpere (scénariste) a été rendue publique. Il s’agit d’une décision vraisemblablement connue depuis un certain temps en interne, puisque Martin Luiga affirme :
« […] Je note d’ailleurs que ni Kurvitz, ni Hindpere, ni Rostov ne travaille ici [chez ZA/UM] depuis la fin de l’année dernière, et que leur départ de l’entreprise n’était pas de leur fait. »
Il s’agit d’une nouvelle inquiétante pour les personnes attendant la suite du premier jeu au vu de l’importance de ces trois personnes dans son succès. Ces incertitudes sont d’autant plus présentes que Martin Luiga, co-fondateur de l’entreprise, laisse bien entendre que la décision de dissoudre l’association culturelle est avant tout une décision provenant des actionnaires de l’entreprise. D’autres facteurs rentrent probablement en compte : en février déjà, Amazon signait un accord de « first-look » avec Dj2 Entertainment, et récupérait donc les droits pour une adaptation de Disco Elysium.
Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’un accord « first-look » n’est en aucun cas une garantie de la production d’un projet. Il laisse une certaine latitude aux créateurs sur leurs propriétés intellectuelles, puisqu’ils en gardent les droits, et peuvent proposer les projets rejetés à d’autres studios.
Cependant, vu le contenu politique du jeu d’origine, il est facile de voir un lien se former entre le renvoi des têtes créatives et cet accord. Difficile d’imaginer une entreprise comme Amazon prendre parti pour la classe ouvrière, quand on sait la manière dont elle traite ses propres employés.
Martin Luiga peint un portrait nuancé de la situation : d’un côté, le départ de l’équipe créative est une décision surtout voulue par les investisseurs, les « money people », comme il les appelle. Cependant, il réaffirme dans le même temps que Disco Elysium n’aurait jamais vu le jour sans eux. Quand on lui demande de détailler la situation, il explique :
« Imaginez un kleptomane. Sauf que, plutôt que de voler, par exemple, une sucette, il s’embête en manipulant des dizaines de personnes afin de voler, finalement, leur propre travail, parce qu’ils sont très efficaces pour ce genre d’opération. C’est ce qu’ils font à chaque fois, en réalité. L’un d’eux avait été le premier à avoir été condamné pour fraude à l’investissement en Estonie. En même temps, je ne sais pas si on aurait réussi à avoir les premiers investissements sans ces gens. »
Ce que Martin Luiga décrit ici est une logique tristement habituelle dans l’industrie. Des créatifs réussissent à créer quelque chose de fort, capable de résonner avec un public, puis les investisseurs récoltent la licence créée à partir de ce succès. C’est une vision certes, très manichéenne de la situation, mais c’est bien le sentiment général des joueurs après l’annonce. Quand bien même Martin Luiga essaie d’adoucir la réaction, en se voulant rassurant au sujet de la suite du jeu, puisque les joueurs ayant aimé l’original pour beaucoup voient cette évolution comme une trahison du studio :
« À mon avis, la situation de la suite est plutôt bonne, peut-être même que vous aurez ce que nous avions prévu à l’origine, ça prendra beaucoup de temps, mais les fans de RPG y sont habitués, n’est ce pas ? »
Une bonne partie des réactions ne peuvent pourtant que noter l’ironie de voir Disco Elysium perdre son équipe créative, responsable de son succès, pour des considérations capitalistes, alors qu’il est question d’un jeu au propos profondément politique.
À noter que si la nouvelle était vraisemblablement bien connue en interne, il s’agit d’une nouvelle qui ne secoue le public cible des jeux que maintenant, et il est possible que nous n’ayons pas encore toutes les cartes en main pour comprendre les enjeux touchant actuellement le studio.
Martin Luiga ne peut pas être entièrement transparent face aux questions qu’il reçoit à ce sujet à cause de différents accords de non-divulgation, et la situation des trois intéressés n’a été clarifiée qu’à travers une courte notice sur le Twitter d’Aleksander Rostov. Leurs sites professionnels, comme le profil Artstation de Rostov, n’ont pas encore été mis à jour.
« Nous confirmons que nous ne sommes plus au studio — Aleksander Rostov, Robert Kurvitz, Helen Hindpere » – @artofrostov, le 02/10/2022, sut Twitter (traduit par la rédaction)
Martin Luiga, malgré la noirceur de la situation, termine la discussion autour du sujet avec une marque d’optimisme en notant le travail accompli et le soutien reçu autour du premier jeu – soutien qui se fait encore ressentir suite à l’annonce de la dissolution.
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