Il existe des films que l’on attend sans vraiment y croire, des promesses qu’Hollywood nous murmure depuis tant d’années qu’elles deviennent presque des mythes. Tron Ares appartient à cette catégorie. Troisième opus d’une saga vénérée par une poignée de fidèles, mais ignorée d’une grande partie du grand public, ce nouvel épisode surgit après quinze années d’attente, alors que Jared Leto avait, dès 2017, manifesté son intérêt pour la licence ; quinze années de projets avortés et de rumeurs.
Lourde tâche et héritage fragile
Relancer Tron au cinéma en 2025, pour Disney, relève presque de la folie. En effet, la licence n’a jamais été un empire commercial, loin de là. Le premier film, devenu culte, n’avait guère brillé au box-office en son temps. Tron : L’Héritage, près de trois décennies plus tard, avait beau avoir modernisé le mythe, offert une esthétique hypnotique et une bande-son mythique, il n’était pas parvenu non plus à faire des ravages en salles. C’est dire le pari risqué que représente Tron Ares et le petit miracle de sa sortie sur grand écran.
Là où Tron : L’Héritage reprenait le schéma scénaristique du premier film, de façon presque mimétique (un humain pénétrant dans le système, découvrant un monde numérique nouveau et tentant d’en sortir, comme en 1982) Ares inverse la logique. Cette fois, ce sont les programmes qui s’aventurent dans notre réalité. Une inversion intéressante, qui renouvelle la proposition visuelle et narrative.
Ici par exemple, l’emblématique course de cycle lumineux est cette fois-ci projetée au cœur d’une cité urbaine, offrant des visions inédites, presque déroutantes. L’univers de Tron se déploie dans une lumière nouvelle, rougeoyante, brûlante, moins bleutée, moins froide. Le concept séduit : l’histoire d’un programme qui s’éveille à la conscience, qui cherche son humanité, promet une réflexion intéressante sur la frontière entre création et créateur. Mais voilà : ce nouveau chapitre se révèle sûrement être le moins réussi de la trilogie.
Grille flambloyante ou monde éteint ?
Mais passées les premières minutes plutôt haletantes, le soufflet retombe aussitôt. Là où les deux premiers opus plongeaient le spectateur dans une expérience quasi mystique, fusion de musique, d’images marquantes et d’idées visuelles folles, Ares demeure plus terre-à-terre. L’émotion s’y fait rare, la magie s’estompe. On explore davantage notre monde que celui de la Grille, et le film semble parfois oublier que c’est précisément dans cette dimension numérique que réside la singularité de l’univers de Tron. Un peu comme si un film Assassin’s Creed se déroulait complètement dans le présent plutôt que dans l’animus… (Quoi que…?!)
Pour Tron Ares, le résultat reste toujours assez clinquant, tape-à-l’œil dans cette collision entre deux mondes, mais la fascination se dilue. Les seconds rôles manquent énormément d’épaisseur, souvent réduits à des figures comiques ou fonctionnelles. Le plus regrettable demeure sans doute cette impression de table rase : ni Sam Flynn ni Quorra ne sont véritablement évoqués, sinon au détour de quelques photos. Le seul lien tangible avec le passé réside dans la dynastie Dillinger et l’ombre planante de Kevin Flynn, spectre du héros originel que Jeff Bridges incarne brièvement durant quelques scènes, symboliquement. Et le plus choquant : pas de Tron, dans ce film portant son nom, pas plus que son concepteur Alan Bradley.
Pour les fans, cette absence pourra se révéler douloureuse. Ares semble vouloir tout recommencer, tout en se réclamant de l’héritage des deux premiers films. Tous les projets liés à la suite des aventures de Sam et Quorra, notamment le Tron Ascension annulé de 2015, ont été purement et simplement mis de côté, au profit d’un spot à la gloire de Jared Leto. Il reste tout de même un point positif : aujourd’hui, nous pouvons enfin parler d’une trilogie Tron, ça sera déjà ça.
Un hommage visuel et sonore
Pourtant, tout n’est pas à jeter, loin de là. Car Tron Ares réussit à rendre un hommage complet à toute la saga. On retrouve la Grille de 1982, avec ses textures volontairement datées, ses CGI approximatifs mais poétiques. Cette nostalgie assumée, ce choix de revisiter la « laideur » (pour nos standards actuels) touchante et si sublime des origines, confère à ce court moment du film une vraie beauté mélancolique.
Certains lieux emblématiques du premier opus ressurgissent donc, marqués par les événements du passé. Et évidemment, pour le reste, l’esthétique néon et noire de Tron L’Héritage est présente partout, plus détaillée mais respectueuse, créant un pont harmonieux entre les trois épisodes.
La musique, signée Nine Inch Nails, est quant à elle une véritable réussite. Vibrante, percutante, rythmée, elle confère à l’ensemble une âme qu’il aurait sans elle manquée. Moins mystique que la partition des Daft Punk, certes, mais d’une intensité rare pour des blockbusters de ces dernières années. Et lorsque retentissent, dans la Grille originale de 82, les thèmes mythiques de Wendy Carlos, la nostalgie submerge. Oui, c’est du fan service, mais teinté d’une certaine bienveillance, sincère, presque tendre
Peut-être un avis manquant d’impartialité et rempli de nostalgie, écrit par quelqu’un qui a toujours rêvé de voir à quoi pourrait ressembler, aujourd’hui, un retour dans la Grille du premier Tron (même s’il subsiste une légère déception de ne pas avoir vu Jared Leto revêtu d’un casque de hockey et d’un spandex multicolore, pour aller pleinement dans le délire).
Autre détail, mineur mais plaisant : la version française corrige enfin la traduction approximative de 1982, qui avait nommé les « users » en « concepteurs ». Ici, le terme « utilisateur » est préféré, tout en employant tout de même à un moment dans le film, le mot « concepteur » comme clin d’œil discret aux puristes. Détail notable et appréciable.
Fin de transmission ?
Reste une conclusion douce-amère. Une scène post-générique, un peu forcée, presque pastiche de Marvel, venant promettre un avenir et le retour symbolique d’un antagoniste du premier opus, que l’on sait probablement illusoire. Car Tron Ares, malgré ses efforts, ne sauvera sans doute pas la licence. Il ne cassera pas le box-office, et c’est peut-être la dernière fois que la Grille s’allumera sur grand écran.
Eve Kim, l’héroïne interprétée par Greta Lee, vole d’ailleurs souvent la vedette à Jared Leto, monolithique par la nature de son rôle. Mais au fond, ce n’est pas là que se joue le problème : Tron Ares manque de la magie qui faisait de ses prédécesseurs des expériences sensorielles uniques.
Ce n’est pas une révolution, ce n’est pas un renouveau. La réflexion, censée complexifier le récit autour de l’IA, se révèle d’une naïveté déconcertante, et les teasing pour un quatrième opus, qui ne verra sûrement jamais le jour, font peine à voir. Il faut voir dans cet ultime projet un adieu. Ares reste un film rouge incandescent, traversé par moments de sincérité, d’amour pour son propre mythe, et de cette beauté désuète des mondes qui s’éteignent. Mais il n’est ni aussi flamboyant ou révolutionnaire que ses prédécesseurs pour espérer laisser une empreinte comparable.
Et pour les fans, comme nous, ce sera donc sûrement un ultime voyage dans la Grille, avant que la lumière ne se dissolve définitivement. La fin d’une trilogie aussi poétique que singulière, riche en idées, parfois inégale, mais qui aura mis quarante ans à se déployer. Ainsi s’éteint une flamme numérique, laissant derrière elle le souvenir lumineux d’un monde faits de néons et de programmes, que nous n’oublierons jamais.
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