Des couloirs sombres, à peine éclairés par des lumières tamisées ou clignotantes, un vaisseau spatial, une colonie ou une station en orbite, les cadres véreux de la Weyland-Yutani en antagonistes ironiques, l’héroïne archétypique dernière survivante d’une équipe de glandus qui finit par vaincre le Xenomorphe et la traditionnelle menace du dernier acte non sans se retrouver en sous-vêtements. Pas de doute à avoir, nous sommes bien dans un Alien dont la recette est pratiquement la même d’un film à l’autre.
La franchise Alien souffre d’un grand paradoxe : elle met en scène l’un des monstres du cinéma dont le cycle de reproduction est constamment représenté dans son intégralité d’un film à l’autre, et il s’agit d’un monstre dont le lore change également d’un film à l’autre et où l’on sait par avance que chaque nouveau film va arriver avec son lot d’incohérences qui iront à l’encontre de l’univers établi par le film précédent, lui-même ayant fort peu respecté les fondations de celui qui vint encore avant.
Une tendance arrivée à son paroxysme avec les derniers films réalisés ou produits par Ridley Scott qui ont très largement abîmé la saga et la figure de l’Alien, devenu simple création d’une création humaine.
Contrairement aux films Predator, dans lesquels l’antagoniste (bien souvent unique) monte en puissance au cours de l’histoire en même temps que le protagoniste commence à comprendre l’inhumanité de son chasseur, le Xenomorphe est passé de monstre terrifiant et mystérieux, rôdant avec adresse, à simple péripétie facilement éliminable, une tragédie pour l’organisme parfait.
Le monde du cinéma l’a pourtant bien compris en ce qui concerne les Yautjas. On peut évidemment mentionner le second film de la franchise, propulsant un Predator dans le Los Angeles miteux de 1997, s’en prenant à la pègre et aux différentes forces de police enquêtant sur ses meurtres rituels. Mais ce sont bien évidemment les deux dernières mises en scène du Yautja qui illustrent le besoin de proposer une réelle nouveauté.
Celui sorti en 2018, sobrement intitulé The Predator, a connu un échec commercial et critique retentissant qui semblait avoir enterré pour de bon ce monstre iconique du cinéma moderne. Pourtant, bien loin de ce dernier que l’on pourrait sans peine catégoriser en navet ou nanar, Prey, sorti en 2022, est parvenu à rendre ses lettres de noblesse à celui qui, on le rappelle, était désigné comme rien de moins que « celui qui fait des humains ses trophées ».
On y retrouvait un Predator particulièrement agressif, largué en 1719 près des terres Comanches, affrontant ces derniers ainsi que des colons européens. La dimension horrifique du Predator était retrouvée grâce à un scénario nouveau, un environnement nouveau et des factions nouvelles.
Même si Alien: Romulus est loin d’être mauvais, il souffre d’un manque terrible d’originalité et d’abus sans la moindre once de vergogne de références aux premiers films pour flatter le fan moyen (mais, en vérité, l’insulter, supposant qu’il est incapable d’apprécier la nouveauté et la prise de risque et qu’il faille le chouchouter en lui offrant une très très large zone de confort).
Symbole de cette impasse bien comprise par Fede Alvarez, les Aliens n’étaient finalement qu’une péripétie éphémère tandis que la véritable menace se retrouvait incarnée par un essaim de Facehuggers ainsi que par un monstre ridicule pour le dernier acte, qui, dans la grande tradition d’Alien, met à mal le lore établi par Prometheus et Covenant, trois films pourtant produits par le même Ridley Scott qui ne sait décidément pas ce qu’il veut faire avec la franchise.
Le Xenomorphe seul est un antagoniste mystérieux, un chasseur qui rôde dans les couloirs et les coulisses, ce qui était parfaitement représenté dans Alien: Isolation et le premier film. Mais une fois que la créature se retrouve multiple, il devient une péripétie de film d’action, la portée de la mort de l’un d’entre eux s’en trouve diminuée et son iconisation en souffre tout autant.
Il faut certainement rendre à César ce qui lui appartient en concédant que les essaims d’Aliens du second film et du premier Alien vs Predator était représentés avec une grande adresse, et AvP avait le bon goût de mettre en avant un Xenomorphe spécifique parmi la masse, « Grid », qui a vaincu deux Predators seuls dans une scène qui est désormais légendaire pour les fans des deux franchises (mention spéciale au « Spécimen 6 » du jeu éponyme de 2010 également).
Mais ce sont là des films d’une autre époque, bien avant que le style Disney de proposer des suites calqués sur les originaux n’infeste un milieu souvent allergique à la prise de risque, et bien avant la période sombre de la main mise de Ridley Scott sur la créature imaginée par H.R Giger et mise en scène par Dan O’Bannon.
Pourtant, c’est de cela qu’a besoin la franchise Alien : nous proposer une nouvelle histoire mettant en scène un Xenomorphe ailleurs que sur un vaisseau, sur une station spatiale ou une colonie de la Weyland-Yutani. Ne peut-on pas imaginer que la Bête du Gévaudan qui terrorisa la France en 1764 était en fait un Xenomorphe rôdant près d’un village et commettant des massacres en se cachant dans les bois, avec un vieux chasseur malade en protagoniste plutôt qu’une nouvelle Ripley ?
Ne peut-on pas mettre en scène un Xenomorphe affrontant des chevaliers dans un château médiéval, traquant ses habitants en se déplaçant dans l’obscurité pendant un hiver rigoureux tandis que les humains ne comprennent pas ce qui les attaque ? Ou affronter des légionnaires romains, des soldats de l’Empire des Hans, terroriser une communauté religieuse esseulée (ce qui serait plus que bienvenu après le récit créationniste mis en avant dans Prometheus et Covenant).
Certes, on reprocherait alors une entorse au lore d’Alien puisque la créature est supposée avoir été rencontrée dans le futur, crée par un androïde mégalomaniaque dans un esprit scottiesque de morbidité ironique frappant une Humanité coupable d’avoir voulu tutoyer les Dieux et chercher des réponses à de grandes questions métaphysiques, mais, en toute franchise, le lore d’Alien n’a plus aucun sens depuis les derniers films de Ridley Scott, et n’a même que très peu de sens d’un film à l’autre, voire même se contredit complètement dans certains films (bonjour le fluide noir magique qui crée la vie et fait le café).
Et quand bien même, on peut facilement construire une histoire dans laquelle le Xenomorphe n’est jamais découvert par l’Humanité, où ceux qui l’ont vu en sont morts et personne ne croit le vieil homme qui l’aurait vaincu. Quelque chose de nouveau, où l’on ne connaît pas l’exact déroulé des évènements dès le début ni même l’héroïne débrouillarde que l’on devine affublée d’armure scénaristique dès la première scène.
Pour restaurer l’horreur dans Alien, il faudrait placer le Xenomorphe dans un nouvel environnement franchement dépaysant et proposer un nouvel archétype de héros, bien éloigné du modèle de Ripley qui n’a été que trop abusé.
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