Le jeu vidéo a connu plusieurs bouleversements au cours de son évolution : possibilité de jouer à deux en même temps, apparition de la sauvegarde, de la 3D, de la VR… Mais les récents changements importants ne concernent pas exactement la façon de jouer, mais plutôt la distribution des jeux : c’est l’arrivée des « jeux-services », qui a changé la manière de penser, de développer et de vendre un jeu vidéo, mais aussi celle du Xbox Game Pass (et des suiveurs), qui a bouleversé notre façon de consommer.
« Trop belle pour être vraie » selon certains, pas tenable financièrement, on entendait que l’offre de Microsoft n’allait durer qu’un temps, et que les tarifs allaient forcément monter en flèche. Alors, oui, les prix ont connu une légère augmentation depuis le lancement du service, mais comme les jeux ou les consoles, sans lien direct avec le modèle économique du service. Et rien n’indique que Microsoft entend reculer sur le Game Pass, bien au contraire.
L’offre va en effet s’étoffer en 2024, avec l’arrivée de plusieurs titres exclusifs attendus et potentiellement pourvoyeurs de nouveaux abonnés, comme Hellblade 2 ou Indiana Jones, mais aussi avec l’arrivée au catalogue des jeux Activision-Blizzard, désormais propriété de Microsoft.
Et ce n’est qu’un élément de ce qui pourrait dessiner l’avenir de Xbox, et potentiellement entraîner l’avenir du jeu vidéo. Les rumeurs vont bon train, annonçant le portage de certaines exclusivités Xbox sur les machines de la concurrence. Deux jeux reviennent beaucoup dans la discussion : Hi-Fi Rush et Sea of Thieves. Si les rumeurs se révélaient exactes, le bénéfice pourrait être multiple pour le constructeur américain.
D’abord, il soignerait son image de « gentil » du game, celui qui œuvre non pas à devenir le leader de l’industrie, mais à pouvoir proposer ses jeux au plus de joueurs possible, selon l’image qu’a essayé de construire Phil Spencer pendant qu’était arbitrée l’acquisition d’ActiBliz. Le portage PS5 redynamiserait aussi un jeu en ligne comme Sea of Thieves, lui apportant son lot de nouveaux joueurs, et avec eux, un vent de fraîcheur qui soufflerait sur les parties, faisant aussi revenir ceux qui, sur Xbox, auraient pu se lasser du jeu sorti en 2018.
Mais surtout, ces jeux pourraient servir de cheval de Troie pour Xbox. Microsoft entend désormais vendre des abonnements plutôt que des jeux et des consoles, et sans que cela ne doive être pris pour une annonce, un cadre de l’entreprise se disait tout récemment plutôt favorable à l’idée d’un Game Pass disponible sur Switch ou PS5… « Xbox Play Anywhere », comme le dit le slogan maison. Et avec l’arrivée quasi assurée de Call of Duty au catalogue, le paradigme risque d’être bousculé.
On le sait, les jeux Call of Duty sont des locomotives pour les consoles, et pour bon nombre de joueurs, ils justifient à eux seuls l’achat d’une machine. Certains joueurs ne touchent à rien d’autre qu’à la paire CoD/Fifa (devenu EA Sport FC). Et en effet, le premier est en seconde place des jeux les plus vendus en 2023 aux États-Unis, et le second sur la deuxième marche du top anglais (plus gros marché européen). Or, Microsoft disposait déjà, avant de s’offrir la maison-mère de CoD, d’un accord solide avec Electronic Arts, dont le service EA Play est inclus avec l’abonnement « Ultimate » du Game Pass.
Les joueurs pour qui ces titres représentent la plus grande part de leur consommation de jeux vidéo pourraient donc légitimement réfléchir à passer au Game Pass plutôt que de s’offrir leur galette annuelle. Avec des jeux à 80€, il revient déjà moins cher de prendre un abonnement Game Pass Console (11€/mois, soit 121€/an) que d’acheter deux jeux. Sans compter que le Game Pass est accessible depuis la petite console de Microsoft, la Xbox Series S, vendue dès 300€ (contre 550€ pour une PS5). Un argument pécuniaire qui va forcément peser, surtout en période d’inflation, et plus encore dans des pays où le revenu moyen est plus faible.
Alors, va-t-on assister à un exode vers le Game Pass ? Ou simplement, même en restant un fantasme, cet exode pourrait-il inquiéter Sony, et le forcer à prendre des décisions inédites, comme accepter que le Game Pass soit déployé sur ses machines ?
La PS5 se vend bien, très bien même. C’en est même surprenant vu le faible nombre d’exclus proposées. Mais même en se vendant bien, elle ne se vendrait pas assez bien. C’est la société d’analyses Toyo Securities, citée par GamesIndustry, qui le révèle : Sony devrait écouler 18,5 millions de consoles en 2024, ce qui est bien en deçà des 25 millions qui figuraient dans les plans de la firme, qui aurait bien du mal à rentrer dans les frais exorbitants de recherche et développement, mettant en péril le travail sur la future PS6.
Les coûts de développement des jeux explosent, et plongent le fabricant-développeur-éditeur dans un cercle vicieux : continuer à investir des sommes folles pour proposer aux joueurs ces grands jeux solos qui sont la signature de PlayStation (God of War, Horizon, Spider-Man…), mais être condamné à vendre des quantités faramineuses de jeux et de consoles (ce qui semble compliqué), ou réduire le spectre de ses titres, au risque de décevoir les joueurs et les voir partir…
L’arrivée du Game Pass sur PlayStation pourrait, au moins à moyen terme, résoudre l’équation : avec l’accès au catalogue et les exclus Microsoft jouables sur PlayStation, il n’y aurait plus qu’un choix « évident », celui de la PS5, qui donnerait accès aux joueurs à la fois aux grands jeux Sony, et au bénéfice du service par abonnement de Microsoft, offrant alors un monopole de fait à PlayStation (Nintendo reste un outsider jouant dans sa propre catégorie). Mais ce serait aussi faire rentrer le renard dans le poulailler, et offrir au constructeur américain une domination sans partage sur le jeu en streaming. Et les acteurs du cinéma et de la vidéo qui regardaient Netflix de haut, il y a vingt ou vingt-cinq ans, mangent aujourd’hui leur chapeau…