Tropico est une franchise qui fête cette année ses vingt ans d’existence. Ce jeu de gestion place le joueur dans le rôle de « El Presidente », dictateur d’une république bananière caribéenne durant la Guerre Froide. Avec un sixième opus, sorti il y a maintenant deux ans, Tropico a su conquérir le cœur des joueurs et s’est installé durablement dans le paysage vidéoludique. Quels sont les ingrédients de cette étonnante longévité ? Retour sur une carrière de dictateur qui ne fut pas sans remous.
Début de règne
C’est en avril 2001 avec un premier opus qui fait son apparition sur PC et Mac qu’il apparaît sur la scène vidéoludique. Édité par Pop Top Software et développé par Take-Two Interactive, ce Tropico arrive dans une période où les jeux de stratégie et de gestion ont le vent en poupe en ce début de millénaire. Il va falloir frapper fort pour se démarquer de la concurrence.
Ce sera chose faite. Tropico pose les bases de la série à succès en proposant de planter son décor sur une île paradisiaque au cœur de l’archipel des Caraïbes. En choisissant de s’installer au cours de la Guerre froide, les développeurs savent qu’ils vont susciter la curiosité. Mais la véritable force du jeu réside dans le choix d’incarner un véritable dictateur.
Bien sûr, cela n’est pas nouveau, puisque Dungeon Keeper a ouvert la voie. Mais ici, le fait d’ancrer cela dans une période historique relativement récente de notre Histoire (peu traitée jusqu’alors), le tout avec humour et irrévérence, fait tout de suite mouche.
Côté gameplay, le jeu reste sur des aspects classiques du titre de gestion de l’époque : gestion de la politique, populations, aspirations écologiques et sociologiques. À ceci près qu’il est important pour El Presidente de s’attirer les bonnes grâces des deux Blocs afin d’en tirer profit au maximum. La campagne sera prétexte à apprivoiser le gameplay dans un premier temps, avant de se conclure par de véritables défis de gestion qui ont donné des sueurs froides à ceux qui s’y sont frottés.
Bien que limité techniquement pour son époque, Tropico gagne un premier succès d’estime au sein de la communauté des joueurs. S’ensuivra en 2002 une extension intitulée Tropico: Paradise Island qui intègrera la gestion touristique de l’île, une autre manière de prospérer à Tropico qui sera conservée dans l’ADN de la série.
Une suite à contre-courant
Tropico 2 : La baie des pirates débarque en 2003 toujours sur PC et Mac, et est le seul opus de la série à quitter le XXe siècle pour nous faire connaître les joies de la piraterie au XVIIIe siècle. Ici, il est question de gérer notre port, notre flotte et nos flibustiers. La recette, restée la même, conserve son charme et son humour noir.
Des petits ajouts techniques tels que le zoom sur la carte ou le choix du capitaine qui aura des influences sur certains éléments de départ viennent parfaire une expérience certes rafraîchissante, mais peu renouvelée. Les seize missions de la campagne offrent toujours un challenge qui reste relevé, mais un sentiment de déjà-vu s’installe.
D’autant que le moteur graphique reste le même que deux ans auparavant et commence sérieusement à dater. Ce deuxième Tropico divise la communauté qui semble perdue par les choix des développeurs, et un retour à El Presidente séance tenante est réclamé !
Le retour d’El Presidente !
Tropico 3 revient aux fondamentaux en 2009. La licence est désormais aux mains des Allemands de Kalypso qui confient ce troisième volet au studio bulgare Heanimont Games. Le virage de 3D est enfin pris et le lifting n’est pas seulement en façade. En effet, la formule s’oriente vers un city-builder et va proposer pléthore de nouveautés.
La première sera de pouvoir personnaliser à loisir son dictateur et cela aura une influence directe sur le jeu, lui donnant un rôle plus incarné à la série. De plus, El Presidente aura la possibilité de faire des visites officielles dans l’île, ce qui aura pour effet d’accroître la production des bâtiments ainsi visités. Les transports auront aussi une grande importance dans le quotidien de votre île, ar personnes et marchandises doivent pouvoir circuler avec fluidité pour permettre le dynamisme économique.
Des aléas climatiques font aussi leur apparition pour bouleverser les stratégies et obliger les joueur à tenter de s’en prémunir. Les factions de la population s’étoffent pour donner toujours plus de vie à l’île. Un astucieux système de décrets permet d’influer sur notre politique et d’améliorer la vie des citoyens tout en ne perdant pas de vue notre enrichissement personnel.
Trafics d’influence, corruption, assassinats et coups d’État restent le lot de tout aspirant dictateur pour parvenir à conserver le pouvoir. Doté de 70 bâtiments différents, Tropico 3 reste modeste dans sa proposition, mais offre la possibilité d’opérer des actes de micro-gestion dans chacun d’eux afin de pouvoir les optimiser au maximum. Contenter les sept factions de citoyens demandera du doigté, car chacune de vos décisions peut faire basculer un honnête quidam dans la rébellion pour tenter de vous renverser.
Enfin, la gestion encore plus poussée des deux Blocs à l’international viendra ajouter une touche de complexité à l’ensemble qui, en 2009, fera date pour la série. En effet, Tropico 3 installe durablement les fondations de la franchise et propose une expérience toujours plus complète. Sans être parfaite, elle conserve son ambiance salsa délicieusement immorale et irrévérencieuse qui fait le sel de la saga.
Une dynastie à l’apogée
Tropico 4, apparu en 2011, signe l’arrivée de la franchise sur les consoles de salon. Il reste dans la lignée de son aîné en apportant encore plus de détails de micro-gestion et d’options de politique nationale et internationale prenant toujours place au cours de la Guerre Froide. D’ailleurs, la diplomatie s’étoffe avec l’apparition de nouveaux interlocuteurs : la Chine et le Moyen-Orient.
Autre nouveauté, les loyalistes. C’est une nouvelle faction de citoyens qui vient s’ajouter aux sept déjà présentes, et menée par votre fidèle bras droit Penultimo.
Ce personnage ainsi que d’autres comme l’animatrice radio écolo Sunny ou El Diablo le nationaliste et bien d’autres donne à ce nouvel opus un ton toujours plus humoristique. On se plait à découvrir les dépêches radios en fond sonore dès qu’une décision est prise, car les médias auront un rôle de propagande qui est accru.
De même, il nous sera possible de composer notre gouvernement et de profiter des différents avantages que cela procure. L’aspect économique des échanges de marchandises est optimisé avec des interfaces améliorées permettant d’avoir toutes les données utiles à portée de clic.
Ce quatrième opus marque le tournant de la carrière d’El Presidente, car il continue de faire grandir la recette en apportant toujours plus de complexité et de nuances. L’accent est mis aussi sur l’humour toujours cynique, mais jubilatoire qui garde sa saveur d’antan. Les nouveautés restent pertinentes et peaufinent encore le gameplay.
En quête d’autres aspirations
Trois ans plus tard lui succède Tropico 5. Toujours sur PC et consoles, ce nouvel opus interroge sur sa pertinence et ses ajouts de gameplay tant le précédent avait su faire l’unanimité. Comment sera-t-il possible d’enrichir le gameplay déjà bien fourni sans perdre l’essence de la série ? La grande nouveauté résidera dans la chronologie qui débutera cette fois à l’époque coloniale où El Presidente n’est encore que Gouverneur de la Couronne. C’est le charme de cette nouvelle campagne que de découvrir les origines de l’île de Tropico et de son accession à l’indépendance.
Plusieurs ères vont aussi se succéder pour remonter le fil de la grande histoire jusqu’à nos jours. Et comme El Presidente est éternel, l’un de vos plus grands défis sera de bâtir une véritable dynastie de despotes, tous personnalisables à loisir suivant l’époque dans laquelle ils évoluent. Chaque période offrira des missions secondaire contextuelles qui leur sont propres.
L’apport de la recherche et d’un arbre de technologie associé oblige désormais à davantage planifier sa politique sur la durée. Il faudra dépenser ses points de recherches dans les activités et besoins les plus pertinents.
Comme cela fut craint par les joueurs, Tropico 5 s’avère être une petite déception tant les apports semblent cosmétiques. Un multijoueur fait bien son apparition, mais reste anecdotique et peu ergonomique. La franchise garde le même esprit et l’humour qui a fait son succès, mais cela peine à convaincre. Il sera d’ailleurs dit que Tropico 5 n’est qu’une pale imitation de son aîné.
De plus, l’aspect micro-gestion perd de ses nuances et de ses subtilités pour offrir une approche du genre plus casual. Les développeurs, probablement conscients que le jeu est en perte de vitesse, ont tenté de le rendre plus accessible au risque de se détourner d’une partie des fans de la première heure.
Construire des ponts entre les peuples
Tropico 6 a la lourde charge de faire oublier son prédécesseur, mais aussi de renouveler une licence en perte de vitesse. Pour ce faire, c’est le studio allemand Limbic Entertainment qui a désormais les faveurs de Kalypso. Annoncée lors de l’E3 en 2017, sa sortie aura lieu en 2019 sur PC et consoles de salon.
Pour renouer avec le succès, Kalypso mise sur un élément de gameplay qui va être au centre de sa stratégie de communication. En effet, Tropico n’est plus une île, mais un archipel de plusieurs îles qu’il va falloir relier entre elles avec des ponts, tunnels et téléphériques. En apparence anecdotique, ce changement de philosophie ouvre de nouvelles perspectives de jeu et renouvelle l’expérience dans son entièreté.
Chaque îlot offre des ressources différentes et leur taille variant, il faut se montrer ingénieux pour optimiser chaque bande de terre. Les déplacements prennent une grande importance, car il faut les varier et veiller à la fluidité du trafic. Notre république bananière connaîtra le même schéma de jeu que lors du précédent opus en débutant à l’époque coloniale pour se conclure à l’ère moderne. Notre argent détourné en Suisse pourra nous être utile pour nous sortir de nombre de mauvais pas.
On ne retiendra rien de plus de ce nouvel opus qui, malgré de bonnes intentions, ne parvient toujours pas à renouveler son expérience. Certes, le mode bac à sable, personnalisable à souhait, reste plaisant, les quelques ajouts de gameplay offrent de nouvelles perspectives rafraîchissantes, mais cela reste bien insuffisant. De plus, la micro-gestion ne cesse de s’appauvrir, ne soutenant même plus la comparaison avec le quatrième opus qui reste désormais le mètre étalon.
Que retenir de ces vingt ans de règne ?
À la veille de son vingtième anniversaire, El Presidente et sa nation de Tropico ont déjà une honorable carrière derrière eux. Des idées et un gameplay sans cesse renouvelés durant les dix premières années ont permis à la franchise de côtoyer les cadors du genre. La micro-gestion, la planification et une bonne dose de despotisme éclairé furent les maîtres-mots, le tout saupoudré d’un humour grinçant qui rendait l’expérience si plaisante. Sauf que le modèle a vieilli et que les semi-échecs pour renouveler la franchise se succèdent. Le vœu des aspirants dictateurs est de retrouver un septième épisode qui soit le fondateur d’une nouvelle ère pour la saga qui se cherche un nouveau souffle.