Entre les jeux vidéo indépendants et les grosses productions alimentées à coup de centaines de millions de dollars, certains acteurs du marché se sont spécialisés dans la production et l’édition de titres moins ambitieux ou créatifs mais dont le public cible, certes plus réduit, est généralement moins versatile, notamment du côté des J-RPG.
On pense ainsi immédiatement à Nippon Ichi Software, Gust ou Nihon Falcom par exemple qui, pour ce dernier, nous régale depuis quelques années avec ses séries phares The Legend of Heroes et Ys dont le dernier épisode, Ys X: Nordics, est sorti ce 25 octobre dernier sur PlayStation 4 et 5, Switch et PC.
Rares sont pourtant ces productions AA qui arrivent à sortir de l’ombre et à extirper leurs studios de l’anonymat dans lequel ils demeurent. Et avec l’hyper concentration à la fois des joueurs et des médias vers les plus gros jeux (qu’ils soient typés indés ou au top de la technologie), reste-t-il encore une place pour ces AA modestes s’inscrivant dans une vision « à l’ancienne » du jeu vidéo, et dans le cas présent, du J-RPG ?
(Test d’Ys X: Nordics sur PlayStation 5 réalisé à partir d’une version fournie par l’éditeur)
Adol et Karja sont sur un bateau
Malgré son statut de jeu de niche, et notamment depuis son huitième opus numéroté, Lacrimosa of Dana, la saga des Ys a gagné en popularité auprès d’un cercle de joueurs amateurs de J-RPG d’action. Il faut dire que la formule est bien rodée depuis le temps et chaque épisode ne l’affine généralement qu’à la marge, offrant ainsi aux joueurs exactement ce à quoi ils peuvent s’attendre.
D’ailleurs, comme dans les autres opus, ce sont les aventures d’Adol Christin, l’épéiste roux, que l’on suivra dans ces contrées du nord qui mettront en avant les Normans, inspirés, comme le titre du jeu le laisse entendre, des Vikings. Ainsi, comme d’habitude pourrait-on dire tant il est habitué à s’échouer sur une terre inconnue, Adol va se retrouver confronté à ce peuple guerrier au détour de l’abordage du bâtiment sur lequel il navigue et va faire la connaissance de sa future partenaire pour cet opus, Karja.
Mais pour les réunir, il fallait bien un prétexte. C’est alors qu’une horde de monstre attaque la ville dans laquelle notre héros avait trouvé demeure pour quelques jours. Des monstres immortels, les Grieger, que seuls quelques élus, détenteurs d’un mystérieux pouvoir, le Mana, peuvent occire. Coup de chance, Karja fait partie de ces élus, tout comme Adol qui a développé cette magie grâce à un coquillage parlant (et pourquoi pas ?).
Et puis, afin d’être sûr que nos deux héros soient bien contraints de faire équipe pour sauver les habitants de l’archipel de cette flotte d’immortels, les scénaristes d’Ys X: Nordics nous ont tissés un lien magique entre nos deux guerriers, les obligeant à rester en permanence proche l’un de l’autre. Bref, une introduction tout en heureux hasards qui sert surtout de prétexte à nous faire naviguer sur les flots de la baie d’Obélia et d’en visiter les nombreuses îles.
Malgré ces facilités introductives, l’histoire narrée s’est révélée assez prenante, même si la première moitié est poussive, ajoutant ci et là son lot de surprises et nous présentant des personnages qui, s’ils restent globalement des archétypes classiques de J-RPG, prennent en épaisseur au fur et à mesure que les enjeux se font plus sérieux. Du moins, pour les principaux, car la masse restera cantonnée à son rôle de pourvoyeur de quêtes ou d’objets. On n’échappe pas non plus à quelques poncifs éculés, et le fil narratif principal reste globalement cousu de fil blanc, mais le voyage importe ici plus que la destination et la trame dispose de suffisamment d’intérêt pour qu’on la suive avec plaisir.
Karja s’avère toutefois être un personnage particulièrement bien écrit. Si au début, elle nous donne plus l’air d’être une guerrière un peu basse du front, au gré de son évolution durant l’aventure et en en apprenant plus sur son passé, elle s’avère être une héroïne très attachante. Tout l’inverse d’Adol qui reste la coquille vide destinée à être le réceptacle de nos pensées héroïques. Un aventurier muet, binaire et pas bien intéressant, conséquence inévitable du fait que chaque épisode d’Ys doit se suffire à lui-même, et donc mettre en avant un héros parfaitement vierge de tout vécu et émotions.
Car rappelons que, si Ys X: Nordics est bien le dixième opus canonique de la licence, chaque épisode reste indépendant, à l’instar de Final Fantasy par exemple, et est en réalité une aventure racontée par un Adol du futur qui se remémore ses exploits passés. Cela n’explique toutefois pas pourquoi il se retrouve toujours niveau un au début de chaque épisode, sans équipements ni compétences, mais mettons ça sur le compte de son amnésie chronique.
La simplicité avant tout
Ys X: Nordics s’inscrit donc dans la continuité des précédents épisodes. Toutefois, cela n’empêche pas les équipes de développement de proposer diverses subtilités supplémentaires voire quelques nouveautés afin de ne pas trop lasser son public. Comme nous l’avons évoqué précédemment, on nous invite cette fois à voguer nous-même sur les flots locaux pour visiter les nombreuses îles alentours.
Ainsi, qui dit bateau, dit forcément combats navals. Et avec une flotte d’immortels à nos trousses, il aurait été absurde de ne pas nous proposer des affrontements sur mer en plus de ceux sur terre. De fait, il nous est possible de bombarder les navires ennemis voire même de les aborder afin de piller leurs trésors. Dans les faits, et principalement sur les premières heures, il s’agit surtout de tirer quelques boulets pour ralentir l’adversaire avant de s’en approcher pour lui décocher une salve fatale. Simple, efficace, mais pas bien palpitant.
Heureusement, une fois qu’on commence à débloquer quelques capacités supplémentaires, des munitions spéciales, des boosts, etc. l’ensemble devient bien moins inintéressant et on prend même parfois plaisir à faire un petit détour de notre route principal pour aller casser du vilain. Certaines batailles s’inscrivent même dans une sorte de conquête de zone pour, in fine, afficher sur la carte les points d’intérêts alentours, façon tour d’un Assassin’s Creed.
Chaque activité proposée a son objectif s’inscrivant de manière plus ou moins naturelle dans le récit. Les individus sauvés ont leurs fonctions dans notre équipage et nous octroi de nouvelles possibilités. Car malgré ses atours graphiques datés, Ys X: Nordics reste un titre multipliant les activités et quêtes à accomplir afin d’offrir plus de possibilités pour combattre les Griegers tels que des compétences, des possibilités de concocter des plats et potions, ou simplement des équipements plus performants.
Encore une fois, tout est très simple. Mais le titre a beau mettre à notre disposition de nombreuses options de jeu, notamment via un arbre de compétences personnalisable, il n’en est pas plus riche pour autant. On l’a évoqué pour la navigation, pas bien glorieuse durant une bonne partie du jeu, mais on peut aussi parler de l’insipide mini jeu de pêche ou de l’inutile amélioration de l’équipement qui deviendra de toute façon obsolète rapidement.
Alors effectivement, cela a pour avantage de nous éviter des heures de tutoriels indigestes et de directement nous mettre dans le bain, mais, au final, on fini par très vite faire le tour des possibilités et presque à nous lasser, nous inscrivant dans une certaine monotonie ludique. C’est bien, certes, mais c’est un peu toujours pareil de la première à la dernière minute.
La meilleure attaque, c’est la défense
Viennent alors les combats à proprement parler, lorsqu’il faut cesser de faire parler la poudre des canons pour en revenir à l’acier aiguisé de l’épée et de la hache. Ys X: Nordics a une proposition assez atypique sur ce point, nous mettant uniquement aux commande de ce duo qui ne forme presque qu’une seule entité manette en main. En effet, si Adol et Karja disposent bien de compétences individuelles, c’est lorsque l’on combine leurs forces, pas simple pression d’une gâchette, qu’ils sont véritablement efficaces.
Les coups pleuvent alors au gré de notre matraquage de bouton, nous offrant des affrontement ultradynamiques assez cathartiques. Pour autant, et aussi bourrin soit-il, le système de combat prône la défense et la contre-attaque. Selon le type d’assaut de l’adversaire, on peut soit l’esquiver de manière quasiment automatique, octroyant parfois même une possibilité d’attaque critique, soit la défendre, alimentant alors une jauge de « vengeance ».
Tout le système de combat tourne autour de cette jauge. Ainsi, en défendant, en absorbant pourrait-on même dire, l’attaque adverse, un multiplicateur s’incrémente, permettant à la prochaine compétence spéciale employée de bénéficier de dégâts démultipliés. Un système astucieux, rendant la plupart des combats plutôt excitants, même si les derniers adversaires du jeu, très « sac-à-PV », lui mette un peu de plomb dans l’aile.
Globalement, on a adoré combattre les monstres d’un bestiaire plutôt réduit, mais intéressant, avec de vraies différences entre chaque ennemi, même s’ils s’abordent tous plus ou moins de la même manière. On prenait un plaisir malsain, à l’arrivée sur une nouvelle île, à l’explorer de fond en comble, en quête des trésors à y débusquer, bien sûr, mais aussi à réduire en bouillie tous ses maléfiques occupants.
Même lorsque l’on retourne sur une ancienne zone afin de récupérer quelques objets inaccessibles auparavant (du fait d’un pouvoir que nous n’avions pas encore débloqué par exemple), on prend à nouveau plaisir à massacrer tout ce beau monde, quand bien même leurs niveaux seraient bien inférieur.
Un système particulièrement plaisant donc, où on n’est finalement peu amené à se creuser la cervelle dans des stratégies complexes qui se trouve peut-être même être un peu trop performant, celui-ci étant très en faveur d’un joueur virtuellement presque invincible. À plusieurs reprises durant l’aventure, nous avons été combattre un Grieger normalement bien trop puissant pour nous, avec vingt voire trente niveaux de plus que notre duo. Et pourtant, en s’armant de patience et de quelques potions de soin, son trépas était inévitable.
Un exemple qui permet d’illustrer un niveau de difficulté, à quelques passages près, très abordable (en normal du moins, des niveaux de difficulté supérieure étant disponibles). Et puis, si jamais on bloque sur un boss par exemple, le titre nous laisse la possibilité de le réaffronter dans une version moins résistante. Bref, tout est fait pour que la frustration soit la moins présente possible et pour, au final, prendre un maximum de plaisir à massacrer ces hordes de Grieger.
Vous l’aurez sans doute compris, Ys X: Nordics est un très chouette J-RPG dans la droite lignée des précédents. Si l’on devait le comparer à ses ainés, on le situerait néanmoins un peu en deçà des deux derniers opus, la faute à une histoire qui peine à vraiment démarrer, des personnages secondaires en retrait et à la navigation, très frustrante sur les premières heures. Pour autant, grâce à son système de combat addictif, et à l’écriture de Karja, nous avons fini par nous plonger corps et âme dans cette nouvelle aventure de l’épéiste roux.
Il est d’autant plus dommage que cette saga, née en 1987 tout de même, soit toujours aussi secondaire dans le paysage vidéoludique, même si elle sort peu à peu de son obscurité. Mais dans une industrie obnubilée par les grosses productions et quelques indés grandement médiatisés, nous avons l’impression que ces licences moins populaires n’y ont plus vraiment leur place, ou du moins que leur avenir est compromis.
Car c’est bien là le danger pour ces AA qui restent cantonnés à leur niche sans chercher à la surprendre. Les formules stagnent, et finalement périclitent au fur et à mesure que les années passent et que les joueurs évoluent eux. Devant une telle profusion de jeux de qualités, avec de nouvelles idées ou des apports technologiques repoussant les limites du média, les propositions les plus éloignées de ces deux sphères ont elle une chance de perdurer à l’avenir ?