La France, histoire d’un pays mené par la contestation et le sang versé. S’il ne fait aucun doute qu’à chaque moment, un élan contestataire apparaît dans nos frontières, citons par exemple la très actuelle crise des gilets jaunes, il n’en est pas moins que la crise qui aura le mieux marqué notre histoire, voire l’Histoire, reste celle des sans-culottes. Et qui de mieux pour nous conter cette troublante étape qu’un regard extérieur ? C’est en effet le studio Polyslash, le studio responsable de Phantaruk, qui s’attaque à ce pan de notre histoire en nous offrant d’y prendre part d’une manière singulière. Cependant, si le titre évoque un moment crucial de notre passé, comment se déroule le voyage ? Qu’attendre de We. The Revolution ? À qui peut-il bien s’adresser ?
We. The Revolution – Bien dégagé derrière les oreilles
Montagnes russes sociales
Vous estes le citoyen Alexis Fidèle, juge dans la Cour de Justice de Paris, dont le vice de la boisson et des jeux ruine la réputation. Ragots et autres balivernes pèsent sur vous mais là n’est pas le propos, du moins, il ne l’est plus. La tension monte dans Paris et vous estes au cœur d’un échiquier grandeur nature, pris à parti entre les différentes factions, en proie à la noblesse désireuse de conserver ses privilèges, au peuple assoiffé de sang et aux révolutionnaires bercés d’idéaux de justice. Néanmoins, encore et surtout, pris en tenaille par votre propre famille, dont chaque membre a ses aspirations et le jugement lourd. Et comme dans le quotidien, il va vous falloir jongler. Après tout, pourquoi ne pas en profiter pour tenter de tirer votre épingle du jeu ?
Oui, l’accroche semble lourde et appuyée mais la période ne l’est-elle pas elle-même ? Alors que Paris se mue et que ses fondations tremblent, vous allez devoir remplir votre contrat, juger aussi bien le noble que le veule, et prendre soin de ne pas vous mettre à dos les différentes castes de la populace. En effet, il vous faudra vous appliquer dans votre jugement et prendre les bonnes décisions, suivre les camps et les envies des dominants ou prendre des risques afin de vous démarquer, et par conséquent risquer que la justice, sous la forme d’une lourde lame de fer, ne s’abatte sur votre nuque.
Autant le reconnaître tout de suite, l’esthétique ne sera pas le point dominant de l’oeuvre. Ne nous faîtes pas dire ce que nous n’avons pas dit, We. The Revolution jouit d’une direction artistique très soignée. Le style bande dessinées dont les traits sont marqués et anguleux, couplé aux couleurs ternes, teintées de brune et de rouge, donne vraiment une impression poisseuse qui rappelle forcément les tons sepia relatifs au passé et les teintes sanglantes d’une révolution en marche. Mais ce n’est franchement pas dans l’austérité quasi-arthritique des menus que le titre trouve son salut. Et des menus, il y en a foison. Ce format étant principalement narratif, l’intrigue se déroule par le biais de fenestres et s’illustre au travers de jauges. Et si c’étoit justement pour que vous puissiez mieux vous concentrer sur le récit et ses enjeux ?
Des mots et des hommes
Et les enjeux sont importants. Effectivement, si vous commencez votre partie affrontant la sévérité des commentaires sur vos addictions, les jugements s’enchaîneront rapidement et vous placeront dans le siège de l’ascenseur social, promis à un brillant avenir si vous ne trébuchez pas en route. Et donc dans un premier lieu, il va vous falloir bien apprendre votre travail. Le Tribunal, qui représente la partie cruciale au commencement, vous somme de lire méticuleusement les pièces à conviction et de soulever les questions à poser. Attention toutefois, vous n’avez le droit qu’à quelques erreurs et les enchaîner limitera le nombre d’interrogations disponibles, limitant ainsi les possibilités d’obtenir le jugement voulu.
Car oui, vous n’estes pas contraint de poser toutes les questions mais pouvez sélectionner celles qui vous permettront d’acquitter ou d’inculper quelqu’un, en fonction du dénouement désiré. C’est ainsi que vous pourrez équilibrer vos rapports entre les différentes forces en jeu. Et si on se prête tout d’abord à la plaisanterie ou à faire Justice de manière équitable, une fois notre tête à la merci de la guillotine, on se montre plus prudent quant à nos décisions. Enfin, il vous faudra quand même répondre à certaines questions que vous impose le rapport, rapport qui sera ensuite noté par vos responsables et qui atteste de la besogne accomplie et de la compréhension des affaires en cours. Et si vous ne le faites pas convenablement, vous connaissez la sentence…
Mais ça n’est pas tout. Les jugements et les choix ne se dessinent pas que dans la cour. Chacun de vos choix est politique et tous vous imposeront concessions et souplesse. En effet, si votre labeur va, tout d’abord, se cantonner à gérer les affaires courantes, une fois la marche de l’Histoire lancée, le simple fait de passer une soirée au théâtre pourra avoir de l’influence sur votre vie. Des choix vous seront imposés afin de renforcer vos lien avec votre famille, puis sur la vie courante parisienne et enfin, sur l’échiquier politique, vous forçant à vous attirer la sympathie du plus grand nombre de quartiers possibles.
Plus de soutien équivaut à plus de pouvoir et il vous faudra donc vous entourer de servants et d’hommes prêts à s’encanailler et débattre pour vous, et assumer de plus en plus de rôles. Et il vous faudra les assumer afin de débloquer divers lieux, ces derniers vous permettant d’accroître encore plus votre influence et de pérenniser votre statut au sein de la vie politique parisienne.
Le carnet des doléances est ouvert
Et c’est bien là que la force de We. The Revolution réside : vous estes bien le cœur de l’intrigue. Dans toutes ses manigances empruntes de sentiments humains, de choix dont vous estes l’instigateur et des conclusions qui en résultent, on ressent clairement la besogne réalisée par les auteurs dans la conception de ce ludiciel (ouvrage si vous souhaitez rester dans le ton). L’écriture est soignée et élaborée et retranscrit à merveille les conséquences de nos choix sur l’intrigue, n’hésitant pas à user de thèmes sinistres, mis en scène graphiquement par le biais de phases d’animation à chaque moment tournant, plongeant le joueur dans les tumultes de ses choix au rythme des chapitres, bercé par la voix glaciale du narrateur (qui, tristement, parle en anglais). Non seulement, le titre nous incite à réfléchir très sérieusement à l’impact de nos décisions mais nous les fait payer, aussi bien par les réactions de notre entourage et des factions en lice, que par un système de malus persistant, réduisant nos possibilités lors de la prise de territoire.
Seulement, si autant de travail a été accompli pour réunir et compiler sous le même giron autant d’informations, il auroit été sympathique de présenter à l’utilisateur une partie de ce savoir en proposant une sorte d’encyclopédie une fois le jeu complété. Non seulement il pourrait offrir au joueur la possibilité de s’amuser à faire l’expériences des dénouements possibles mais également de découvrir des routes alternatives, surtout en ce qui concerne donner une 2ème chance à ses gens dont le sang a marqué notre histoire. Il s’agit réellement d’une complainte minime en revanche et rien ne vous empêche de mener vous-même l’enquête et de vous instruire de votre chef quant aux décisions qui furent prises par le passé.
Ce qui est moins minime en revanche, c’est malheureusement la multiplication des jouabilités. Si le jeu se prête bien à l’exercice, vous permettant de passer tantôt de juge à politicien, puis de politicien en petit général, vers la fin du jeu, là où tout les éléments finissent par se superposer les uns aux autres, l’expérience peut sembler alourdie et les enjeux, moins clairs. Entre les passages au Tribunal et la gestion des quartier de Paris, prise entre invasions et affrontement de milices, la jouabilité devient confuse et les décisions que vous prenez perdent de leurs tranchants.
We. The Revolution est un des jeux les plus graves qu’il nous ait été donné de découvrir. Il est avant tout un titre honnête qui se présente sans artifice et fait vivre à son utilisateur une aventure des plus riches dans une des périodes les plus troubles de notre passé, un moment crucial de l’Histoire de l’homme qu’il dépeint de multiples couleurs de gris. Polyslash nous offre ici une expérience captivante et sans concession au cœur de cette fresque et de ces manigances, et si son esthétique et son austérité apparente semble peu engageantes, le récit et les enjeux eux, sauront vous garder sur le bord de votre siège, prêts à danser sur le fil tranchant de la lame de la guillotine qui n’est jamais trop loin de votre nuque.
We. The Revolution est un titre superbe et audacieux à mettre dans les mains de tout fan d’enquête, et pourquoi pas, à des non-joueurs, férus de littérature et d’Histoire.