Tropico 6, pour ceux qui ne connaissent pas la licence, est un jeu de gestion ou plus précisément un city-builder, proposant de prendre le contrôle d’une île – ou en l’occurrence un archipel – des tropiques pour la faire prospérer à travers les âges. Le dernier épisode en date, le cinquième, est sorti il y a presque cinq ans maintenant et hormis un DLC axé sur l’espionnage paru en 2016, la franchise s’est faite plutôt discrète depuis.
Tropico 6 était donc attendu au tournant, promettant de revoir et de moderniser une formule qui stagne depuis le troisième volet, sans pour autant trahir l’essence de la saga pour ne pas perdre cet humour décalé qui a fait la renommée de celle-ci. La grande nouveauté étant ici que Haemimont Games, développeur historique et depuis parti voir ce qu’il se passe sur Mars, a laissé sa place au studio allemand de Limbic Entertainment.
Tropico 6 – La noix de coco à moitié pleine
Le principe de jeu de Tropico 6 est absolument le même que celui de ses prédécesseurs, à savoir gérer et faire prospérer une île depuis l’époque coloniale jusqu’à l’ère moderne. Pour ce faire, et éternellement dans la peau de El Presidente, il faut dans un premier temps s’émanciper de la Couronne en déclarant son indépendance et ensuite mettre en place un réseau politique et économique fort, tout en prenant soin de son peuple pour le rendre heureux.
Cela commence par savoir construire son économie et bâtir les prémices de ce que sera sa ligne politique pour les années à venir. Plantations, ranchs, premières industries et commerce extérieur seront vos premières armes pour cela. La gestion de la population et de son bonheur est toujours une composante importante de Tropico. Il incombe donc de construire des logements en nombre, de pourvoir aux besoins alimentaires et de loisirs du peuple, mais aussi leur apporter des diverses autres satisfactions comme celles liées au travail ou à la santé.
Là encore, Tropico 6 est d’un classicisme déconcertant. Les outils n’ont pas changé et la façon de construire son empire tropical ne surprendra pas les joueurs chevronnés. D’ailleurs, les reproches que l’on faisait à un certain Tropico 5 sont toujours d’actualité, on manque clairement d’outils pour comprendre ce qui va ou ne va pas dans notre nation et surtout quelles sont les solutions pour remédier à nos problèmes.
Le souci c’est qu’eux aussi ne sont pas nombreux et hormis réduire le budget de certains bâtiments ou exporter au plus haut prix, rien n’est vraiment fait pour s’en sortir avec une politique économique intérieure entreprenante, même les décrets deviennent assez inutiles sur ce point précis au bout d’un certain temps.
Néanmoins, contrairement à Tropico 5 qui multipliait les menus et onglets à ne plus savoir qu’en faire, l’interface est ici épurée et bien plus lisible. Toutes les données économiques et de bonheur de nos citoyens sont réunies dans un almanach facile de prise en main et aussi clair que de l’eau de roche. Croyez-le ou non, il s’agit là d’une avancée majeure tant accéder à ce genre d’informations était peu pratique auparavant.
Le système de filtre finit lui par compléter les données, permettant de repérer les zones nécessitant le plus d’attention avec un code couleur intuitif.
Question accessibilité cela se pose là et permettra aux joueurs ne souhaitant pas se farcir une ribambelle de chiffres de s’en sortir, mais d’un autre côté les autres fans de micro-gestion n’y trouveront à aucun moment leur compte, car tout ceci reste trop sommaire et approximatif pour être pertinent sur le long terme et lorsque notre population dépasse un certain seuil.
Le guide de l’imparfait petit microgestionnaire
On a alors souvent du mal à comprendre pourquoi nos citoyens sont mécontents et de quoi ils manquent réellement, on peut par exemple avoir trois cliniques couvrant cinq immeubles qu’ils seront toujours insatisfaits des soins alors que la zone est verte en couverture sanitaire. Il manque la petite information en plus qui nous permettrait de cibler les problèmes en détail et de les résoudre.
Et tout ceci, comme ce qui suit, sont des tares que l’on reprochait déjà à l’époque du cinquième épisode et qui n’ont pas été corrigées.
Tropico 6 se montre franchement assez incohérent sur tout ce qui est gestion de population et impose de devoir inlassablement construire les mêmes bâtiments pour satisfaire les besoins de ses habitants. Si bien que cela dérègle forcément notre économie lorsque l’on est obligé de mettre en place quatre ou cinq tavernes et autres casernes de pompier.
On peut avoir une satisfaction globale à 90% et se faire quand même attaquer de l’intérieur par son peuple, de même qu’il arrive souvent que nos citoyens préfèrent dormir dans un bout de carton plutôt que de rejoindre l’un des nombreux logements vacants que l’on a construits. Peu importe ce que l’on tente de faire, et on a tout essayé, la seule solution consiste à bâtir à proximité directe du lieu de travail, ce qui invalide totalement notre plan d’aménagement du territoire.
Et pourtant on prend un plaisir certain a endosser une nouvelle fois le costume de El Presidente. Gérer notre république bananière comme on l’entend et faire les choix qui s’imposent pour devenir un état riche et prospère, quitte a restreindre les libertés de notre peuple. Les magouilles politiques diverses et variées comme les pots de vin, les assassinats ou encore l’internement sont toujours de la partie et sans être obligatoires, elles donnent le ton sur la personnalité de votre dirigeant en herbe.
De même qu’on retrouve le système de compte en Suisse et de recherche introduit dans Tropico 5. Tout ceci s’est tout de même vu retouché et bien que classique encore une fois, on plie devant Tropico 6 et on se laisse porté par le chant des mouettes et l’appel du devoir.
Que dis-je ? Un archipel !
D’autant plus que derrière ce classicisme affiché et assumé, et cet éternel souci de micro gestion, se cache une petite nouveauté qui n’a l’air de rien, mais qui change pas mal de choses. En effet, ce n’est plus véritablement une île que l’on gère dans Tropico 6, mais plutôt un archipel d’îles et ceci à son importance, car cela permet de spécialiser ses différents territoires en prenant en compte les ressources qui y sont disponibles.
Cela s’accomplit de manière parfaitement naturelle. Oublier l’exploration des terres sauvages avec une garnison pour découvrir les différentes richesses de notre sol, puisqu’ici toutes les informations sont accessibles dès le début. On peut alors dès le lancement de sa partie se fixer un cap à suivre et surtout penser l’aménagement de son sol, en dédiant des zones aux mines, d’autres à l’industrie ou encore aux plantations, tout en évitant que l’environnement urbain ne se retrouve trop enclavé dans des secteurs pollués ou agricoles.
Et c’est bien vu de la part de Haemimont, car non seulement on a plus d’espace pour construire son pays comme on l’entend, on peut même se permettre de faire plusieurs petites villes avec chacune un bassin économique et alimentaire, mais aussi tenter de se lancer dans diverses spécialisations sans avoir à tout détruire pour rebâtir à la place.
Ainsi chaque petite île peut être destinée à accueillir plus particulièrement un type de secteur d’activité, que ce soit celui du tourisme, de l’industrie ou de l’exploitation des matières premières.
Relier les différentes parties de son archipel est là encore d’une facilité déconcertante, on peut le faire via les voies maritimes, mais le plus simple reste tout simplement de le faire via la route qui se transforme automatiquement en pont lorsque l’on relie deux endroits séparés par l’eau, de même qu’il est possible de construire des tunnels sous les montagnes ou encore même des téléphériques.
La gestion des transports est un des très bons points de ce Tropico 6, la chose ayant vraiment été améliorée, avec même la possibilité d’avoir un aéroport.
Bien entendu, il faut tout de même prendre en compte la donnée du budget et surtout ne pas chercher à brûler les étapes. Car si Tropico 6 n’est pas plus difficile que son aîné, étant un chouïa trop simple d’ailleurs pour les amoureux de jeux de gestion, il n’est pas non plus permissif à l’excès.
Lancer de grands chantiers de construction partout sans faire attention aux attentes du peuple ou encore à la balance économique du pays n’est pas le plus viable des projets. Il faut savoir prendre son temps et réfléchir son avancée et non la rushée parce qu’à l’instant T on possède un bon pactole en banque, car cela peut très vite partir en vrille.
La campagne, ça sent bon
Bien évidemment Tropico 6 possède aussi une campagne longue et plaisante nous proposant de nous mettre dans les bottes de El Presidente pour accomplir divers objectifs. Ces derniers sont toujours cohérents avec l’ère dans laquelle on évolue et sont aussi un bel instrument pour se faire la main sur les nouveautés avant de se lancer corps et âme dans le mode sandbox. Cela manque peut-être un peu de tutoriel pour les non-initiés passé un certain cap, mais quelle joie de retrouver Penultino et ses éternels jeux de mots totalement foirés.
L’humour décalé de la franchise est toujours présent, les musiques aux forts accents cubains aussi, cela transpire les vacances et les dictatures militaires, cela sent bon le Tropico.
Néanmoins, si les objectifs principaux et les cartes sont en nombres et variés, on ne peut pas dire que les objectifs secondaires donnés par les divers personnages soient variés. Cela a sévèrement tendance à se répéter et lorsque l’on nous demande six fois de construire le même bâtiment, ça en devient franchement ennuyant. Heureusement que l’on peut s’en passer la plupart du temps et ne se concentrer que sur les missions des factions auprès desquelles on à le moins de popularité.
Il faut savoir que pour notre plus grand bonheur, El Presidente n’a plus a fonder une dynastie, cette obligation mal exploitée du cinquième volet ayant été purement et simplement supprimée. Reste que rien n’est venu remplacer ceci et que la gestion même de notre dictateur en puissance s’en retrouve amoindrie, on ne lui prête presque plus aucune attention, hormis lorsque l’on le créer ou lorsque l’on doit se faire réélire ou visiter un bâtiment donné.
Petite nouveauté, on peut maintenant personnaliser son palais des fenêtres à la cour arrière en passant par le type de revêtement mural que l’on souhaite et allant jusqu’à la couleur de notre lieu de résidence. Divers nouveaux bâtiments de gestions, touristiques et de loisirs sont aussi au programme, mais rien qui ne bouleverse pas la donne. Hormis peut-être la crique des pirates et toutes les autres bâtisses servant à l’espionnage et au vol des merveilles mondiales.
Vous avez bien compris, non seulement Tropico 6 introduit les merveilles à la licence, mais en plus on les vole. Alors on ne peut pas toutes les subtiliser, puisque l’on est limité à une par ère, mais elles ont toutes une utilité particulière. Certaines augmentent la foi, d’autre la santé ou encore notre puissance militaire pour défendre notre île, chose toujours aussi nécessaire et ce même si on désire être pacifique, car on se fait parfois attaquer sans n’avoir rien fait pour. Pour en revenir à nos moutons, ce système de vol se couple avec un volet espionnage plaisant et bien géré avec des points de raid.
Un petit mot s’impose sur le multijoueur que nous n’avons en toute transparence pas pu tester plus que cela. D’une part parce que nous avons été victime de nombreux crash et d’une autre parce qu’il n’a rien de bien original finalement. On partage tout simplement un bout de terre avec un ou plusieurs autres joueurs et cela vire quasiment toujours au conflit armé, ce qui est loin d’être la force première du jeu, ces derniers étant toujours aussi peu inspirés et sur lesquels on manque cruellement de contrôle.
La beauté du décor
Un point technique s’impose avant de conclure ce test de Tropico 6. Ce dernier tourne sous Unreal Engine 4 et a abandonné quelque peu son côté cartoon pour quelque chose de bien plus conventionnel, mais pas dénué d’intérêt. Le jeu est très joli et ne souffre aucun ralentissement, même si quelques bugs apparaissent ici et là, le plus marrant d’entre eux nous concernant ayant été le modèle de personnage d’El Presidente remplacé par celui de sa voiture lors d’un discours sur son balcon. Ce sont de petites choses comme ça qui sont intervenues, rien de bien grave, hormis les quelques crash que l’on subit encore aujourd’hui et qui annihile toute progression.
Tropico 6 est un joli paradoxe. D’un côté on regrette très franchement que la formule ait très peu évolué et de l’autre on l’accueille tout de même à bras ouverts. Il faut dire que l’ambiance caribéenne et le ton propre à la licence sont toujours un régal.
D’autre part, même si possédant d’indéniables défauts, chaque partie est un plaisir et nous ne pouvons nier le côté addictif du jeu. Les quelques nouveautés font mouche, alors que transformer l’île en archipel est la vraie bonne idée qu’il fallait mettre en place pour redonner de l’intérêt à la licence, d’autant plus que l’interface épurée est devenue bien plus aisée de prise en main.
Malheureusement, Tropico 6 répète aussi les erreurs passées comme si elles n’avaient jamais existé. On aurait aimé une vraie réflexion sur le fond de jeu s’accompagnant de changements notables sur tout l’aspect micro gestion, car si la licence reste accessible au plus grand nombre, elle s’avère toujours aussi simple pour les initiés. Il est plus une sorte de condenser de tout ce qui fait la saga ce qu’elle est, avec forces et faiblesses, qu’une réelle révolution.
Tropico 6 est finalement un bon jeu de gestion qui saura ravir les fans de la licence autant que les néophytes au genre, mais pêche encore sur certains points trop importants pour lui permettre de manger à la table des plus grands.