Arlésienne du désespoir, Seiken densetsu 3 (Trials of Mana donc) fut sans aucun doute l’un des plus gros crève-cœurs pour toute une génération de jeunes et moins jeunes joueurs qui mordaient le J-RPG à pleines dents sur leur console 16 bits d’époque. Car après sa sortie japonaise en septembre de l’année 1995 sur Super Famicom, tout le monde s’attendait à ce que ce troisième volet de la saga Mana arrive quelques mois après sur nos terres impies d’Européens.
Mais voilà, malgré les tests d’imports parus dans les canards de l’époque, les superbes et divers articles sur le jeu écrits par de talentueux journalistes, nous ne vîmes jamais la bête se défaire des chaînes qui la retenaient dans sa prison dorée.
On espérait alors au moins une version américaine comme pour Final Fantasy VI par exemple, mais rien n’est venu. Secret of Mana ne se verrait pas offrir une suite pour nous autres, et ce fut le début d’une frustration qui dura un bout de temps, jusqu’en 2000 et l’apparition d’une traduction anglaise via un patch non officiel réalisé par un fan.
Mais c’est surtout en 2001, avec l’apparition d’une première adaptation en français réalisée par la fameuse équipe de Terminus Traduction, que toute une génération de joueurs a pu, grâce à l’émulation, découvrir l’un des meilleurs RPG japonais des années 90. En 2005, une dernière version voit le jour et rêve de tout fan, on pouvait même changer l’écran de titre du jeu et remplacer le Seiken Densetsu 3 par un iconique Secret of Mana 2.
En revanche, pour une traduction officielle du titre, il nous aura fallu attendre longtemps et la sortie de la compilation Collection of Mana sur Nintendo Switch l’année dernière, soit 24 ans après la parution initiale. Mieux vaut tard que jamais comme on dit et on n’a pas craché dans la soupe, surtout qu’elle était de très bonne facture. Seiken Densetsu 3 se vit d’ailleurs nommé pour l’occasion Trials of Mana et un remake fut annoncé dans la foulée de la sortie de cette compilation réunissant la trilogie originale de la licence.
Ce petit historique fait, il est temps de nous pencher sérieusement sur ce remake. Trials of Mana a des arguments, et de gros, mais n’est pas forcément à mettre entre toutes les mains. Il s’adresse avant tout aux fans de la licence et aux vieux routards du J-RPG. Les néophytes ou les plus jeunes auront peut-être du mal à se laisser embarquer dans cette aventure magnifique qui est l’une des plus réussies de son époque. Sauf qu’aujourd’hui, tout ceci a vieilli et si certaines choses restent pertinentes, beaucoup d’autres ne le sont plus.
Manastalgie
Commençons par le commencement. Trials of Mana nous embarque dans un énième sauvetage de monde par un petit groupe de protagonistes dont c’est le destin. Ils sont six et ont chacun un background détaillé qui motive dans un premier temps leur soif d’aventure avant de se réunir autour d’un but commun, c’est-à-dire récupérer l’épée Mana et sauver la création des ténèbres. Rien de plus simple, puisqu’une fée choisit notre personnage principal comme hôte et le guide afin de rejoindre l’Arbre Mana dans lequel ladite épée est plantée. Il faut au préalable, pour ouvrir le portail, récupérer les esprits élémentaires, gardiens des pierres Mana.
Classique, pas forcément dénué d’intérêt, mais terriblement simpliste. Square Enix n’a quasiment rien apporté de plus au pitch de l’original et si on peut toujours choisir son équipe en début de partie, soit trois personnages dont un principal, parmi les six, on regrette que ces derniers aient une psychologie finalement très sommaire.
Les dialogues et l’écriture en général sont restés ancrés en 1995 et à aucun moment le jeu ne fait l’effort de s’émanciper de son aîné sur ce point. Le travail de réécriture s’est arrêté le plus souvent à une simple retranscription, mais on note cependant une version française (des textes) très appréciable. On conseille d’ailleurs la version japonaise sous-titrée.
La bonne nouvelle est que chaque prologue de tous les personnages composant notre équipe de trois est jouable durant une même partie, celles des deux compagnons se parcourant via des flashbacks. Autre bonne nouvelle, la direction artistique sublimée par un moteur 3D qui, sans déménager, permet de retrouver l’univers enchanteur et élégant du jeu original de manière plus moderne.
On reconnaît tout du premier coup d’œil et même si encore une fois cela fait so 90s, ce n’est dans ce cas précis pas rebutant, bien au contraire. Il s’en dégage même un petit air de Dragon Quest appréciable dans le design des créatures et des personnages, tout en gardant une Mana touch enivrante.
C’est de ce point de vue une réussite indéniable, et ce, même si le monde que l’on parcourt est attendu tout du long avec la zone enneigée, celle dans le désert en allant du volcan aux plaines et forêts. Aussi, on ne peut par contre pas tirer notre chapeau à la réalisation technique. Clipping, animation rigide et d’un autre âge, mollesse dans la mise en scène et quelques ralentissements pour la version Nintendo Switch sont au programme. Sur PC, c’était déjà plus crédible pour aujourd’hui, le jeu tenant admirablement bien ses 60 images par seconde, mais globalement, tout ceci aurait pu tourner sur la génération précédente sans sourciller.
Manaless
L’autre principal défaut est à mettre sur le plan de l’ambition. Il en manque cruellement dans ce remake, et cela se voit, se sent et se ressent bien trop vite. Attachés à ne pas choquer les fans, les développeurs en ont oublié qu’un remake n’est pas une redite. Ainsi, l’écriture, pour revenir là-dessus, est bien trop bavarde, cela manque de narration visuelle, ce qui était pardonnable à l’époque et l’est beaucoup moins aujourd’hui.
Il faut dire que le moteur graphique n’aide pas, car il ne sert ni la mise en scène donc, ni la narration, car trop statique. Il ne permet pas de véhiculer d’émotions, les personnages sont alors comme auparavant obligés de dire ce qu’ils ressentent pour essayer de faire passer le message.
Et la construction même de l’aventure en pâtit. Cela manque de profondeur, c’est extrêmement rigide et très linéaire finalement, même lorsque l’on peut se servir de « véhicule » sur la bonne vieille world map à l’ancienne, mais en 3D que nous offre Trials. Il n’y a aucune quête annexe, si ce n’est celle de trouver les quelques petits cactus cachés dans les différentes zones, et la première partie du jeu se montre assez laborieuse. La seconde, s’apparentant à du boss rush, se veut, elle, plus rythmés et de bien meilleure facture.
C’est là le piège dans lequel est tombé Trials of Mana, il s’enlise dans son passé sans penser à son présent.
Chose qui se retrouve aussi du côté de l’exploration. On enchaîne zones urbaines, environnements extérieurs globalement satisfaisants, mais parfois assez vides, et donjons sans discontinuer. C’est la même routine tout du long et cela manque d’intérêt à la longue. Hormis les quelques coffres cachés ici et là, on ne peut pas dire que cela soit captivant, même si les donjons, eux, se montrent bien plus réussis, notamment parce que certains proposent quelques pièges et particularités intéressantes.
ManaRise
Mais voilà, Square Enix a tout de même assuré son système de combat. Dynamique et stratégique, il est en temps réel et veut tout miser sur la cohésion d’équipe et notre capacité à nous adapter à l’adversaire. On doit constamment être en mouvement, la défense se basant sur l’esquive, et chercher les points faibles des ennemis afin de les exploiter. Rien de bien compliqué, puisque hormis les boss, le bestiaire a franchement tendance à se répéter tout du long, avec quelques variations en fonction de la zone dans laquelle on se trouve.
Tout se joue sur l’équipe que l’on a composée et sur l’exploitation de ses forces tout en veillant à pallier ses faiblesses. Chaque personnage est affilié à un job, alors il faut veiller à l’équilibre de notre team. Utiliser des objets de soin lorsque c’est nécessaire quand on n’a pas de healer par exemple. Des raccourcis compétences et objets sont d’ailleurs une précieuse aide pour se faire. Au-delà de ça et des traditionnelles habilités et magies propres à chacun, des compétences uniques et spécifiques à la classe de chaque combattant peuvent être utilisées une fois les conditions remplies. Un petit plus réellement marquant qui dynamise encore un peu un système de combat réussi.
Si ce n’est qu’il manque à notre goût une plus grande synergie d’équipe. Pas de combos de groupe, ni même de coups spéciaux de la sorte, quel dommage pour un jeu nous permettant de switcher entre chaque personnage en temps réel et même d’établir de petites stratégies bienvenues pour automatiser certaines actions de l’IA et ce n’est pas du luxe, cette dernière étant bien trop attentiste et faisant parfois n’importe quoi, tombant raide morte à de nombreuses reprises bêtement.
Par contre, aucun grind abusif à l’horizon, et ce, en grande partie parce que le jeu est assez facile. Privilégiez la difficulté la plus haute dès le départ, car sinon vous sentirez vite passer les 25 à 30 heures nécessaires pour finir l’aventure à 100%. Oui, c’est assez court en l’état.
Enfin, il nous faut aussi parler du cycle jour/nuit en temps réel qui influe sur plusieurs facteurs, comme l’ouverture des magasins, le genre de monstres présents, ce genre de petites choses. Certaines quêtes demandent d’ailleurs une certaine temporalité, il est alors possible de faire une petite sieste en auberge pour faire passer le temps. Un petit plus bienvenu qui était déjà présent à l’époque et en disait alors long sur l’ambition du jeu.
ManaTech
Aussi, tout le système de niveau est très classique, il n’y a rien de spécial à en dire. En revanche, celui des compétences l’est beaucoup moins. On en débloque deux sortes dans les différents arbres proposés (et pas que…) et ils ont leurs particularités. Et on ne parle pas là de passives ou d’actives, non, bien que présents, mais de certaines ne bénéficiant qu’à un personnage seul et d’autres au groupe entier. Ainsi, des bonus d’équipe sont au programme et comme on ne peut utiliser toutes les compétences que l’on débloque, il faut bien faire des choix.
Choix qui interviennent aussi dans un autre domaine en lien direct avec la progression des personnages. Ce qui demande de choisir à des moments clefs de pouvoir changer et choisir une nouvelle classe pour son personnage. On a chaque fois le droit à deux possibilités, celles des ténèbres et de la lumière. Pas d’incidence sur le scénario, il s’agit là surtout d’un moyen de démarquer les propositions. Bien évidemment, tout ceci est soumis à condition, et il faut au préalable récupérer des objets spécifiques. Mais cette particularité de Trials of Mana fonctionne à merveille sur le papier comme manette en main.
Un mot sur l’équipement. Comme souvent dans le J-RPG, peu importe les pièces d’armures que l’on utilise, l’impact visuel est aux abonnés absents, sauf lors du changement de classe. Sans cela, seule l’arme équipée change de visu. Tout ceci s’achète d’ailleurs plus qu’on les trouve, hormis vers la fin du jeu. Il y a bien le système de graine à objets qui nous rapporte quelques objets uniques, mais globalement tout se monnaie.
Il est d’ailleurs dommage que des armes surpuissantes ne soient pas cachées ou gardées par des boss optionnels, mais cela rejoint le côté « pas de quêtes annexes du jeu ».
ManaPlus
Alors finalement, qu’offre de plus que son aîné ce Trials of Mana si ce n’est des graphismes en 3D et quelques apports sur le système de combat et d’expérience ? Eh bien, un new game +, une histoire annexe jouable une fois le jeu bouclé et faisant office de contenu end game avec même une classe supplémentaire pour tous les personnages offrant des capacités et compétences inédites.
N’oublions pas non plus une bande sonore réorchestrée qui tourne malheureusement un peu trop en rond et dont on attendait plus. Mais au-delà des quelques ajouts pertinents d’ailleurs, c’est l’occasion de découvrir presque en l’état l’une des roses rouges du J-RPG qui est appréciable.
Alors oui cela parlera plus à un certain public, mais Square Enix n’a jamais menti et caché ses intentions, et on peut donc leur reprocher une approche somme toute frileuse, mais la comprendre aussi, car on ne se sent en rien trahis par le résultat final.
Trials of Mana est de ces remakes qui ne paient pas de mine, mais réussissent leur mission sans démériter. Il ne s’adresse pas à un nouveau public, mais plutôt aux vieux croûtons des années 90, sans pour autant rejeter les néophytes. Bien plus réussi en tout point que le remake de Secret of Mana, le jeu nous propose une aventure dense et riche, un brin courte et facile néanmoins, mais incroyablement prenante. Ceci grâce notamment au système de combat efficace et dynamique. Il y a certes à redire sur certains aspects du titre comme l’écriture ou encore une première partie mollassonne, mais ce n’est en rien rédhibitoire.
Trials of Mana, c’est le parfait petit J-RPG qui se savoure comme entremets entre deux gros mastodontes du genre. Le petit plat de grand-mère que l’on savoure un dimanche midi entre deux fast food, ça ne paie pas de mine, mais c’est délicieux tant que l’on n’est pas trop regardant sur la forme.