Avec des moyens plutôt modestes et une équipe réduite, Trek To Yomi a réussi le tour de force d’être l’un des jeux les plus attendus de ce mois de mai. Il faut dire que les premiers visuels en noir et blanc, façon « Kurosawa Mode » de Ghost of Tsushima, ont impressionné autant qu’ils ont intrigué. Avec la palette de couleurs (ou plutôt d’absence de couleurs), le jeu de Leonard Menchiari partage aussi le background du jeu de samouraï de Sucker Punch. Il sera là encore question du Japon médiéval, et d’honneur à retrouver par la voie du sabre. Notre titre ne fait aucun mystère : Trek To Yomi est une grande réussite.
(Test de Trek To Yomi réalisée sur Xbox Series X via une copie commerciale du jeu)
Sabré comme jamais
On l’a dit d’emblée, et c’est aussi ce qui nous attrape lorsqu’on lance Trek To Yomi : la direction artistique. L’identité visuelle du jeu est aussi bluffant que fascinante. On pourrait presque dire que tout est dans le style, si cela ne risquait pas d’être lu comme une critique un peu négative. Un style qui nous happe et ne nous lâchera pas avant la fin de l’aventure. C’est simple. Quand on n’est pas trop occupé à découper nos ennemis en rondelles, on passe notre temps à prendre des captures d’écran ou à faire reconnaître à notre entourage non joueur que « franchement, on ne dirait pas un film ?! ».
Parce que si, on dirait un film. Trek to Yomi nous emmène droit dans un film de Kurosawa, avec photos, distances focales, et grain de pellicule. Notre personnage ne se déplace pas à l’écran, mais sur la pellicule. C’est tout bonnement confondant, et il faut y jouer pour le croire. C’est non seulement magnifique, mais aussi très malin, car grâce à ce choix artistique, l’équipe arrive à un résultat visuel photoréaliste, éclairé d’une photo superbe, avec des moyens bien plus réduits qu’un Red Dead Redemption II, qui lui aussi nous faisait entrer de plain-pied et de façon très réussie dans l’esthétique d’un certain cinéma.
Ainsi, grâce à des flous au premier plan, ou à une image granuleuse, on produit l’effet pellicule, et on dissimule avantageusement des textures ou des modèles 3D peut-être un peu moins détaillés qu’ils n’y paraissent. Ou comment faire d’une faiblesse une force – une leçon peut-être empruntée aux arts martiaux traditionnels. Ou à un post de développement personnel publié sur LinkedIn. C’est aussi une technique très cinématographique, qui rappelle les villes reconstituées en studio où les bâtiments n’ont que leurs façades, ainsi qu’en parle Leonard Menchiari dans une interview :
« La caméra fixe et les plans de côté sont autant d’astuces pour concentrer l’attention sur quelque chose de précis, sans avoir à reproduire l’intégralité des détails d’une scène. C’est comme en studio de tournage. Cela permet de construire l’environnement beaucoup plus facilement, et permet de réduire aussi le budget de façon importante ! »
Cinematographic platformer
Ce concept n’est pas une première pour Leonard Menchiari, le roublard de génie derrière Trek To Yomi. On se souvient ainsi de son précédent titre The Eternal Castle [REMASTERED], un jeu de plateforme rétro qui singeait les titres de l’époque ZX Spectrum, sorti début 2019. Là encore, claque visuelle, mais dans un autre genre, le gros pixel.
Les deux jeux partagent d’ailleurs la même étiquette : le cinematic platformer. Aujourd’hui, quand on dit cinematic platformer, on pense surtout aux jeux de Playdead (Limbo, Inside). Mais le genre remonte à beaucoup plus loin, à 1991 avec Another World d’Eric Chahi, et même 1989 avec Prince of Persia, l’original de Jordan Mechner.
Le cinematic platformer a pour caractéristique (parmi d’autres) de présenter une animation « réaliste », et propose souvent une alternance de plateformes et d’énigmes. Dans Trek to Yomi, si le réalisme est un modèle du genre, les plateformes et énigmes sont remplacées par des phases de combats en 2,5D relativement exigeantes. Notez le « relativement », qui vient souligner que si ces affrontements sont plus relevés que traditionnellement dans le platformer (il ne s’agira pas juste d’atterrir sur la tête des ennemis façon Mario), on est toutefois à mille lieues d’un Souls-like, même si notre personnage possède une barre d’endurance.
Les mécaniques sont un peu limitées, et se renouvellent juste ce qu’il faut tout au long des cinq à six heures que dure le jeu pour ne (presque) pas tomber dans la redondance. Notre personnage apprendra ainsi peu à peu de nouveaux mouvements et enchaînements qui enrichiront les combats au fur et à mesure que les ennemis deviendront plus coriaces. On n’échappe toutefois pas à une certaine répétitivité propre aux beat ‘em all.
Plus que cinematic platformer, Trek to Yomi pourrait ainsi être qualifié de cinematographic platformer. Le cœur du jeu est dans le spectacle qu’il propose. Dont on est acteur, certes, car cela reste un vrai jeu vidéo d’action, mais un peu trop classique pour se reposer sur ses mécaniques. C’est vraiment sur ce pastiche de classique du cinéma japonais des années 1950 que tient le jeu.
Combats sanglants et culture gé’
Néanmoins, Trek to Yomi n’est pas que de l’esbroufe. Parce que le contexte est le Japon médiéval, Leonard Menchiari et les Polonais de Flying Wild Hogs (Shadow Warrior 3), avec qui il s’est associé pour développer le jeu, ont fait appel à de vrais spécialistes japonais. Un historien japonais a ainsi validé le contenu du jeu et aidé à ce que les dialogues (en japonais, sous-titrés en français) « sonnent » d’époque, et un orchestre traditionnel japonais a enregistré la bande originale.
L’histoire mélange le conte de samouraï traditionnel, avec une histoire d’honneur à venger, et le mythe fondateur à la Orphée, puisque notre personnage descendra jusque dans les entrailles de la terre pour retrouver son honneur et sa bien-aimée. Là encore, l’accent a été mis sur le respect de la culture citée dans l’interprétation et la représentation à l’écran du « Yomi », sorte d’équivalent shintoïste de l’Enfer.
Si Ghost of Tsushima nous vient naturellement en tête à l’évocation de la sortie de Trek to Yomi, les deux jeux sont pourtant radicalement différents. Ils n’ont en effet en commun que le « Kurasawa Mode », gadget essentiellement prévu pour le mode photo du jeu de Sucker Punch, qui devient dans Trek to Yomi le cœur de l’expérience. Le jeu nous plonge en effet au cœur d’un film de sabre de la première moitié du XXe siècle d’une façon bluffante : on joue à un film !
Des jeux comme les productions Quantic Dream ou Supermassive Games sont souvent qualifiés (avec un peu de mépris dans la voix) de « cinéma interactif ». Trek to Yomi propose lui une nouvelle façon pour le jeu vidéo de s’emparer du 7e art, sans renoncer à son état vidéoludique. Chapeau (de paille) !