ToeJam & Earl: Back in the Groove est le remake (encore un) d’un titre de la génération 16 bits qui avait su surprendre par son originalité et sa réussite. Devenu depuis culte, l’annonce de son retour sur les machines actuelles a eu son petit effet madeleine geek. Mais le défi est de taille : comment un remake peut-il espérer se montrer original ou surprenant ? Greg Jonhson, le créateur du jeu, très investi sur ce nouveau projet, peut-il répéter son exploit, ou ne va-t-il s’adresser qu’à une génération vieillissante de joueurs nostalgiques ?
(test de ToeJam & Earl: Back in the Groove réalisé sur PlayStation 4 via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
« I wouldn’t be here today / If the old school didn’t pave the way » (2Pac – Old School)
Pour parler de ToeJam & Earl: Back in the Groove, il faut repartir presque trente ans en arrière, en 1991. C’est à cette époque qu’est sorti le tout premier ToeJam & Earl, sur Megadrive. Quand le jeu arrive, on ne sait pas trop quoi en penser. Le titre n’est ni un jeu de plateforme, ni un shmup, ni même un RPG, encore moins un beat’em all, genres qui dominaient alors de manière écrasante le marché des jeux vidéo.
Quand on lance la cartouche (non sans avoir soufflé dedans auparavant !), on ne sait pas trop ce qu’il faut faire. D’autant que les niveaux ne sont jamais les mêmes, puisque créés de manière procédurale, quelque chose dont on n’a pas encore vraiment l’habitude au début des années 90.
On est donc un peu perdu, mais graphiquement, on est bluffé : c’est coloré, très bien animé, et surtout, c’est fun. Plein de gags, de clins d’œil, et de références (déjà) à la pop culture. Le titre ne ressemble à rien de ce qu’on connait (alors que Greg Johnson a conçu le jeu avec en tête l’image très claire de Rogue, père de tous les jeux procéduraux), et les critiques ne s’y trompent pas : ToeJam & Earl reçoit de très bonnes notes dans la presse de l’époque. Voici par exemple ce qu’en disait J’M Destroy dans le tout premier numéro du magazine Joypad, en septembre 1991, dans lequel le jeu avait obtenu la très bonne note de 94% :
« La réalisation générale de ce jeu de SEGA est quasiment parfaite. Le scrolling est bon. Le graphisme, sans éclater des ronds de chapeaux est honnête, la bande sonore complètement délirante. On ne peut vraiment pas reprocher grand-chose à ce jeu qui tranche singulièrement par rapport aux autres productions sur cette machine. Complètement délirant dans son déroulement, vous pouvez bouffer des pizzas, utiliser des roller-skates atomiques, roter un bon coup. ToeJam & Earl est un jeu qui devrait vous faire passer d’agréables moments aux commandes d’extraterrestres ringards au possible. »
Lost in space
Comme en ’91, le jeu commence par un petit cartoon qui va nous présenter les personnages et le scénario. Si ce dernier est aussi clair qu’il est simple (voire simpliste), le système de jeu, lui, n’est pas évident. Aussi perdu que les personnages, on va le découvrir à la dure, en apprenant de ses échecs.
Chaque niveau est une sorte d’île flottant dans l’espace, peuplée d’individus amicaux ou dangereux. Le but de l’aventure est d’explorer ces niveaux pour retrouver les 10 pièces du vaisseau qu’on a crashé au début du jeu (d’autant que ce n’était pas le nôtre, de vaisseau…). Pour ce faire, il va falloir partir en exploration. Comme en ’91, le jeu est présenté en perspective isométrique, qui permettait à l’époque d’afficher en 2D une simili-3D.
Une mini-carte en bas à droite de l’écran nous indique la position du joueur, mais cette dernière est cachée, ne se découvrant qu’au fur et à mesure que les zones sont explorées (un peu comme dans un jeu Ubisoft pré-Far Cry 5). Si une pièce du vaisseau se trouve sur le niveau en cours (ce n’est pas le cas à chaque fois), une petite icône l’indique en haut de l’écran. Récupérer cette pièce devient alors l’objectif numéro 1 du niveau en question. Puis il faut ensuite trouver l’ascenseur qui mène à l’étage suivant.
La tâche sera compliquée par les occupants de chaque niveau, qui nous ont pour beaucoup pris en grippe. Dès que l’extraterrestre contrôlé par le joueur sera aperçu par un terrien, il se verra pourchassé, chaque contact avec un terrien inamical faisant diminuer drastiquement la barre d’énergie. Une barre d’énergie vide conduisant bien entendu à la perte d’une vie.
Pour échapper aux terriens, ToeJam ou Earl (ou l’une de leurs deux copines, qui deviennent pour l’occasion des personnages jouables) disposent de différentes solutions : courir, d’abord, évidemment, mais ils ne sont pas souvent les plus rapides ; se cacher dans certains éléments de décors, qu’on vous laisse découvrir (c’est un test, pas une soluce !), ou utiliser un cadeau. Les cadeaux se trouvent un peu partout sur les îles/niveaux, à découvert, ou à découvrir en secouant un peu les arbres et autres arbustes.
On ne sait jamais ce qu’on va trouver dans un cadeau avant de l’avoir ouvert, et d’en avoir lancé les effets, qui peuvent être positifs (courir plus vite, placer un leurre qui détournera l’attention des ennemis à vos trousses…) ou négatifs (par exemple la brûlure, qui met le feu au personnage principal, ne lui laissant que quelques secondes pour se jeter à l’eau…). Chaque ouverture de paquet est donc un petit pari en soi. Par contre, les mêmes types de paquets renferment les mêmes types d’objets. Il ne faut faut donc prendre le risque qu’une seule fois.
Les îles ne sont pas toutes peuplées que de créatures agressives, et certains habitants sont là pour vous aider à progresser. Ainsi, un vieux sage, sorte de Tortue Géniale déguisé en carotte (Carotte Géniale ?) vous permettra d’améliorer vos stats (vitesse, santé…) pour peu que vous ayez assez d’expérience. Otis, lui, vous laissera, via un mini-jeu de rythme, grappiller les quelques dollars qui vous permettront, par exemple, d’acheter les services de la cantatrice viking (son chant redoutable élimine tous les ennemis aux alentours), tout comme le groupe de rôlistes qui, sur un lancer de Dé 20, vous proposera également de vous enrichir un peu…
Tu connais celle de l’alien qui… ? Oui ? Ah…
Le jeu, plutôt fun, est bourré d’humour et de clins d’œil. Pas forcément facile, son gameplay possède le feeling des jeux rétro, punitif et parfois frustrant, mais pas assez pour qu’on abandonne. Si on peut sauvegarder une partie à n’importe quel moment, un « game over », sentence irrévocable, viendra du même coup effacer cette sauvegarde et vous forcer à tout recommencer du début. La sauvegarde n’est ici qu’un palliatif à la console qui reste sur « pause » pendant le repas ou la journée d’école ! Ce qui permet au titre d’avoir une durée de vie acceptable, puisqu’il ne faut compter que deux petits heures pour un run réussi.
Attention ! Deux petites heures, à condition de réussir à réunir les 10 pièces de vaisseau du premier coup. Mais il y a fort à parier que vous verrez quelques « game over » avant d’y parvenir ! D’autant que les derniers niveaux sont particulièrement corsés, les ennemis y étant plus nombreux, plus gros, plus rapides et plus dangereux (le prix du plus gros « ragequit » va allègrement au joueur de foot US, qui en un seul plaquage vous fait perdre une vie ; alors quand c’est la dernière… Les camions sont spécialement énervants aussi).
Le jeu démarre avec un mode « niveaux fixes », c’est-à-dire non aléatoires. Le mode aléatoire ne s’ouvre qu’après avoir atteint le niveau 10 en « fixe ». C’est l’une des différences notables avec le ToeJam & Earl original, qui ne se jouait qu’en procédural. D’ailleurs, les différences avec son aîné, c’est le principal souci du jeu : il n’y en a presque pas. Cette histoire de niveau fixe, donc, anecdotique ; l’ajout d’un mode multi online (alors qu’on est clairement face à un jeu qui devrait se jouer en multi canapé) ; et c’est tout. Pour le reste, c’est exactement le même jeu qu’en 1991. A tel point qu’on pourrait regretter le lissage graphique, tant le sentiment de jeu rétro aurait collé aux pixels très réussi de l’époque.
Si le style cartoon, un peu dans la veine de dessins animés comme American Dad, va bien à l’ambiance générale du titre, on se dit qu’après tout, le manque de moyens (on est très clairement sur une production indé) se serait peut-être moins vu si le style pixels 16 bits avait été conservé. D’un autre côté, servi en pixels, le jeu serait définitivement passé pour un portage plutôt que pour un nouvel épisode tant les nouveautés sont minimes (quelques nouveaux personnages, une nouvelle bande son…).
ToeJam & Earl: Back in the Groove possède bien l’esprit du jeu d’origine : difficulté à l’ancienne, humour potache, bande-son funky. Peut-être même un peu trop. Un joueur n’ayant pas connu l’age d’or des machines 16 bits n’y verrait peut-être aucun inconvénient, n’ayant pas fait le premier jeu, mais on lui conseillerait peut-être d’aller voir du côté de l’original. Les solutions sont nombreuses aujourd’hui pour qui souhaite redécouvrir les titres des années 1990. Sur un joueur plus âgé, le jeu pourrait agir tel la madeleine de Proust, faisant resurgir des souvenirs de gameplay d’il y a maintenant 30 ans. À conditions de ne pas y avoir rejoué depuis. Dans ce cas, ce ne sont que les défauts du jeu, manque d’originalité en tête, qui lui sauteraient aux yeux.
ToeJam & Earl: Back in the Groove n’est pas fondamentalement un mauvais jeu, le matériau de base était suffisamment solide pour en sortir à minima quelque chose de correct, mais on se demande un peu à qui il s’adresse ? En 1991, dans les pages de Joypad, AHL concluait sa critique réjouie du jeu par « Enfin du neuf ! « . En 2019, c’est exactement ce qui manque à ToeJam & Earl: Back in the Groove.