On le sait bien, on n’est pas vraiment tendres avec les titres estampillés Square Enix. Même s’ils ne sont pas toujours concrètement au développement, force est de constater que leurs éditions connaissent des fortunes diverses, et pas souvent pour le mieux.
Entre un Babylon’s Fall Fail en collaboration avec PlatinumGames sans doute empêtré dans un cahier des charges spécial multijoueur qui ne leur correspond pas, un indigent Valkyrie Elysium laissé entre les mains d’un studio sans moyens et un Strangers of Paradise nanardesque qui, bien qu’il propose un fond de jeu bigrement efficace, est loin d’atteindre les standards de qualité attendus aujourd’hui, l’éditeur japonais semble avoir perdu sa flamme qui l’a fait briller au firmament. Alors, quand Theatrhythm Final Bar Line a été annoncé, on oscillait entre joie et crainte quant au traitement de ce retour.
Cinquième épisode (déjà) de la saga musicale (l’épisode Dragon Quest, exclusif au japon, et la version arcade All Star Carnival étant peu connus chez nous), Theatrhythm Final Bar Line – qui ne s’est toujours pas trouvé de titre facilement prononçable (et orthographiable) pour nous autres européens – a été présenté comme le best-of de ce qui pourrait être proposé, le « Super Smash Bros Ultimate » des jeux musicaux Square Enix.
Mais qu’en est-il vraiment ? Sommes-nous face à un nouveau moyen de jouer sur la corde sensible des fans pour les faire passer à la caisse ou, au contraire, est-il, à son échelle, un cadeau aux fans historiques du studio, une sorte de rédemption en forme de promesse pour l’avenir ?
(Test de Theatrhythm Final Bar Line sur PS5 réalisée à partir d’une copie fournie par l’éditeur)
Un retour en fanfare
S’il y a un point sur lequel la plupart des jeux Square Enix – et a fortiori les Final Fantasy – sont inattaquables, c’est bien au niveau de la bande-son. Même les décriés treizième et quinzième opus de la mythique série de J-RPG disposent d’une OST remarquable. Nobuo Uematsu, Yoko Shimomura ou Masashi Hamauzu ne sont que quelques compositeurs qui ont eux aussi, par leur talent, forgé la réputation d’excellence du studio japonais. Alors, créer un jeu de rythme avec toutes leurs partitions légendaires, cela résonne immédiatement comme LA bonne initiative.
Ainsi naquit en 2012 Theatrhythm Final Fantasy, développé Indies Zero, un petit studio généralement sollicité en tant que renfort plutôt qu’aux commandes principales d’un projet. On leur doit notamment le mémorable Leçons de cuisine : Qu’allons-nous manger aujourd’hui ? sur Nintendo DS. Bref, rien ne le prédestinait à être sous le feu des projecteurs, et pourtant, leurs développeurs ont su démontrer toute leur maestria pour concevoir une mécanique de jeu addictive, simple en apparence, mais pouvant se révéler redoutablement ardu.
Il n’y a au final que trois actions de base à connaître dans Theatrhythm Final Bar Line. Les déclencheurs simples, rouges, à valider d’une pression de touche ou de gâchette au bon moment, les verts, qui nécessitent en plus le maintien de la pression du bouton, et les jaunes ornés de flèches pour lesquels il convient diriger le ou les sticks analogiques (selon le nombre de flèches) dans la direction attendue. C’est ainsi l’enchaînement de ces trois règles à des vitesses ou combinaisons variables selon le mode de difficulté choisi, de basique, presque jouable les yeux fermés, à suprême, détruisant nos pauvres doigts, qui fait tout le sel du jeu. Avec bien entendu pour objectif le fameux perfect et la note maximale SSS associée.
Mais c’est aussi et surtout avec son contenu, tant quantitatif que qualitatif, que Theatrhythm Final Bar Line brille. Chaque épisode de Final Fantasy est représenté, avec pour chacun d’eux ou presque plus d’une dizaine de musiques avec lesquelles interagir. Même les spin-off les plus obscurs, les moindres Record Keeper ou Chocobo Dungeon sont inclus. Et tous sont déblocables dans un mode Quêtes de séries qui consiste à enchaîner les compositions afin de déverrouiller les suivantes, tout en remplissant des missions facultatives permettant de varier nos approches.
Car si l’on est sur un jeu au gameplay exclusivement musical, nous devons tout de même composer notre équipe en piochant parmi la grosse centaine de personnages issus des différents jeux présents. Chaque musique lancée représente en soi une mini-aventure où nous combattons monstres et boss emblématiques en réussissant à enchaîner les combinaisons à l’écran. Et à l’inverse, nos erreurs permettront à ces monstres de nous infliger des dégâts jusqu’à l’échec de mission, si l’on commet trop d’impairs.
Mais pour nous aider, comme dans un J-RPG traditionnel, nos héros gagnent en niveau et statistiques au fil de nos réussites, nous autorisant alors à l’équiper plus convenablement, et même à assigner de puissantes invocations, offensives ou défensives, pour un déferlement d’effets à l’écran. Le tout dans le but de remplir ces objectifs secondaires pour gagner encore plus d’objets et équipements. Parfois, il n’y a pas besoin de faire compliqué pour être efficace et plaisant.
C’est cette alchimie entre jeu de rôle traditionnel et jeu musical qui donne à Theatrhythm Final Bar Line un côté extrêmement addictif. On ne fait pas que sélectionner les musiques que l’on souhaite jouer et écouter. On combat avec stratégie, minime certes, puisque principalement à base d’équipements et d’affinités élémentaires des héros et ennemis, mais suffisamment bien intégrée pour que celui qui a envie d’optimiser ses scores puisse s’y plonger, sans pour autant léser le joueur cherchant simplement à offrir du plaisir à ses oreilles.
Mais à quel prix ?
N’y passons pas par quatre chemins, Theatrhythm Final Bar Line est un titre hyper généreux. Avec ses 385 musiques à (re)découvrir, ces centaines de personnages et équipements à assigner et ces missions à accomplir dans chaque niveau, il y a de quoi facilement s’occuper pendant des dizaines d’heures. Mais – car il y a un gros mais – Square Enix n’a pas complètement transformé l’essai selon nous, et la cause est malheureusement externe au jeu.
En effet, s’il on a accès à un contenu de base gargantuesque, ce sont les versions dites « Digital Deluxe » et « premium » qui font grincer des dents. Uniquement, comme leurs noms l’indiquent, proposées en version dématérialisées (respectivement pour 90 € et 110 €), celles-ci ajoutent, entre autres, les seasons pass afin d’accéder aux futurs DLC (portant le total de pistes jusqu’à 502), mais pas seulement. Plusieurs musiques, dont certaines parmi les plus emblématiques, sont uniquement disponibles via ces éditions.
Pour ne citer que celle-ci, To Zanarkand, probablement la musique la plus connue de Final Fantasy X, n’est accessible qu’aux joueurs ayant opté pour ces versions plus chères. Il est regrettable qu’un titre se vantant de proposer les meilleures musiques des Final Fantasy soit amputé de quelques-unes des plus populaires afin de rendre ses versions les plus onéreuses plus attractives.
D’autant qu’on est face à un jeu pouvant ajouter des contenus presque sans limite. Et du contenu, on va en avoir. Du très alléchant même. NieR, Mana, Live a Live, SaGa, Chrono… tous seront de la fête à terme. Et vu les licences mythiques dans le catalogue de Square Enix, Theatrhythm Final Bar Line devrait, s’il rencontre son public, accueillir encore plus de licences connues ou oubliées. On a déjà évoqué en introduction l’existence des partitions issues Dragon Quest, qu’il serait très aisé d’importer, mais on peut aussi penser à Valkyrie Profile ou encore Star Ocean.
D’autant qu’avec les sorties prochaines de Final Fantasy XVI ou Final Fantasy VII: Rebirth, la playlist disponible devrait encore s’agrandir, avec autant de possibilités d’atteindre le cœur (et le porte-monnaie) des joueurs. Alors, pourquoi les frustrer en réservant l’accès des musiques historiques de Final Fantasy à une fraction de sa fanbase ?
Même en multijoueur – car le jeu propose un mode permettant de nous confronter au monde, avec même quelques règles cocasses, permettant de s’envoyer des peaux de bananes virtuelles –, il est impossible d’accéder à ces musiques payantes. Cela aurait pu être un bon moyen pour les joueurs ayant opté pour la version physique, par exemple, d’expérimenter de manière aléatoire dans ce mode les musiques qui lui sont inaccessibles (option choisie par l’excellent Taiko no Tatsujin, notamment). Mais que nenni, et c’est bien dommage. On se contentera donc d’affronter les rares joueurs présents (au moment où nous écrivons ces lignes) sur les musiques de l’édition de base, quand bien même nous aurions nous-mêmes acheté les DLC…
Theatrhythm Final Bar Line est un jeu musical hyper généreux. Rien qu’avec son contenu de base, il y en a pour des dizaines d’heures de plaisir à découvrir et réécouter les compositions légendaires des sagas phares de Square Enix, à commencer bien sûr par Final Fantasy. Son gameplay, déjà carré à l’époque de la Nintendo 3DS, n’a pas pris une ride, et, même si l’on pourrait regretter l’absence sur la version Switch d’un mode tactile, la maniabilité à la manette est redoutablement efficace. Pour se faire une idée, le studio a eu le bon goût de nous proposer une démo composée d’une trentaine de musiques aussi bien disponibles sur Switch que sur PlayStation 4.
Dommage néanmoins que l’éditeur nippon, qui répète à qui veut bien l’entendre son ambition d’investir dans les jeux autour des technologies blockchain et NFT, abuse bien trop à notre sens de monétisations pas très tournées vers ses fans. Pourtant, en s’offrant la possibilité de sortir des dizaines de contenus téléchargeables centrés sur chacune de ses licences, même les plus poussiéreuses, l’éditeur est à peu près sûr de toucher une fibre nostalgique qui nous fera dépenser quelques euros de plus, pour revivre nos émotions d’antan. Reste à voir jusqu’où chacun est prêt à aller pour se replonger dans sa propre histoire vidéoludique.