Après la réussite Until Dawn et l’expérience VR réjouissante Rush of Blood, Supermassive Games a décidé de dire bye bye à Sony pour s’envoler vers de nouveaux cieux protecteurs, en l’occurrence ceux de Bandai Namco.
Depuis, un projet assez ambitieux a été lancé par le studio et son éditeur : sortir une anthologie en cinq épisodes de différentes histoires ayant comme dénominateur commun l’horreur. The Dark Pictures Anthology: Man of Medan en est le premier chapitre et compte bien lancer l’entreprise sur de bons rails.
Concept novateur pour mécaniques de jeu connues. Voilà qui pourrait résumer sans contestation possible The Dark Pictures Anthology: Man of Medan. Ce premier épisode de l’anthologie n’est en rien surprenant et n’entend pas proposer quelque chose de nouveau aux joueurs, mais plutôt pérenniser l’héritage Until Dawn.
Ainsi, Supermassive Games, à défaut de se montrer inventif, nous offre un best-of de tout ce qui faisait le sel de l’exclusivité PlayStation en son temps, sauf qu’ici cela ne réussit malheureusement pas à convaincre pleinement et c’est même parfois assez mou, voire carrément emmerdant.
(Test de The Dark Pictures Anthology: Man of Medan réalisé sur PlayStation 4 à partir d’une version fournie par l’éditeur)
Scénario de mes dents
Man of Medan base son scénario sur le mythe du SS Ourang Medan qui se serait abîmé en mer non loin de la Polynésie entre 1947 et 1948. Une sorte de légende urbaine dont la véracité n’a jamais été prouvée et qui raconte l’histoire d’un navire militaire américain qui aurait disparu du jour au lendemain en mer alors qu’il regagnait sa patrie. Chose qui a alimenté un temps les théories du complot les plus folles et qui donne ici corps au récit de Supermassive Games.
On a donc l’occasion de découvrir ce mastodonte des mers au travers des yeux de cinq jeunes personnages que l’on sera amené à tous jouer à un moment ou un autre. Kidnappés en mer par des pirates alors qu’ils faisaient de la plongée sous-marine à la recherche d’épaves, ils sont menés de force sur l’embarcation militaire américaine et doivent alors non seulement fuir leurs kidnappeurs, mais aussi faire avec des phénomènes paranormaux étranges devenant de plus en plus agressifs.
Alors certes, reprendre une véritable légende urbaine pour s’en servir comme toile de fond est plutôt bien vu, mais encore faut-il créer quelque chose d’intéressant avec. Tout comme les nombreuses, très nombreuses sources d’inspiration du studio, on pense notamment au Vaisseau de l’Angoisse ou encore un Cri dans l’Océan. Malheureusement, Man of Medan n’y parvient pas et s’embourbe dans une écriture bâclée, n’arrivant pas à créer un élan narratif captivant, et cela malgré un background plutôt réussi. Le récit manque cruellement de rythme et de liant, alors que la moitié de l’aventure n’est en fait que de l’exposition pour introduire l’intrigue, les personnages que l’on incarne et les fameux pirates qui les kidnappent.
La faute à un jeu trop court – environ quatre heures- , qui ne peut donc pas prendre le temps de s’exprimer pleinement, qui se blinde d’ellipse et de raccourcis incongrus, tout en rallongeant au contraire des séquences déjà bien trop longues. Le scénario s’embourbe dans le n’importe quoi, et ne parvient même pas à rendre ses personnages intéressants. Car au contraire d’Until Dawn, plus long et mieux écrit, Man of Medan n’a pas le temps pour ça et laisse ses héros s’empêtrer dans leurs stéréotypes sans jamais les en sortir, si bien qu’ils nous laissent de marbre et nous agacent à force de décisions totalement débiles. Aussi parce que les sessions de jeu avec chaque personnages sont assez courtes, ne durant parfois pas plus de dix minutes avant de passer à un autre, ainsi il est difficile de s’attacher à qui que ce soit.
Le casting est donc composé du petit con prétentieux du nom de Conrad, sa sœur téméraire et sensible Julia, le nerd coincé du fessier Brad, le fringant et sportif Alex, ainsi que la capitaine forte tête de l’embarcation les emmenant faire de la plongée Fless. Dommage alors que cela ne prenne pas, car le jeu d’acteur – en VO ou en VF – est très bon, on retrouve des têtes connues d’ailleurs comme Shawn Ashmore qui avait déjà prêté ses traits pour Quantum Break ou encore Pip Torrens qui joue le conservateur. Ce dernier est d’ailleurs le seul personnage à sortir du lot, c’est une sorte de scribe à la bibliothèque bien remplie qui écrit l’histoire que l’on joue, nous donnant des indications et jugeant nos actes, sans jamais prendre parti. On a hâte de découvrir réellement qui il est dans les suites.
Modélisés à partir des acteurs qui les incarnent, comme dans Until Dawn, il faut avouer que c’est plutôt bluffant, même s’il arrive que les expressions faciales fassent trop exagérées, surtout sur les personnages de Julia et de Fless. Aussi, on regrette des animations un peu trop robotiques à notre sens, car si les modèles de personnages font très réalistes, la gestuelle laisse parfois à désirer et il reste encore pas mal de boulot à accomplir pour fluidifier le tout.
Chair de Poule
Alors si le scénario ne nous a pas passionné, qu’en est-il de l’élément au centre de l’anthologie, à savoir l’horreur ? Man of Medan fait-il peur ? Voilà une question légitime, et voici la réponse : meh. Il y a une chose qu’il faut bien accorder à Supermassive Games, c’est que le studio sait créer un cadre horrifique convaincant, ainsi qu’une atmosphère assez effrayante. Le choix du bateau fantôme n’est pas original pour un sou, il est vrai, mais ce qu’en ont fait les équipes artistiques, aussi bien visuelles que sonore, est de très bonne facture.
Sans faire peur à s’en cacher sous sa couette, le jeu est assez tendu dès lors que l’on arrive sur le bâtiment abandonné, les poltergeist s’enchaînent de manière intelligente et si quelques jumpscares putassiers parsèment notre route, d’autres fonctionnent drôlement bien. Les lieux sont lugubres et glauques, puent la mort et exècrent la vie, ils semblent habités par un mal profond endormi qui se réveil à notre venue.
Malheureusement, on aurait aimé vous dire que cet aspect du jeu est parfait, mais là encore c’est la mise en scène qui pèche, ainsi que la réalisation technique. Sur notre version – à jour, on le précise -, Man of Medan se montrait capricieux, se permettant de ramer méchamment parfois, voire même de nous donner l’occasion d’expérimenter quelques freezes gênants nous sortant totalement de l’ambiance. Aussi, la mise en scène se montre très inégale, il arrive que l’on ne comprenne absolument rien à ce qui se passe, la faute à un montage charcuté et brouillon. Pourtant, on trouve dans le titre quelques bonnes trouvailles, notamment certains angles de caméras ou encore des apparitions en arrière-plan et un jeu intelligent avec l’invisible.
Le navire est lui un personnage à part entière, jouant avec nos sens et notre perception de l’environnement, il peut même changer de disposition en temps réel, plongeant alors les personnages dans le désarroi le plus total. Il est la star du jeu et parvient sans mal a écraser toute concurrence à ce niveau tant personne ne lui tient la dragée. D’autant plus que le jeu est franchement beau, si on met de côté quelques textures baveuses, que ce soit les différents environnements, les superbes jeux de lumière, les quelques effets météos, les personnages ou encore le bestiaire d’entités que l’on croise, pourtant inégal, Man of Medan flatte la rétine à bien des moments.
Watch and Play
Si on ne vous l’a pas rappelé, c’est que cela nous semblait évident, mais Man of Medan est une sorte de film interactif entrecoupé de séquences de gameplay. Plus qu’un fils spirituel d’Until Dawn, il ne propose réellement aucun réel apport en termes de gameplay par rapport à ce dernier, et c’est assez révélateur du manque d’ambition du jeu, car entre 2015 et 2019, quatre ans se sont écoulés.
Et comme dirait l’autre, de l’eau a coulé sous les ponts. Alors se retrouver avec une proposition linéaire, blindée de QTE et des personnages aussi lourds qu’un 36 tonnes qui a crevé et continue de rouler n’a rien de très affriolant. Cela rend les déplacements capricieux et si quelques séquences courses-poursuites dynamisent un peu le gameplay, il est la plupart du temps mou, voire carrément ennuyeux.
Seule nouveauté notable, l’arrivée d’une sorte de mini-jeu nous demandant d’appuyer au bon moment sur une touche donnée en rythme pour éviter de se faire repérer par un potentiel ennemi. Cette sorte d’électrocardiogramme jouable remplace en fait les moments peu évidents dans lesquels il ne fallait pas bouger dans Until Dawn et est bien plus aisée de prise en main.
Hormis cela, rien de bien marquant à se mettre sous la dent. L’exploration est une composante importante du jeu, et comme dans le jeu cité ci-dessus, on y trouve de nombreux indices sur les événements qui ont amené au drame que l’on vit et aussi des prémonitions prenant la forme de petits tableaux et nous laissant entrevoir quelques scènes qui auront lieu plus tard dans notre aventure, des avertissements en somme.
Le problème, c’est que très linéaire, il suffit souvent de tourner la tête pour déceler les quelques secrets, il est clair que l’on aurait aimé visiter le bateau comme on l’entend, mais on comprend qu’au vu du format du jeu, Supermassive Games préfère nous mettre sur un rail. Notre promenade n’en reste pas moins intéressante, grâce aux décors notamment, mais aussi aux quelques moments de frayeurs qu’elle procure.
Par contre, nous ne pouvons nous empêcher de nous demander encore ce qu’apportent les choix de dialogues. Comprenez bien que l’on ne parle pas des choix d’orientation qui sont assez marqués et ont un réel impact sur le déroulé de l’aventure, les plus infimes de nos actes pouvant avoir amené de grandes conséquences, ce qui est un bon point du jeu. Non, on parle ici de l’entente entre les différents membres du groupe, chose indiquée via un système de jauge et quelques informations complémentaires.
Peu importe la relation que les uns entretiennent avec les autres, on peine à comprendre où ça nous mène tant cela n’a aucune incidence sur ce qui se déroule sous nos yeux, tout juste quelques lignes de dialogues changent.
À plusieurs la fête est plus folle
Comme cela avait été annoncé, The Dark Pictures Anthology: Man of Medan est bien jouable en multijoueur en ligne ou en local via deux modes distincts : Histoire Partagée et Soirée Télé. L’occasion de se refaire des parties en évitant trop de redites et tenter de débloquer une fin qui nous est inconnue, le jeu en comptant tout de même six. Le premier est un mode en ligne nous proposant de parcourir l’aventure avec un ami.
Pour se faire, le titre propose à un joueur d’incarner un personnage donné, pendant que l’autre joue avec un autre protagoniste les événements qui se déroulent en parallèle. Cela amène une part d’aléatoire bienvenu, vu que l’on ne peut anticiper les décisions de l’ami avec qui l’on partage notre partie. Une expérience agréable, mais on préférera la seconde beaucoup plus conviviale pour le coup.
Le mode Soirée Télé est la bonne idée de Man of Medan. Pouvant partager l’aventure jusqu’à cinq joueurs en local aurait pu n’être que gadget, mais cela rend l’expérience très drôle, notamment parce que cela rappelle toutes ces soirées que l’on a passées entre potes à regarder des nanars à la con à la télévision en sirotant quelques bières. C’est l’expérience ultime que nous propose le jeu et cela le rend fendard à souhait, nous permettant de l’appréhender sous un autre angle. On conseille fortement tout de même de l’avoir déjà bouclé en solo auparavant, car il est clair que le côté horrifique de la chose s’en retrouve grandement atténué.
The Dark Pictures Anthology: Man of Medan est une déception. Non pas qu’il soit mauvais, mais il ne parvient à aucun moment à combler nos attentes en termes de storytelling ou dans sa proposition de gameplay. C’est mou, déjà-vu et particulièrement mal mis en scène, le montage ayant l’air d’avoir été fait par un stagiaire pas très doué. La narration n’est pas mieux lotie, et Supermassive Games ne convainc à aucun moment de ce côté, malgré un postulat de départ intéressant. Les personnages eux souffrent d’une écriture maladroite et de stéréotypes dont ils ne parviennent jamais à s’affranchir. Dommage.
Malgré cela, tout n’est pas à jeter. Man of Medan réussi a distiller une atmosphère horrifique réussie et à défaut de convaincre techniquement, parvient à sortit du lot artistiquement. Le rafiot fantôme que l’on arpente est glauque à souhait et quelques événements s’y déroulant particulièrement tendu. On a aussi le droit à quelques plans de caméras franchement réussis, participant à mettre en place des jumpscares parfois bien sentis. L’enrobage sonore est au poil et les acteurs ont au moins le mérite de bien jouer, à défaut d’incarner des visages intéressants.
En bref, Man of Medan aurait pu être un très bon jeu, mais trop court, mal rythmé et inégal, il n’arrive pas à une demi-cheville d’Until Dawn. Néanmoins, sa proposition multijoueur est bienvenue et on ne peut s’empêcher de garder espoir pour l’épisode 2 d’ores et déjà annoncé pour 2020. En espérant que Supermassive Games parviennent à corriger le tir, au risque de voir cette anthologie sombrer dans les profondeurs de l’océan au bout de seulement deux chapitres.