Décidément, les studios français ont le vent en poupe ces derniers temps et il nous arrive de plus en plus de productions de qualité en provenance de ces derniers. Car si Arkane, Ubisoft ou encore Dotnod se tirent la bourre en tête de classement, d’autres, plus petits et moins connus, proposent aussi de nombreuses pépites sur le marché.
Connaissez-vous Big Bad Wolf ? Petit studio bordelais, il réunit des développeurs issus entre autres de Blizzard et d’Ubisoft. Il y a donc des personnes d’expérience qui y officient et on attendait leur premier titre avec curiosité. The Council pour le nommé, est un RPG narratif composé de cinq épisodes dans la veine des productions Telltale saupoudré de surnaturel et d’énigmes, avec quelques particularités qui lui sont propres. Un premier essai en demi-teinte pour le studio, mais pas dénué d’intérêt pour autant.
(Test de The Council réalisé sur PlayStation 4 avec une version fournie par l’éditeur)
Le jeu nous propose d’incarner un jeune aristocrate du nom de Louis de Richet en 1793, soit quelques années après la Révolution française. Membre d’une société secrète appelée l’Ordre Doré, il est le fils de la cheffe de la branche française de cette dernière, à savoir Sarah de Richet. Après un prologue mettant en scène mère et fils à Paris, Louis rejoint une île ténébreuse au large des côtes anglaises car il a été convié par un certain Lord Mortimer pour y séjourner. Très vite les rencontres avec nombre de personnalités s’enchaînent dans le manoir surplombant la roche noire de l’île et l’intrigue tournant autour de la disparition de notre mère en ce lieu quelques jours auparavant se met en place.
L’endroit, ce qu’il représente et ce qu’on y fait ne sont donc pas anodins, tout comme les autres invités présents. On y retrouve des figures historiques très célèbres comme Napoléon Bonaparte ou George Washington, ce qui ajoute un petit côté fictionnel authentique à cette réunion secrète et mondaine. L’une de celles dans laquelle des personnes d’influence se réunissent pour décider du destin du monde, celle que l’on fantasme en tant que petit soldat théoricien du complot.
Cela est très réussi, les protagonistes ont tous aspirations et désirs personnels à assouvir, et les dialogues sont souvent savoureux et d’une écriture irréprochable. Il faut faire avec des magouilles, secrets et autres cadavres dans le placard que tout ce beau monde trimbale en permanence. On doit alors jongler entre eux, satisfaire leurs désirs, tout en veillant à s’en mettre le minimum à dos, même si l’on est, bien évidemment contraints à faire des choix à ce sujet.
The Council est aussi très proche des œuvres littéraires d’enquêtes à huis clos propres à Agatha Christie et son Mort sur le Nil ou Le Crime de l’Orient-Express, voire d’autres écrivains dans la même veine comme Gaston Leroux avec Le Mystère de la Chambre Jaune. En cela, il nous faut mener une enquête avec nombres discussions à avoir avec les différents personnages, nombres d’énigmes à résoudre pour découvrir quelques secrets bien cachés et nombres de sous-intrigues à démêler. Un véritable hommage au genre qui ne tombe jamais dans le piège de ne devenir qu’une simple partie de Cluedo interactif.
Une enquête qui tourne mal
Mais que serait un bon policier sans un scénario béton. Il se veut plutôt correct dans l’ensemble et démarre franchement bien. L’intrigue prend le temps de se mettre en place, les lieux et personnes nous sont présentés comme il se doit et la narration est fluide. L’enquête que l’on mène dans le manoir pour retrouver notre mère est bien construite et intéressante à suivre, telle une partie d’échec grandeur nature. Mais, et parce qu’il en faut bien un, les cinq épisodes qui composent cette histoire ne se valent pas.
Si la qualité d’écriture est presque irréprochable, c’est la construction sur le long terme qui pose problème. Le développement de l’histoire est par exemple mal réparti, avec un épisode trois assez creux et un quatrième qui balance informations, personnages secondaires et révélations à tout bout de champ, le rendant bien trop bavard par la même occasion, en oubliant de proposer de la diversité. Le cinquième est quant à lui court et trop vite expédié au contraire, alors même que le final est décevant.
On aurait d’ailleurs préféré que l’intrigue ne parte pas autant sur les sentiers du paranormal et reste plus terre à terre, sans renier son penchant pour le surnaturel. Car on est finalement bien plus proche de la série B américaine que du récit imaginatif et surprenant. Cela tranche d’ailleurs avec la maturité de la plume employée qui n’hésite à aucun moment à se montrer trash, sans pour autant que ce soit injustifié. L’ambiance immersive, qui au-delà de s’appuyer sur le roman policier dit classique, fait très film noir ou néo-noir pour être exact. Alors autant dire que cette virée dans le paranormal de bas étage fait tache.
Les outils du parfait détective
Le gameplay est quant à lui pavé de bonnes intentions. Il propose un postulat de départ intéressant et des mécaniques de jeu pour la plupart inattendues dans ce type de réalisation.
De base, il faut savoir qu’on est ici proche du RPG, comme un certain Call of Cthulhu sorti récemment, et non d’un simple clone radin d’un Telltale. Cela se traduit dans un premier temps par trois arbres de compétence que l’on développe au fur et à mesure de notre avancée et dont il nous faut choisir une classe de départ. Il est néanmoins possible de développer notre personnage comme on l’entend en trouvant des livres ou en dépensant des points de compétences gagnés dans un sous-domaine de n’importe quelle branche.
Cela est très important, car chaque arbre offre des capacités uniques comme la possibilité de crocheter des serrures, de comprendre des langues mortes, de faire preuve de clairvoyance ou encore d’être calé en histoire ou en politique. Des talents s’ajoutent aussi au fur et à mesure, et la construction de notre personnage devient ainsi la base de l’expérience entière, car étant l’impératif à notre progression et nous ouvrant différentes portes en fonction de nos choix.
Il faut aussi réussir, en s’aidant de tout cela, à découvrir les traits de personnalité de nos interlocuteurs, histoire de jouer sur leurs faiblesses et d’éviter tout sujet que l’on ne maîtrise pas. C’est particulièrement utile durant les Confrontations. Ces dernières sont des sortes de joutes verbales que l’on mène face à un personnage pour le convaincre d’aller dans notre sens et qui remplacent ici les phases de combat dans un RPG classique.
De plus, il faut reconnaître que The Council ne fait pas partie de ces jeux narratifs à choix multiples nous donnant seulement l’illusion de pouvoir choisir. Énormément de décisions que l’on prend influent non seulement le déroulé, le rounting ou encore la fin d’un épisode, mais aussi le final du jeu. Cela peut même parfois s’avérer très cruel pour notre personnage, pouvant d’ailleurs nous laisser de graves séquelles physiques, voire pire.
Les limites du narratif
Le gros souci finalement, celui qui gâche un peu tout, c’est que l’on tourne vite en rond. Les Confrontations par exemple, deviennent rapidement lassantes. La faute à un système trop sommaire que l’on apprivoise trop vite et où perdre un duel devient alors mission impossible. Pourtant l’idée est très bonne et fait son petit effet l’espace de deux épisodes. Les énigmes aussi sont assez décevantes, trop simples, seules deux ou trois tiennent en haleine et débouchent sur de vraies conséquences en fonction de notre réussite ou non. Ce sont d’ailleurs plus des puzzles ou casse-têtes que des énigmes à proprement parler.
L’exploration est par ailleurs plus que limitée et les accès aux différentes parties du manoir se débloquent au fur et à mesure. Mais c’est très souvent frustrant de ne pas pouvoir descendre un escalier ou tourner sur sa gauche à cause d’un mur invisible. Car si on est parfois amenés à explorer un petit peu, il ne s’agit ni plus ni moins que de devoir suivre un rail. On ne peut aller à un endroit qui ne sied pas au rythme narratif soutenu du jeu. Triste constat puisqu’on nous propose parfois de farfouiller sans que l’on puisse réellement le faire finalement.
En gros, The Council peine à se renouveler sur le long terme et on se retrouve vite à enchaîner petites séquences d’exploration bridées, imposantes séquences narratives et énigmes sans réelles saveurs. Cela même s’il y a une tentative de nouveauté dans l’épisode 4 avec un nouveau pouvoir finalement anecdotique rentrant en notre possession. En outre, il arrive que les développeurs oublient totalement qu’il y a un joueur derrière la manette et que le jeu se montre outrageusement plat et mou, trop bavard par endroit, parfois même ennuyeux. Il y a un manque d’équilibre entre les différentes séquences de jeu, plus marqué il est vrai dans certains épisodes.
L’aristocrate cache misère
The Council n’est pas un AAA et cela se voit. Big Bad Wolf utilise ici un moteur graphique rendant un contenu artistique marqué et plutôt réussi, mais qui est techniquement franchement en retard. Ce n’est tout simplement pas très beau de ce point de vue là, les modèles personnages sont assez grossiers, les expressions faciales d’un autre temps, les animations robotiques et on enchaîne saccades, bugs d’affichage et autres tares du genre. Le plus malheureux, c’est que c’est de pire en pire plus on avance dans l’aventure, à croire que les derniers épisodes ont été rushés.
C’est bien dommage, car la partie artistique est très réussie. Le manoir en impose, propose des sculptures, peintures et design architecturaux inspirés. Sur ses deux derniers épisodes – surtout le dernier à vrai dire -, le jeu se montre d’ailleurs surprenant sur ce qu’il propose visuellement. La mise en scène est la plupart du temps à la hauteur, mais souffre parfois d’une lourdeur héritée du moteur graphique. Le doublage anglais est aussi de bonne qualité, grâce à des acteurs convaincants dans l’ensemble, et la traduction française l’est tout autant. Il est simplement triste de constater qu’un studio français fasse encore l’impasse sur la proposition d’une version française intégrale.
The Council est un jeu pavé de bonnes intentions. Il se démarque des autres productions narratives en proposant un côté RPG plutôt bien intégré et séduisant. Il est aussi indéniablement bien écrit et propose un panel de personnages hauts en couleur passionnant. On ne peut que reconnaître que Big Bad Wolf maîtrise les outils narratifs à la perfection et l’idée des joutes verbales, ainsi que l’apport des différentes compétences ajoutent un peu de piment au tout.
Malheureusement, nous sommes ressortis déçus du scénario, qui part, à notre sens, dans une direction facile et convenue, avec notamment une justification du surnaturel très classique. Heureusement que les choix et leurs conséquences ne déçoivent pas et ouvrent de nombreux chemins permettant véritablement d’offrir une expérience propre à chacun.
Le problème c’est que The Council peine à convaincre sur la durée, tourne rapidement en rond et offre une expérience inégale en fonction des épisodes. On entrevoit aussi très vite les limites du gameplay et on apprivoise trop rapidement les mécaniques pour ressentir un quelconque challenge. Que dire aussi de ce dernier segment rushé comme pas possible, au dénouent totalement loupé.
Cependant, pour un premier jeu, le studio montre des signes d’originalité et même si on ressort de l’expérience The Council tiraillé par divers sentiments opposés, on attend avec impatience la prochaine production de cette petite boîte française.