11 bit Studios a l’habitude des bonnes critiques : on lui doit les très applaudis This War of Mine ou la série des jeux Frostpunk. Avec The Alters, le studio s’appuie sur ses compétences en matière de jeux de gestion, mais y développe une composante narrative qui n’était qu’embryonnaire dans les deux jeux cités précédemment, et qui fera tout le sel de ce nouveau titre.
Alors, les emprunts cinématographiques plutôt inspirés et les problématiques SF pouvant se révéler vertigineuses cachent-ils un jeu de gestion un peu basique, ou au contraire viennent-ils sublimer l’efficacité du système de jeu ?
(test de The Alters réalisé sur Xbox Series X via une copie commerciale du jeu)
Seul Sur Mars
Après un crash sur une planète hostile, Jan, qui avait signé pour aller travailler comme mineur intergalactique, se retrouve un peu comme dans Seul sur Mars, le roman d’Andy Weir : à la tête de sa propre petite station extraterrestre, dans laquelle il va devoir se débrouiller pour survivre en attendant d’éventuels secours. Cette mise en place un peu clichée va essentiellement servir de tutoriel pendant un prologue qui durera un petit deux heures, le temps de digérer les mécaniques de ce qui est surtout un jeu de gestion.
On explorera les environs de la base pour y trouver différentes ressources nécessaires à la fois à notre survie, mais aussi au bon fonctionnement de la station : métaux, minéraux, matières organiques… C’est l’une des premières mécaniques que l’on rencontrera : la reconnaissance du terrain en vu à la troisième personne, le scan des sols pour y installer des stations de forage, puis la construction de pylônes pour acheminer les ressources vers la base…
Bien entendu, la construction de tout ce matériel nécessite déjà des ressources, de même que l’exploration repose sur une combinaison en état de fonctionnement et munie de batteries, qui elles aussi réclament des ressources. À cette étape, même si rien n’est vraiment compliqué et complètement aligné avec le genre, on commence déjà à penser optimisation.
Alter Ego
Comme Mark Watney, le héros de Seul sur Mars, si Jan est perdu sur sa planète étrangère, il n’est pas pour autant totalement coupé du monde, et les communications avec le commandement de la mission passent encore. Suffisamment pour que ce dernier nous indique que le Rapidium, matériau que l’on était venu miner et qu’on trouve effectivement sur la planète, possède des propriétés assez incroyables : il va pouvoir nous permettre de nous cloner.
À l’aide d’un superordinateur qui aura lu toute sa vie, les choix qu’il aura fait et leurs conséquences, le Rapidium peut générer des Jan alternatifs, qui auraient faits des choix différents, et construire un Jan sensiblement différent. Ainsi, sans trop en dire, Jan a été confronté à un moment de sa vie au choix de quitter ou non son foyer pour aller suivre des études. Cette « fourche » dans ses choix de vie entrainera deux Jan potentiels, l’un au cursus universitaire sera devenu scientifique (et un peu trop porté sur sa carrière) tandis que l’autre aura un profil de technicien…
Autant de rôles qui pourront s’avérer vitaux pour gérer la station. C’est ainsi que comme dans l’excellent Moon de Duncan Jones, ou plus récemment Mickey 17 de Bong Joon-ho, Jan va se cloner afin de créer une équipe de maintenance pour sa base.
Tout seul on va plus vite, mais ensemble on va plus loin
C’est un peu ce sur quoi repose le jeu : les clones. Leur existence va poser des questions qui peuvent être vertigineuses, notamment sur la place de chacun dans cet univers où ils existent tous, sur « qui » a eu raison de prendre tel ou tel embranchement dans sa vie, mais aussi sur cette société qui crée des être comme des outils, avec le seul but de s’en servir comme main d’œuvre. On pense aussi à un côté méta, et à une forme de matérialisation des arbres narratifs qui constituent ces jeux où les décisions du joueur ont un impact sur le déroulement de l’histoire.
Hélas, l’idée qui devrait porter le jeu n’est en fait qu’un joli packaging renfermant un jeu de gestion tout à fait classique. Au final, les clones seront des « outils » qu’il s’agira de positionner sur tel ou tel poste, selon leur spécialité (le scientifique aux recherches permettant de développer de nouveaux outils, le technicien à la maintenance de la base…). Leurs conflits (entre eux, ou avec le Jan original) sera simplement un paramètre de plus à intégrer à la gestion de la base : récolter un nombre prédéfini de matière organique pour produire à manger, construire un espace de stockage plus important pour avancer dans la mission, créer une salle de sport pour satisfaire un clone…
Leur présence permet néanmoins d’entrecouper les phases de gestion d’un peu de narration, ce qui reste bienvenu étant donné que le jeu progressant, on passe de plus en plus de temps dans les menus à s’occuper de micro-gestion et des tâches à programmer pour leur automatisation. Ainsi, à chaque niveau, une fois le terrain exploré et les stations de forage installées (les 4 ou 5 premiers jours), on peut quasiment quitter la vue à la troisième personne pour passer son temps dans les menus du jeu .
Pas si pire
Si le rôle que joue le clonage est un peu décevant, nous ne souhaitons pas que ce test ce termine sur une note négative, car le jeu est au final assez réussi dans son genre. Sa direction artistique, d’abord, se montre assez classique mais saupoudrée de petites idées réussissant à conserver le plaisir de la découverte. Ne serait-ce que la base elle-même : elle est construite avec des sortes de containers placés dans une énorme roue, lui permettant de se déplacer sur la planète. Ce sera d’ailleurs l’objectif de chaque niveau : changer de lieu de stationnement avant une l’éruption solaire programmée, en réunissant les conditions posées : une certaine quantité de matériaux à réunir, une route à sécuriser sur le terrain où l’on s’est posé…
Au gré des recherches et des accumulations de matériaux, on pourra installer de nouveaux containers donnant de nouvelles possibilités à la base : stockage plus important, lieu de repos pour soigner le moral des clones, infirmerie, …
La courbe de difficulté est relativement satisfaisante. Peut-être que les habitués du genre trouveront que le jeu est long à démarrer, mais cela fait de lui un titre tout à fait accessible. Son système de sauvegarde, qu’on peut relancer à l’envie, permet aussi de recharger une partie pour tester des décisions différentes et espérer des conclusions plus favorables, un peu en miroir aux clones de Jan, qui représentent eux aussi les résultats de différentes décisions du personnage.
Le système de jeu nous garde en permanence occupé, sans pour autant se révéler stressant (si l’on se retrouve avec rien à faire, c’est probablement qu’on se dirige vers un échec de la mission !). Et de petites optimisations en tests, on aura vite fait d’avoir passé 4h sur le jeu sans s’être rendu compte du temps qui passe !
Le concept intriguant de The Alters présenté dans les trailers ne sera finalement qu’une couche de glaçage sur une recette qui se révèle plutôt classique. Cependant, c’est dans les vieux pots… Et The Alters n’est pas un jeu raté pour autant. C’est un jeu de gestion dont le cœur du gameplay aura un goût de déjà vu, mais saupoudré de suffisamment de bonnes petites idées pour qu’on ait envie d’y rester.
Et, après Blue Prince, Split Fiction ou Expedition 33, The Alters nous montre à nouveau que la période est définitivement celle des titres AA qui peuvent sans peine rivaliser avec les jeux « triple A » aux budgets démesurés.