Tales of Kenzera: Zau est la dernière production poussée par EA Originals, le label « indé » d’Electronic Arts. Ce dernier a permis de voir éclore les jeux de Josef Fares (A Way Out et surtout It Takes Two), les excellents Unravel, mais aussi des jeux plus dispensables, comme Immortals of Aveum, ou un peu plus loin le raté Sea of Solitude. Dans le genre très balisé du Metroidvania, Tales of Kenzera: Zau invite le folklore bantou pour parler de deuil, le thème probablement le plus traité par le jeu indépendant. Alors entre partition classique et proposition plus originale, Tales of Kenzera : Zau tire-t-il son épingle du jeu ?
(Test de Tales of Kenzera: Zau sur PC réalisé à partir d’une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Une signature particulière : Abubakar Salim
Le réalisateur du jeu a un profil atypique : c’est un acteur, et même, un acteur que vous connaissez probablement. Abubakar Salim, c’est son nom, est en effet apparu dans House of the Dragon (le spin off de GoT), dans le Napoléon de Ridley Scott, et interprétait le rôle principal dans Assassin’s Creed Origins. Il incarne naturellement Zau, le héro de son propre jeu. D’autant qu’il a mis beaucoup de lui-même dans le personnage.
Son grand-père, Kenyan, était un nganga, un guérisseur, comme Zau, le héros du jeu. Et comme Zau encore, Abubakar Salim a perdu son père trop jeune. C’est son deuil difficile, mais aussi la façon dont il a réussi à surmonter son chagrin, qui sont à la base du jeu.
D’ailleurs, il est particulièrement intéressant de voir comment le jeu a été conçu. Si c’est le genre du Metroidvania qui a été choisi par Salim, c’est pour les références que ce dernier avait en tête (comme Ori, un jeu du même genre qui parle lui aussi de perte et de douleur à surmonter), mais aussi pour la métaphore que représente le genre.
Dans un tel jeu, on démarre faible et démuni, incapable de se déplacer comme on le souhaiterait. On est prisonnier de cet état de faiblesse. Puis, au fur et à mesure de nos progrès, on gagne en puissance et on ouvre de nouveaux possibles en même temps que la carte. Et c’est exactement ainsi qu’Abubakar Salim envisage sa traversée du deuil : d’abord pétrifié par le chagrin, le temps et l’acceptation ont fini par le délivrer, puis par lui donner de nouvelles forces, comme celle de raconter son histoire et de fabriquer ce jeu !
D’ailleurs, l’aventure de Zau telle qu’on la parcourt est mise en scène comme une histoire léguée par un père à son fils. Une mise en abyme qui montre clairement qu’Abubakar Salim est dans cette position de passeur d’histoire qui l’a aidé à traverser l’épreuve de la disparition de son père.
Le deuil ? C’est mort… !
On l’a dit, le deuil est l’un des thèmes les plus traité par le jeu indé quand celui-ci décide d’aller vers un matériau « adulte ». Gris, bien sur, mais aussi The Wreck, Dordogne, How to Say Goodbye, Sea of Solitude (un EA Originals, déjà), Goodbye Volcano High, dans une certaine mesure, mais encore Spiritfarer, What Remains of Edith Finch, Brothers: A Tale of Two Sons, qui a récemment eu droit à son remake, ou encore Hellblade, dont la suite est l’un des jeux les plus attendus de cette période… Et la liste pourrait se prolonger sur bien des lignes encore… De quoi nous faire souffler d’avance.
Et il en est de même pour le gameplay : tout est extrêmement classique. C’est un platformer 2.5D dans lequel on va double-sauter, wall-jumper, dasher, esquiver des pendules mortels, maintenir A pour planer, s’extirper in extremis de plates-formes mobiles… Alors le jeu n’aurait-il d’original que son label ?
Dans les polars des maîtres du genre, ce n’est pas tant l’originalité des sujets qui sera importante (les sujets sont rarement inédits), mais la façon dont ils sont traités. Attendu ne signifie pas ennuyeux, et c’est bien le cas ici. On sait exactement où l’on est, mais il y a suffisamment de talent dans l’exécution pour que tout soit très agréable.
Les environnements sont jolis, variés, et c’est sur les combats que le titre se montre bien plus surprenant.
Fight !
Contrairement aux jeux de plateformes plus classiques, Tales of Kenzera: Zau propose un système de combat assez développé. Il ne sera pas ici simplement question de rebondir sur la tête des ennemis pour s’en débarrasser…
Zau possède deux masques hérités de son père : celui de la Lune et celui du Soleil. Chacun d’entre eux peut être équipé à la volé et propose des pouvoirs différents. Au début du jeu, ce sera simplement une histoire d’attaque au corps à corps (le Soleil) ou à distance (la Lune). Mais plus on progressera dans le jeu, plus les attaques des masques se diversifieront, et plus les arènes obligeront le joueur à passer d’un masque à l’autre, d’une technique d’attaque à une autre. Si le jeu n’est pas foncièrement difficile, nous sommes quand même passés par quelques « tableaux » (pour utiliser un vocabulaire de la préhistoire du média !) assez ardus.
Des masques qui offrent aussi des possibilités différentes quant à la progression dans les niveaux, et là encore, en avançant dans l’aventure, il va falloir apprendre à jouer avec les pouvoirs de l’un et l’autre, en switchant parfois assez rapidement. Encore une fois, rien d’insurmontable pour qui aurait une petite expérience du genre, mais une difficulté satisfaisante et bienvenue qui permet au jeu d’être aussi un « vrai » jeu vidéo, et pas seulement une énième proposition narrative sur le deuil.
Si l’on avait lancé Tales of Kenzera: Zau un peu à reculons, notamment parce qu’on a beaucoup trop vu de jeux traitant le thème du deuil, on en sort agréablement surpris. Certes, le jeu est essentiellement un Metroidvania classique, mais particulièrement bien exécuté. On ne sera jamais vraiment perdu sur la carte, par exemple ; signe d’un level design bien pensé, d’une narration bien menée, ou des deux à la fois ! De plus, le jeu s’est doté d’un système de combat riche, complexe juste ce qu’il faut. Enfin, il faut souligner la volonté de mettre l’Afrique au premier plan, avec un jeu entièrement doublé en swahili, une langue importante de l’Afrique de l’est (Kenya, Rwanda, Tanzanie…) et une histoire fantastique inspirée de la tradition bantoue.
C’est joli, fun à jouer, et finalement plus original qu’on ne l’imaginait. Un EA Originals d’excellent cru ! On espère maintenant que Surgent Studios, la structure montée par Abubakar Salim pour mener à bien ce projet (et qui fait aussi des films), ne s’arrêtera pas en si bon chemin…