System Shock, développé par Looking Glass Studios, aura marqué en 1994 le jeu vidéo au fer rouge. Ses successeurs spirituels sont très nombreux et encore aujourd’hui, certains studios revendiquent son influence sur leur travail. Si Looking Glass Studios a fermé ses portes en 2000, la licence entière System Shock aura finalement été récupérée par Nigthdive Studios en 2015.
Peu de temps après cette acquisition, le studio américain décide de proposer un remake de System Shock, premier du nom, pour Windows. Le projet évolue très vite et dépasse les premières prévisions. Une sortie sur consoles est demandée et le projet gagne en ambition, Chris Avelonne, designer d’Obsidian et d’Interplay ayant travaillé sur des jeux tels que Fallout 2, Planescape: Torment et Fallout: New Vegas (liste qui donne le tournis, nous sommes d’accord) est appelé pour réécrire les dialogues tandis que la conception des niveaux est revue pour moderniser le projet.
Initialement sorti sur PC en 2023, System Shock est sorti le 21 mai 2024 sur PS5 et Xbox Series suite aux engagements pris par le studio. La production du jeu aura été compliquée : projet mis en pause pendant plusieurs mois pour manque de fonds tandis qu’un System Shock 3 est annoncé par Warren Spector, ancien de Looking Glass Studios, reconnu comme étant le moteur du projet System Shock et son créateur, assurément, Nightdive Studios passe une période difficile.
Pour autant, le jeu arrive sur PC avec un accueil critique plutôt positif même si la sortie parle plutôt aux fans et pas vraiment au grand public et c’est peut-être ici que se trouve l’écueil principal de la licence culte. Est-ce que System Shock peut encore parler aux joueurs d’aujourd’hui, et est-ce que le remake proposé par Nightive Studios arrive à joindre un public plus large ?
(Test System Shock sur PC réalisé via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Il fait SHODAN ma station
Dans System Shock, on incarne un hacker renommé qui est loin du casier judiciaire vierge. Edward Diego, vice-président de la station Citadel et cadre de TriOptimum, nous enlève de force et nous propose une mission qui permettra au black hat que nous sommes, d’être gracié. La tâche consiste à contrecarrer les plans de SHODAN, une IA qui semble faire des siennes après avoir pris le contrôle de la station.
Lorsque nous arrivons dans ladite station, on se rend vite compte que les choses ont dérapé, des mutants cannibales déambulent dans les couloirs mal éclairés de Citadel, les systèmes de sécurités dirigés par SHODAN tirent à vue dès que l’on ouvre une porte ; la mission s’apparente de moins en moins à une promenade de santé. Concrètement, votre objectif sera de détruire les serveurs de chaque niveau pour venir à bout de SHODAN, votre ennemi virtuel qui contrôle la station.
Sans être terriblement originale en 2024, l’histoire reste efficace. Les différents niveaux du jeu sont de fait des niveaux de la station, un ascenseur (qui viendra masquer les temps de chargement) permettra de choisir comment l’on veut aborder sa progression. C’est sans doute l’occasion d’aborder un point épineux du remake, qui retranscrit néanmoins l’identité du premier jeu : le manque de clarté des objectifs.
Ici, pas de journal de quête qui vous renseigne sur ce que vous devez faire, ce sont souvent des journaux audio et parfois même du texte trouvé au détour d’une salle qui vous donnera une direction à prendre, si vous manquez l’information, vous naviguerez souvent à vue.
À moins de sortir la fidèle feuille de papier et de noter vous-même vos objectifs, il reste assez difficile de garder en tête sa mission du moment, surtout si vous avez la mauvaise idée de mettre le jeu en pause pendant quelques jours comme nous… De plus, il reste très facile de se perdre dans ce dédale qu’est Citadel. Les couloirs se ressemblent tous plus ou moins et on aura parfois l’impression de tourner en rond pendant des heures avant de trouver la bonne porte. Nul doute que la structure de level design est identique à celle du jeu de base tant le tout paraît archaïque.
Pourtant, se perdre à quelque chose de délicieux. L’ambiance sonore des lieux tout comme les éclairages des néons participent à une immersion SF très réussie. Même s’il reste parfois frustrant de ne pas pouvoir ouvrir une porte car on ne possède pas la bonne clé, les allers-retours constituent une part indéniable du game design et on éprouve pleinement la sensation d’être dans un environnement hostile qui ne veut pas de nous.
Rappelons que la maîtresse des lieux est SHODAN, une intelligence artificielle qui a décidé de faire de Citadel votre tombeau. Si l’inspiration de 2001, l’Odyssée de l’espace est évidente, les nombreuses apparitions de l’IA belliqueuse sont marquantes et sa voix virtuelle fait toujours aussi froid dans le dos, même après plusieurs heures de jeu.
C’est dans les vieux pots…
L’utilité d’un remake de System Shock est pour nous totalement justifiée tant le jeu semble avoir été oublié malgré un héritage indéniable. Les remakes sont les moyens les plus simples de mettre la main sur des trésors oubliés du jeu vidéo. Le manque d’accessibilité de ces jeux datés, pour qui ne veut pas nécessairement investir dans le rétro-gaming, où la montée des prix semble être forte ces derniers temps, est contrecarré par ces projets de remake dont les studios nous gâtent beaucoup ces derniers temps.
Bien que Nightdive eût quelques idées derrière la tête en rachetant la licence System Shock, on ne peut que saluer l’amour avec lequel le studio a remis au goût du jour l’un des jeux les plus importants des années 90. Les ennemis et les armes possèdent toujours cet aspect cartoon qui reflète très bien l’identité du premier jeu tandis que les environnements et les éclairages bénéficient d’un traitement plus réaliste sans pour autant oublier les racines du jeu de 1994. Certains lieux importants sont mêmes totalement identiques dans leurs configurations architecturales, un petit coup de coude pour les vieux de la vieille.
Pour continuer à parler technique, le jeu est bluffant de beauté et de polish. À part quelques éléments de physiques étranges comme des effets ragdoll sur les cadavres, le jeu possèdent une technique quasiment irréprochable. Pour un studio aussi petit, cela mérite d’être souligné tant le soin apporté à la réalisation est évident.
Une des améliorations graphiques les plus notables est l’hyperespace. Lorsque vous vous engouffrez dans l’hyperespace, un lieu virtuel dans lequel vous devenez un vaisseau cherchant à détruire des verrous pour débloquer votre progression dans le monde réel, vous entrez dans un mini-jeu beaucoup plus agréable qu’à l’époque.
Plus agréables mais pour autant plaisantes. Ces séquences deviennent vite rébarbatives tant le fonctionnement et la progression sont toujours identiques. On se retrouve vite à maintenir la touche de tir enfoncée et à avancer sans réfléchir et à prendre les soins disposés çà et là quand le besoin s’en fait sentir.
William Gibson was here
Avec System Shock, l’immersive sim cyberpunk est garantie. L’agrandissement de l’HUD au fur et à mesure des implants que l’on trouvera et une idée qui n’a pas pris une ride. Il faudra en effet avoir un implant pour voir sa barre de vie, son état de santé général, bref, on se sent vraiment dans les bottes d’un humain augmenté dans un univers dystopique à la Gibson ou à la Pondsmith.
La gestion de l’inventaire, qui utilise le même système de case qu’un Resident Evil ou qu’un Diablo est une véritable gageure au fil des heures. À noter qu’un type de munition servira à un seul type d’arme, la dimension survival sur l’économie de ses balles est tout aussi importante que dans un RE.
Il faut savoir que vous pourrez fouiller caisse, cadavre et étagère presque comme dans un jeu Bethesda. Un calepin sans valeur comme un mug totalement banal peuvent être disposés à côté d’une nouvelle arme inédite ou d’un élément de narration qui vous permettra de connaître vos objectifs. System Shock est un FPS qui prend son temps. Vous devrez patiemment fouiller chaque pièce pour être sûr de ne rien oublier. Les retours en arrière au sein d’un même niveau voire de niveaux précédents seront obligatoires.
Il est difficile de parler de System Shock sans parler d’énigmes et de puzzle. Constitutives de son identité, les énigmes sont encore un éloge de la lenteur qui nous pousse à ralentir la cadence malgré l’échauffourée d’il y a quelques secondes. La difficulté des puzzles est suffisamment bien dosée pour permettre une petite pause tout en restant immergé dans l’ambiance anxiogène de la Citadel.
À mi-chemin entre un remake et un nouveau démarrage selon les propos du CEO de Nightdive Studio, Stephen Kick, System Shock aura quelques difficultés à séduire les nouveaux venus tant le rythme de ce FPS est particulier. Avec ses nombreux allers-retours, ces séquences d’énigmes, ses portes à déverrouiller et l’absence de journal de quêtes, le jeu n’est pas vraiment tendre avec nos habitudes de jeu contemporaines.
Pourtant, après une dizaine d’heures de jeu, on ressort du manège System Shock avec les jambes en coton et un sourire édenté, bizarrement heureux d’avoir arpenté laborieusement les couloirs de cette station morose où la mort vous guette constamment. Expérience de jeu atypique, le remake de System Shock apportera une pierre non négligeable à la construction de votre culture vidéoludique, c’est indéniable.